Bloc-notes Éco

Inflation et confiance en la banque centrale dans les économies non-avancées

Mise en ligne le 11 Décembre 2025
Auteurs : Aurélien Guillou, Albin Salmon, Paul Vertier

Billet de blog 423. Des données d’enquêtes couvrant cent « économies non-avancées » permettent d’établir une corrélation négative entre inflation et confiance en la banque centrale, plus marquée en régime de ciblage d’inflation. Si cette confiance est affectée par divers facteurs et influence aussi l’inflation, elle dépend de la capacité de la banque centrale à respecter ses objectifs de politique monétaire.

Graphique 1 : Effet d’une hausse de l’inflation en moyenne annuelle sur la confiance en la banque centrale

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Source: Pour la confiance: World Bank Country Surveys 2019-2023. Pour les données pays : Banque mondiale, Polity, CBI Data.
Note : une hausse de 1 point de pourcentage (pp) de l’inflation en moyenne annuelle est associée à une baisse du niveau de confiance déclarée en la banque centrale au cours de la même année de 0,025 unité(sur une échelle de 1 à 10). Estimation nette de l’année d’enquête, de caractéristiques macroéconomiques et politiques du pays d’enquête, de caractéristiques du répondant et de sa confiance en le gouvernement. Intervalles de confiance à 95 %.

Inflation et confiance en la banque centrale : un lien peu documenté dans les économies non-avancées

L’efficacité de la politique monétaire repose de façon cruciale sur la confiance que les citoyens lui accordent. Le maintien de cette confiance est au cœur de la stratégie de politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE, 2025) mais également de diverses banques centrales, à la fois dans les économies avancées et dans les économies émergentes ou en développement (EMDE). Comprendre les déterminants de cette confiance est donc essentiel pour améliorer la transmission de la politique monétaire. Néanmoins, si la littérature a souvent étudié les déterminants de concepts proches, telle que la crédibilité de la banque centrale, qui reflète sa capacité à atteindre ses objectifs, elle a moins souvent examiné les ressorts de la confiance. Contrairement à la notion de crédibilité, qui peut se mesurer grâce à des données macroéconomiques aisément observables (Jung et al., 2025), la confiance relève d’aspects plus subjectifs comme la perception individuelle de l’action de la banque centrale (Blinder et al., 2024), et ne peut se mesurer qu’à l’aide de données d’enquête à la disponibilité plus limitée.

Les travaux existants ont montré que la confiance en la banque centrale dépend de facteurs individuels, institutionnels ou macroéconomiques. Parmi ces derniers facteurs, le rôle de l’inflation est central. Des analyses récentes notamment en zone euro (voir Ehrmann, 2024 pour une synthèse), suggèrent ainsi que les hausses de l’inflation des dernières années ont conduit à réduire la confiance envers la banque centrale. En retour, une baisse de la confiance engendrerait un moindre ancrage des anticipations d’inflation et pourrait contribuer à un accroissement de l’inflation. Toutefois, les travaux ayant documenté de tels effets se restreignent quasi exclusivement aux économies avancées, en particulier à la zone euro, pour des raisons de disponibilité des données : l’Eurobaromètre est en effet la seule enquête transversale entre pays à documenter de façon systématique des estimations de confiance envers la banque centrale. 

Étendre de telles analyses aux EMDE serait pourtant particulièrement utile. En effet, d’une part, ces dernières sont caractérisées par une inflation en moyenne plus élevée et plus volatile que dans les économies avancées. En 2024, selon le FMI, l’inflation a atteint en moyenne 7,7 % pour les EMDE, contre 2,6 % dans les économies avancées et a connu une forte dispersion, allant de - 0,5 % à environ 700 % dans les EMDE contre un intervalle de 0,7 % à 5,9 % dans les économies avancées. D’autre part, les cadres de politique monétaire des EMDE diffèrent de ceux des économies avancées et sont plus variés. En effet, si l’objectif principal des banques centrales est généralement la stabilité des prix, toutes ne ciblent pas les mêmes agrégats pour y parvenir. Alors que les banques centrales des économies avancées optent quasi exclusivement pour un change non-fixe (87 % en 2023 selon le rapport ARE-AER du FMI) et un ciblage d’inflation (84 % en 2023), dans les EMDE le change fixe est encore largement répandu (53 % en 2023, incluant notamment les zones CEMAC, UEMOA et les pays de l’Aire monétaire d’Afrique australe hors Afrique du Sud), et le ciblage d’inflation est minoritaire (23 %). En outre, 17 % des banques centrales d’EMDE optent pour un ciblage de masse monétaire, alors que ce n’est désormais plus le cas des banques centrales d’économies avancées. 

Or, le cadre de politique monétaire est susceptible d’affecter la relation entre inflation et confiance envers la banque centrale. Il est en effet possible qu’un niveau d’inflation élevé affecte plus fortement la confiance en la banque centrale si celle-ci cible l’inflation que si elle cible un autre agrégat. Cependant, il est également possible que d’autres facteurs puissent influencer le lien entre inflation et confiance, tels que le niveau d’indépendance de la banque centrale ou la responsabilité que les citoyens attribuent au gouvernement en matière d’inflation. Ceci pourrait dès lors amoindrir l’effet du cadre de politique monétaire sur le lien entre inflation et confiance envers la banque centrale. En raison de la focalisation de la littérature sur les économies avancées, dont les cadres de politique monétaire reposent largement sur le ciblage d’inflation, de telles hypothèses n’ont pas pu être testées empiriquement.

Dans les EMDE, une corrélation négative entre inflation et confiance en la banque centrale, accrue en ciblage d’inflation

Les données des World Bank Country Surveys constituent une source précieuse pour pallier le manque d’enquêtes documentant la confiance envers la banque centrale dans les EMDE, et pour analyser le lien entre cette dernière, l’inflation et le cadre de politique monétaire. Collectées par la Banque mondiale au sein de 133 pays dans lesquels elle intervient, ces données recensent les perceptions de ses clients et partenaires, et notamment, depuis 2019, la confiance déclarée envers la banque centrale. Il s’agit, à notre connaissance, de la seule base de données publique contenant de telles informations dans un grand nombre d’EMDE : elle semble donc particulièrement adaptée pour éclairer, dans ces pays, le lien entre confiance en la banque centrale, inflation et cadre de politique monétaire.

Afin d’étudier ce lien, nous assemblons les données de 140 enquêtes annuelles menées entre 2019 et 2023, portant sur 37 119 individus dans 100 pays. Pour chacun d’entre eux, nous identifions la confiance déclarée en la banque centrale, qui peut aller de 1 (pas de confiance du tout) à 10 (confiance totale). Dans l’ensemble, le niveau médian de confiance déclarée dans l’échantillon est de 7, avec un premier quartile à 5 et un troisième quartile à 8. Malgré une forte dispersion de la confiance déclarée par les répondants, cette dernière est un peu plus élevée lorsque la banque centrale est en régime de change flexible et en ciblage d’inflation, et ce de façon statistiquement significative (Graphique 2). 

Graphique 2 : Distribution de la confiance moyenne déclarée en la banque centrale

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Source: World Bank Country Surveys 2019-2023.
Note : parmi les pays à change flexible et à ciblage d’inflation, la médiane des niveaux de confiance moyens en la banque centrale est de 7, le premier quartile est d’environ 6 et le dernier quartile est d’environ 7,5.

Nous régressons ensuite ces données déclaratives individuelles sur le niveau d’inflation et le cadre de politique monétaire du pays en vigueur au cours de l’année d’enquête, en distinguant les économies en régime de change fixe et les économies en change flexible, et, parmi ces dernières, celles en ciblage d’inflation, et en ciblage de masse monétaire. Nous contrôlons pour divers facteurs pouvant être corrélés avec les variables d’intérêt, à la fois au niveau de l’individu (genre, secteur d’activité, confiance déclarée en le gouvernement) et du pays d’enquête (niveau et croissance du PIB par habitant, taux de chômage, indépendance de la banque centrale, type de régime politique, qualité de la gouvernance). Nous contrôlons également pour l’année d’enquête, notamment afin de capturer les effets de chocs mondiaux communs à tous les pays. 

Ce cadre d’analyse est sujet à diverses limites inhérentes à la qualité des données d’enquête. D’une part, les individus interrogés ne sont pas représentatifs de la population de leurs pays, la moitié d’entre eux étant des agents publics. L’inclusion de contrôles relatifs au secteur d’activité du répondant, et à la confiance qu’il accorde au gouvernement, vise toutefois à limiter les possibles biais associés à cette absence de représentativité. D’autre part, l’enquête ne permet pas d’expliciter les raisons du score de confiance donné par l’individu, ni la façon dont il interprète le terme de confiance. Enfin, dans la mesure où la confiance est susceptible d’avoir des effets sur l’inflation, ce cadre d’analyse ne permet pas, à lui seul, de conclure à un lien causal entre inflation et confiance envers la banque centrale. Néanmoins, la richesse de ces données permet d’envisager une première analyse systématique du lien entre inflation, cadre de politique monétaire et confiance en la banque centrale. 

Les résultats de cette analyse indiquent qu’en moyenne, dans l’ensemble de l’échantillon, une inflation accrue réduit significativement la confiance en la banque centrale (Graphique 1). Même si beaucoup d’autres facteurs expliquent le niveau de la confiance, une hausse de l’inflation en moyenne annuelle de 1 point de pourcentage (pp) réduit ainsi le score de confiance déclaré la même année d’environ de 0,025 unité. Cet effet est significativement plus marqué quand la banque centrale cible l’inflation : dans ce cas, une hausse de l’inflation de 1 pp réduit le score de confiance déclaré de 0,035 unité. 

Au sein des EMDE, une inflation accrue semble donc associée à une moindre confiance en la banque centrale, avec un effet plus marqué si la banque centrale cible l’inflation. Ce dernier résultat suggère, plus largement, que la confiance des citoyens envers la banque centrale dépend de la capacité de cette dernière à respecter les objectifs fixés dans son cadre de politique monétaire. 

Le développement d’enquêtes couvrant un périmètre géographique aussi large que possible, (EMDE et économies avancées), et recensant à la fois la confiance déclarée envers la banque centrale et des estimations de l’inflation perçue par les individus, permettrait d’accroître la robustesse de l’analyse et le cas échéant, d’en généraliser la portée.

Mise à jour le 11 Décembre 2025