Alors que les effets du réchauffement climatique s'intensifient, les villes, où vivront près de 70 % de l'humanité d'ici 2050, sont confrontées à un défi majeur. Le changement climatique entraîne une augmentation de la fréquence, de l'intensité et de la durée des vagues de chaleur, même dans les pays à climat tempéré. Les vagues de chaleur autrefois considérées comme exceptionnelles, comme celle de 2003 en France, pourraient devenir la nouvelle norme d'ici la fin du siècle et se produire pendant une plus grande partie de l'été. L'environnement urbain exacerbe les effets des vagues de chaleur en créant des îlots de chaleur urbains (ICU). La concentration urbaine entraîne des températures plus élevées, en particulier la nuit, car les matériaux de construction, les routes et les infrastructures de mauvaise qualité absorbent et retiennent la chaleur. Les ICU sont également amplifiés par le manque d'espaces verts et de végétation et par la chaleur générée par les activités humaines (moteurs, climatisation).
Les températures extrêmes peuvent être la cause directe de décès en provoquant des coups de chaleur, de l'hyperthermie et de la déshydratation. Certaines populations sont particulièrement vulnérables, comme les personnes âgées et les jeunes enfants, mais aussi les personnes à faibles revenus, car elles présentent un état de santé plus fragile que l'ensemble de la population. En outre, les populations à faibles revenus n'ont pas les moyens de quitter la ville pendant les vagues de chaleur pour aller dans une location ou une résidence secondaire, comme le font les ménages plus aisés. Leur principale stratégie d'adaptation consiste à rester dans leur logement mal isolé, où ils n'ont pas prise sur la situation thermique, notamment parce qu'ils n'ont pas les moyens de rafraîchir leur logement avec un système de climatisation.
Cet article présente la première analyse de l'inégalité climatique par rapport aux ICU en France. Nous mesurons l'exposition aux ICU des ménages en fonction de leur revenu dans les principales villes françaises. Pour ce faire, nous produisons des bases de données uniques très granulaires en compilant et en appariant des données finement localisées sur la température, la végétation, la densité des bâtiments résidentiels, la hauteur et la période de construction, ainsi que les caractéristiques socio-économiques des ménages dans neuf des plus grandes villes françaises.
Nous constatons que la relation entre l'exposition aux ICU et le revenu dans une ville dépend de la répartition spatiale des ménages en fonction de leur revenu. À Paris, Bordeaux, Lille et Nantes, les ménages aisés et les ménages modestes vivent plus près du centre-ville que les ménages à revenu médian, et l'exposition aux ICU suit une courbe en U, particulièrement prononcée à Paris. À Lyon, Montpellier, Marseille, Nice et Strasbourg, les ménages aisés vivent dans des banlieues riches et l'exposition aux ICU diminue avec le revenu. Nous montrons également que dans toutes les villes, à l'exception de Paris pour la densité, les ménages plus aisés vivent en moyenne dans des quartiers plus verts, moins denses et avec des bâtiments moins élevés. Dans les villes où les ménages aisés vivent à proximité du centre-ville, ils habitent généralement dans des quartiers plus anciens. En revanche, dans les villes où ils vivent plus loin du centre-ville, ils ont tendance à habiter dans des quartiers plus récents.
Afin d'orienter les interventions des pouvoirs publics, nous identifions les principales sources d'inégalités d’exposition aux ICU en fonction du revenu dans les villes et nous quantifions leurs contributions à l'exposition inégale aux ICU en fonction des déciles de revenu. Tout d'abord, la densité des bâtiments, puis la végétation et la hauteur des bâtiments contribuent à une relation décroissante de l'exposition aux ICU avec le revenu dans toutes les villes, à l'exception de Paris pour la densité. La période de construction des immeubles résidentiels dans les quartiers explique en partie la forme en U variée dans le premier groupe de villes et la décroissance des courbes de l'exposition aux ICU en fonction du revenu dans le second. Enfin, comme les ménages les plus pauvres vivent déjà en moyenne dans des quartiers plus denses, moins verts et plus hauts, nous mettons en garde les décideurs politiques contre les impacts régressifs potentiels des politiques d'atténuation.
Enfin, nous nous concentrons sur les ménages vulnérables, définis selon des critères d'âge et de revenu, et nous constatons que, dans toutes les villes, ils sont légèrement plus exposés aux ICU que les ménages non vulnérables. Cette différence d'exposition aux ICU est principalement due au critère de revenu. En outre, nous montrons que les ménages vulnérables sont moins susceptibles d'améliorer l'isolation de leur logement car ils sont beaucoup moins susceptibles d'être propriétaires de leur logement, de fuir la ville pendant les vagues de chaleur car ils possèdent rarement un logement secondaire, ou de refroidir leur logement car la possession d'un système d'air conditionné augmente avec le revenu. Nous discutons de la faisabilité pratique d'une limitation de l'utilisation de la climatisation par les ménages exposés, qui exacerbe le stress thermique à l'extérieur.
Mots-clés : changement climatique ; îlots de chaleur urbains ; zones urbaines ; inégalités spatiales.
JEL classification: Q54; R11; R14