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Les signaux de la BCE au-delà des réunions : indications tirées de 5 100 événements

Mise en ligne le 1 Août 2025
Auteurs : Klodiana Istrefi, Florens Odendahl, Giulia Sestieri

Billet de blog 411.  Nous suivons la manière dont les marchés ont réagi à plus de 5 000 événements de communication des membres du Conseil des gouverneurs. Nous constatons que la communication entre les réunions de politique monétaire fait autant réagir les marchés que les décisions formelles de la BCE et contribue à identifier la manière dont la politique monétaire influe sur les anticipations de taux d’intérêt, les marchés d’actions, l’inflation et le chômage dans la zone euro.

Graphique 1. Les discours font réagir les marchés de manière significative

Image Graphique 1. Les discours font réagir les marchés de manière significative Thématique BCE Politique monétaire Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Istrefi, Odendahl et Sestieri (2025).
Notes : Deux discours faisant évoluer le taux des swaps au jour le jour à deux ans (OIS2Y). En vert, la médiane des cotations de l’OIS2Y 15 minutes avant (après) le début (la fin) du discours, signalé par des lignes verticales rouges. La zone bleutée indique l’intervalle dans lequel l’OIS2Y était censé évoluer sur la base de la volatilité du marché avant l'événement de communication.

Une part substantielle de la communication du Conseil des gouverneurs s’effectue entre les réunions

Quand nous pensons aux actions des banques centrales provoquant des mouvements de marchés, nous pensons généralement aux décisions officielles de politique monétaire. Et de fait, lorsque le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (European Central Bank’s Governing Council, ECBGC) se réunit pour établir sa politique monétaire, les marchés sont attentifs. Mais cela va plus loin.

Entre deux réunions, les membres du Conseil des gouverneurs (la présidente de la BCE, les cinq autres membres du directoire de la BCE et les gouverneurs des banques centrales nationales de la zone euro) s’expriment régulièrement en public. Cette communication en dehors des réunions (inter-meeting communication, IMC) ne donne pas lieu à des décisions formelles, mais peut tout de même faire réagir les marchés en façonnant leurs anticipations concernant la politique monétaire future. Pour comprendre l’importance de ces différentes formes de communication, nous construisons une nouvelle base de données que nous appelons EA-CED (Euro Area Communication Event-Study Database, cf. Istrefi, Odendahl et Sestieri (2025)). L’EA-CED couvre près de 5 100 événements de communication publique (principalement des discours et des interviews) et 304 réunions de politique monétaire du Conseil des gouverneurs de la BCE de 1999 à début 2024. Pour chacun de ces événements, nous suivons 47 instruments des marchés financiers dans les minutes et les heures qui suivent les remarques, par rapport à leur valeur peu de temps auparavant. Les études sur les événements de ce type font l’hypothèse qu’aucune autre information faisant réagir les marchés n’est rendue publique durant cette fenêtre, ce qui permet d’attribuer entièrement les variations de prix à l’événement étudié. Fait important, en conditionnant notre analyse à la volatilité du marché avant chaque événement, nous filtrons notre base de données en ne conservant que les événements qui ont exercé un impact significatif sur les marchés. Environ 60 % des événements dans la base de données contiennent des nouvelles qui ont fortement influencé les marchés. L’EA-CED est publique.


Les discours ne font pas uniquement les gros titres – ils provoquent aussi des mouvements de marchés


Le graphique 1 présente deux exemples de discours de présidents de la BCE qui ont fait réagir les marchés de manière significative. Le 18 novembre 2005, le taux du swap Eonia ou taux des swaps au jour le jour (OIS), une mesure du taux sans risque dans la zone euro, avec une échéance de deux ans (OIS2Y) a bondi pendant le discours du président de la BCE Jean-Claude Trichet. Le New York Times (2005) a noté que : « La BCE a bien fait comprendre qu’elle relèverait les taux. [...] ‘’Nous supprimerons une partie du caractère accommodant contenu dans l’orientation actuelle de politique monétaire’’, a déclaré Jean-Claude Trichet [...] ». À l’inverse, l’OIS2Y a baissé pendant le discours prononcé par la présidente de la BCE Christine Lagarde le 21 novembre 2021. CNBC (2021) a écrit : « La présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde a réaffirmé vendredi que les “conditions d’un relèvement des taux ne [seraient] très probablement pas satisfaites l’année prochaine.” L’euro a baissé après les commentaires de Christine Lagarde, revenant à 1,1301 face au dollar. Les actions bancaires ont également reculé, d’environ 2 %. »

Globalement, Istrefi, Odendahl et Sestieri (2025) montrent que la communication de la BCE intervenant entre deux réunions exerce un impact réel et mesurable sur les marchés financiers et souvent cet impact est aussi important voire plus important que la réaction aux annonces de politique monétaire officielles de la BCE. Ceci est particulièrement vrai pour les taux d’intérêt à moyen et long terme, ce qui suggère que l’IMC fournit des informations sur la politique future de la BCE ou sur la manière dont les membres du Conseil des gouverneurs voient la trajectoire de l’économie. Cet impact ne se limite pas aux discours du président de la BCE, mais s'étend aux autres membres du Conseil des gouverneurs.

Il est intéressant de noter que la communication en dehors des réunions envoie souvent des signaux précoces sur ce que la BCE est susceptible de faire lors de la réunion de politique monétaire suivante. Par exemple, avant des décisions de hausse de taux, les marchés ont tendance à réagir aux indices donnés à l'avance par les membres du Conseil des gouverneurs, les taux sans risque et les rendements des obligations souveraines augmentant bien avant la décision officielle. Les informations auxquelles les marchés réagissent sont multidimensionnelles : lorsque les membres du Conseil des gouverneurs s'expriment, ils révèlent souvent différents types de signaux, tels que des signaux sur les taux d'intérêt actuels (appelés « Target ») et sur les taux futurs (appelés « Forward Guidance » ou « Path »), ou donnent des informations sur les programmes d'achat d'actifs (appelées « Quantitative Easing »). Ces trois types d'informations expliquent environ 90 % de l'évolution des marchés en réponse aux événements IMC. Cela montre que les marchés financiers sont très attentifs non seulement aux décisions de politique monétaire, mais aussi aux messages diffusés entre les réunions.


La base de données EA-CED aide à identifier l'impact de la politique monétaire sur l'économie


Au-delà des réactions du marché, nous utilisons un modèle macroéconomique bien connu – un modèle à vecteur autorégressif bayésien, BVAR, avec des restrictions de signe et de narratif – pour retracer les effets de la politique monétaire sur l'économie de la zone euro. Nous imposons des restrictions de signes minimales pour identifier les chocs de politique monétaire, c’est-à-dire qu’un resserrement monétaire pousse à la hausse le taux OIS à deux ans et abaisse les prix des actions, au moins pour quelques périodes. Nous intégrons ensuite des informations provenant de quelques événements de communication clés, ce que l’on appelle « restrictions de narratif », c'est-à-dire des événements qui ont donné de signaux importants de politique monétaire (chocs de type « Target » et « Path ») observés à la fois pendant les réunions régulières de la BCE et en cas de communication entre les réunions. Ces chocs constituent la base de nos restrictions de narratif : nous contraignons le signe du choc de politique monétaire pour les mois spécifiques où les taux d’intérêt ont fortement évolué en réaction à ces événements de communication clés. Dans notre échantillon, la moitié des valeurs les plus élevées de ces deux types de chocs (en termes absolus) proviennent d'événements IMC. Par exemple, le discours prononcé par Jean-Claude Trichet en novembre 2005 qui est illustré dans le graphique 1 constitue un événement IMC utilisé comme restriction de narratif.
 
Le graphique 2 étudie l’effet d’un choc de resserrement monétaire de 25 points de base sur le taux OIS à deux ans. Les réactions au choc identifié à l’aide de narratifs basés sur les événements IMC sont représentées par la ligne rouge et celles basées sur des narratifs tirés des annonces de l’ECBGC sont représentées par la ligne noire. Dans les deux cas, les réactions médianes montrent une baisse de l’inflation (IPCH) et une hausse du chômage en cas de choc de resserrement, en ligne avec les anticipations théoriques. Toutefois, bien que les estimations ponctuelles soient très similaires, les bandes crédibles reflétées par la zone ombrée sont nettement plus étroites pour le modèle qui utilise des restrictions de narratif relatives à l’IMC. En revanche, la réaction du taux de chômage n’est pas significative dans le modèle qui n’utilise que des restrictions de narratif relatives à l’ECBGC.


Graphique 2. Les effets des chocs de politique monétaire sur la macroéconomie
 

Image Graphique 2. Les effets des chocs de politique monétaire sur la macroéconomie Thématique BCE Politique monétaire Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Istrefi, Odendahl et Sestieri (2025).
Notes : La ligne noire représente la médiane des fonctions de réponse impulsionnelle à un choc de politique monétaire de 25 points de base lorsque l’on utilise un modèle vectoriel autorégressif bayésien identifié avec des restrictions de signe et de narratif sur la base des événements de l’ECBGC. La ligne rouge et la zone ombrée rouge représentent la réaction lorsque l’on utilise un modèle BVAR identifié avec des restrictions de signe et de narratif sur la base des événements IMC. L’unité de l’axe des abscisses est le mois.

Dans l’ensemble, notre étude montre que la communication en dehors des réunions fait réagir les marchés tout autant que les annonces de politique monétaire officielles de la BCE. Comme les réunions de politique monétaire, l’IMC transmet des signaux riches en informations sur les perspectives économiques et la trajectoire de politique monétaire. Fait important, les surprises fondées sur l’IMC peuvent être utilisées pour identifier les chocs de politique monétaire avec des effets significatifs sur l’activité et l’inflation de la zone euro.

Mise à jour le 1 Août 2025