Bloc-notes Éco

Le rôle stabilisateur du crédit inter-entreprises accordé par les fournisseurs étrangers dans les économies émergentes

Mise en ligne le 28 Juillet 2025
Auteurs : Maéva Silvestrini

Billet de blog 410. Les chocs monétaires internationaux affectent fortement les économies émergentes : une hausse des taux directeurs américains y entraine souvent des sorties de capitaux et un moindre accès au crédit bancaire. Ce billet confirme le rôle stabilisateur crucial, mais peu connu, d’une autre source de financement face à ces chocs : le crédit inter-entreprises accordé par les fournisseurs étrangers.

Figure 1 : Fonctionnement du crédit inter-entreprises

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Source : Auteurs

Le crédit inter-entreprises : un instrument de financement méconnu mais essentiel

Le crédit inter-entreprises (ou « crédit commercial » et trade credit en anglais) correspond au délai de paiement qu’un fournisseur accorde à son client lors de la vente d’un bien ou un service. Au lieu d’un règlement immédiat, l’acheteur règle sa facture, en moyenne après 30 à 90 jours, créant de facto une forme de crédit inter-entreprises.

Ce crédit joue plusieurs rôles :

  • Il permet aux acheteurs de gérer leur trésorerie, sans avoir besoin d’avancer les frais avant la vente des produits finaux.
  • Il évite la participation directe d’intermédiaires comme les banques auprès des acheteurs, et donc les frais associés.
  • Il offre un accès au financement à des acheteurs jugés trop risqués par les banques, grâce à la connaissance fine qu’a le fournisseur de son client et de son secteur.

Dans les économies émergentes, ce mode de financement est très répandu (Figure 2), parfois même davantage que le crédit bancaire. Néanmoins, malgré sa popularité, cet outil reste peu étudié, car les données en jeu sont souvent privées et donc confidentielles. 

Figure 2 : Sources de financement du fonds de roulement (working capital), en %
 

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Note: Avancés : Allemagne, Espagne, France, Italie, Portugal. Émergents : Afrique du Sud, Brésil, Inde, Indonésie, Mexique, Turquie. La catégorie ‘Autres’ contient notamment le financement non bancaire ainsi que des modes de financement informels. Source: Banque Mondiale, calculs des auteurs. Période d’étude : 2007-2021.

Quelle réaction attendue du crédit inter-entreprises après un resserrement monétaire américain ?

Les décisions de la Réserve fédérale américaine (Fed) influencent largement les conditions financières à l’échelle mondiale. Une hausse des taux directeurs américains tend à provoquer des sorties de capitaux hors des pays émergents du fait d’un rendement accru des actifs en USD, entraînant, dans ces pays émergents, une dépréciation de la monnaie locale, une pression à la hausse sur les taux d’intérêt domestiques, et, in fine, un resserrement général des conditions monétaires. Cette dynamique complique l’accès aux financements traditionnels, tels que le crédit bancaire.

Dans ce contexte, les entreprises des pays émergents peuvent chercher à compenser la baisse de l'accès aux financements classiques en sollicitant davantage leurs fournisseurs. Toutefois, ces derniers peuvent également être affectés par le resserrement des conditions financières. Cela peut les amener à réduire les crédits inter-entreprises  accordés. Ainsi, face à un choc monétaire américain, deux effets opposés peuvent se manifester :

  • Soit le crédit inter-entreprises augmente pour pallier la raréfaction des financements bancaires (effet stabilisateur).
  • Soit il diminue, car les fournisseurs sont eux aussi en difficulté et réduisent l’octroi de crédit à leurs clients (effet amplificateur).

En raison du manque de données disponibles, les études sur le sujet sont rares. Grace à une nouvelle base de données, nous nous proposons de tester empiriquement cet impact et les mécanismes associés.

Le crédit inter-entreprises comme amortisseur face aux chocs monétaires américains

Notre étude s’appuie sur des données inédites de l’assureur-crédit Coface, couvrant 10 ans d’accords de crédits inter-entreprises (2010-2019) entre des fournisseurs étrangers, issus d’économies avancées et émergentes, et des entreprises importatrices situées dans six grandes économies émergentes, historiquement sensibles aux décisions monétaires des États-Unis : Afrique du Sud, Brésil, Inde, Indonésie, Mexique et Turquie. 

Les résultats montrent qu’en réponse à un resserrement inattendu de la politique monétaire de la Fed :

  • Le volume de crédit inter-entreprises accordé aux entreprises importatrices des pays émergents par les fournisseurs étrangers augmente sensiblement, avec un effet maximum atteint environ neuf mois après le choc.
  • Une hausse non anticipée de 2,5 points de base du taux souverain américain à deux ans entraîne en moyenne une augmentation de 0,4 % du montant de crédit fournisseur après trois trimestres. (Figure 3)
  • Cette hausse est plus forte pour les entreprises de moindre qualité financière. En effet, ces entreprises - qui sont les plus contraintes financièrement – sont les plus affectées par le resserrement du crédit bancaire du fait d’un risque perçu plus élevé. Ainsi, elles demandent relativement plus de financement à leurs fournisseurs étrangers.

Par ailleurs, nous montrons que cet effet transite bien par une contraction des conditions financières dans les différents pays émergents suite à un choc monétaire américain : puisque les conditions financières y sont plus difficiles, les acheteurs de ces pays se tournent vers leurs fournisseurs pour équilibrer leur trésorerie, et ce, quelle que soit l’origine du fournisseur. 

Ces résultats révèlent que le crédit fournisseur agit comme un outil de stabilisation, en prenant le relais du crédit bancaire lorsque celui-ci se contracte. Ce rôle est particulièrement visible dans les relations commerciales établies de longue date entre un fournisseur et son client, par opposition aux nouvelles relations. La durée de la relation influence la confiance entre les deux partenaires, permettant ainsi d’assouplir temporairement les conditions de financement pour les acheteurs les plus exposés.

Figure 3 : Effet d’une surprise de politique monétaire US sur le crédit inter-entreprises 

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Note : Le graphique montre l’impact d’un resserrement inattendu de la politique monétaire US d’un écart-type (de 2,5 points de base) sur le crédit inter-entreprises octroyé aux entreprises des économies émergentes, 1 à 12 mois plus tard. Un coefficient de 0,001 indique une augmentation de 0,1% du crédit inter-entreprises. Intervalles de confiance à 95% associés aux coefficients. Source : Calculs des auteurs.

Le crédit inter-entreprises s’impose donc comme un amortisseur crucial face aux effets de la politique monétaire américaine sur les conditions financières dans les pays émergents. Il complète les autres formes de financement non bancaires, et protège ainsi les entreprises des pays émergents lorsqu’elles sont exclues du crédit octroyé par les banques.

Mise à jour le 28 Juillet 2025