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Le Marché des Titres de Créance Négociables : une réussite française, une ambition européenne
Intervenant
Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 27 Novembre 2025
40 ans du marché des TCN
Paris, 27 novembre 2025
Discours de Denis Beau
Premier sous-Gouverneur de la Banque de France
Cher Christophe, Mesdames et messieurs les représentants des associations professionnelles, Mesdames et messieurs,
C’est un grand plaisir de vous accueillir ce soir dans la Galerie Dorée de la Banque de France, pour célébrer avec vous les 40 ans du marché des titres de créances négociables (TCN), marché que nous appelons marché NEU CP (pour Negotiable EUropean Commercial Paper) depuis 2016.
Permettez-moi de passer à l'anglais, par courtoisie envers les émetteurs et les investisseurs nous ayant fait l'honneur de venir de l’étranger.
Ce soir, nous réunissons les acteurs du riche écosystème qui soutient et dynamise le marché du financement à court terme : banques, entreprises, entités publiques, juristes, agences de notation, investisseurs — en particulier les fonds monétaires — et le dépositaire central de titres Euroclear.
J'ai structuré mes remarques sur le marché NEU CP autour de trois thèmes. Premièrement, la position et l’importance qu’il a acquises (I). Deuxièmement, les fondements de son succès et son rôle de référence (II). Troisièmement, notre ambition pour ce marché dans une Union pour l'épargne et l’investissement en Europe (III).
I. Le marché NEU CP : une position de leader dans l'Union européenne
Les marchés de financement à court terme constituent un instrument essentiel pour diversifier et adapter les ressources empruntées par les acteurs économiques aux besoins de financement de leurs activités. En complétant le financement intermédié par les banques, le marché NEU CP, en tant que marché de financement, offre aux émetteurs la flexibilité nécessaire pour adapter leurs stratégies de financement à l’évolution des besoins et des conditions de marché en termes d’échéances, de structures de taux d’intérêt et de monnaies d’émission.
Au sein de l’Union européenne (UE), selon les statistiques de la BCE, l’encours des titres à court terme émis par les résidents de l’UE s’est élevé à environ 2 000 milliards d’euros en octobre 2025. L’émission de ces instruments est répartie entre les entités financières (1 124 milliards d’euros), les entités publiques (795 milliards d’euros) et les sociétés non financières (103 milliards d’euros). Une part importante de ces instruments prend la forme de billets de trésorerie (commercial paper - CP) ou de certificats de dépôt (CD), ce qui souligne leur rôle central dans les stratégies de financement à court terme.
Dans ce contexte, le marché NEU CP est un véritable succès et constitue une référence pour toutes les parties prenantes. Avec environ 310 milliards d’euros d’encours à fin octobre 2025 (350 milliards d’euros si l’on inclut les titres de créances à moyen terme (NEU Medium Term Notes)), il s’agit d’un marché de première importance : (a) le marché NEU CP est leader sur les émissions libellées en euros pour toutes les catégories d’émetteurs ; (b) il est leader sur les émissions des sociétés non financières toutes devises confondues ; et (c) les NEU CP libellées en euros représentent environ la moitié des émissions en euros labellisées STEP.
Pour les sociétés non financières, l’encours de titres NEU CP s’élève actuellement à environ 64 milliards d’euros pour les seules entités établies en France, soit un peu moins de 10 % de l’endettement total qu’elles lèvent sur les marchés.
En outre, du point de vue de la politique monétaire, grâce à son bon fonctionnement, le marché NEU CP joue pleinement son rôle dans la transmission des modifications des taux d’intérêt directeurs de la BCE. Pour les sociétés non financières, une comparaison avec les taux débiteurs bancaires révèle une transmission nettement plus forte sur le marché NEU CP à un horizon d’un mois : le recours au marché NEU CP offre donc aux entreprises des avantages en termes de conditions de financement, non seulement sur le plan structurel en termes de niveaux, mais également pendant les phases d’assouplissement monétaire, en raison de la transmission plus rapide.
Toutefois, nous devons également reconnaître que le marché du CP — y compris le marché NEU CP — s’est également montré vulnérable lors des épisodes de stress sévères, comme on l’a vu en mars 2020. En réponse à des pénuries de liquidité exceptionnelles, l’Eurosystème est intervenu dans le cadre du CSPP en achetant des titres à court terme émis par des sociétés non financières. À l’avenir, il sera important de renforcer davantage la résilience de ce segment du marché grâce aux mesures d’atténuation du risque systémique préconisées par le Conseil de stabilité financière en 20241, telles que l’amélioration des microstructures de marché (par exemple grâce à une digitalisation accrue) et le renforcement de la transparence des données tant pour les acteurs du marché que pour les autorités publiques. Le NEU CP est « le meilleur de sa catégorie » à cet égard, mais il peut néanmoins encore progresser.
II. Les fondements du succès : le marché NEU CP comme « marché modèle »
J'en arrive maintenant au deuxième thème de mes remarques, les fondements de ce succès. Je voudrais ici en souligner trois.
1/ Tout d'abord, le marché bénéficie d'un cadre réglementaire, modernisé par les autorités au fil du temps, qui offre aux participants sécurité et transparence. Ce cadre définit la nature juridique des instruments, précise l’éventail des émetteurs éligibles et fixe les conditions d’émission. Dans l’ensemble, il tend à réduire les coûts d’accès juridiques pour les émetteurs, tout en évoluant au fil du temps vers une plus grande simplicité.
Avec le recul, il est frappant de constater que certains des paramètres les plus structurels du marché, tels que nous les connaissons aujourd’hui, remontent presque à sa création, à savoir le rôle de surveillance de la Banque de France et la transparence du marché.
Le rôle que nous jouons dans la vérification des conditions d’émission, combiné à un cadre juridique clair, rassure les investisseurs et réduit les coûts d’accès pour les émetteurs. Il complète le mécanisme de réduction des asymétries d’information associé à l’obligation d’avoir au moins une notation du programme, délivrée par des agences agréées par l’AEMF et acceptées sur le marché.
Le niveau très élevé de transparence du marché NEU CP constitue peut-être sa caractéristique la plus distinctive et sa plus grande force par rapport aux marchés homologues. Cette transparence offre des avantages dont nous avons tiré parti pour promouvoir les programmes et les émissions à caractéristiques ESG.
2/ Le marché bénéficie également de la robustesse et de l'efficacité de son infrastructure post-négociation. L’infrastructure d’Euroclear France est connectée à la plateforme T2S de l’Eurosystème, permettant le règlement en monnaie de banque centrale.
3/ Enfin, un troisième fondement, intrinsèquement lié aux deux premiers que j’ai soulignés, est son acceptation de longue date par la BCE dans le cadre de sa politique de collatéral. Cette acceptation est réévaluée chaque année au regard de trois principes clés pour l’Eurosystème : sécurité, transparence et accessibilité. L’éligibilité est une dimension essentielle pour les investisseurs et un avantage supplémentaire en termes de liquidité.
III. Promouvoir le marché NEU CP au sein de l’Union européenne pour l’épargne et l’investissement
Je conclurai ce soir mes remarques en évoquant le projet d’une Union pour l'épargne et l’investissement (UEI) en Europe et les ambitions que nous nourrissons pour le marché NEU CP dans ce contexte.
Dans l’Union européenne dans son ensemble, les marchés de la dette à court terme conservent un fort potentiel de développement, en particulier en ce qui concerne les émissions par les sociétés non financières. Toutefois, ils restent extrêmement fragmentés en termes de cadres juridiques, d’exigences de transparence, d’infrastructure post-négociation et de bases d’investisseurs. Cela est illustré dans un récent rapport de l'ICMA2.
Au niveau national, nous travaillons, avec la Direction générale du Trésor et la communauté financière, afin de rendre le marché NEU CP plus ouvert et plus attractif pour les participants de l’UE. Une nouvelle réforme réglementaire sera introduite en 2026. Le projet est en voie d’achèvement et devrait permettre de réduire les barrières à l’entrée pour les émetteurs français et européens. Elle entend : (a) autoriser tous les agents domiciliataires établis au sein de l’UE ; (b) élargir l’éventail des formes juridiques acceptées pour les sociétés non financières ; (c) assouplir les conditions applicables aux garants de programmes ; et (d) introduire des mesures de simplification, telles que la suppression de l’exigence de notation du programme si l’émetteur est lui-même déjà noté, et l’harmonisation du montant minimum d’émission avec celui du label STEP, à 100 000 euros.
D'un point de vue juridique et réglementaire, nous atteignons probablement les limites de ce qui peut être réalisé au niveau national. Pour renforcer davantage l’intégration des marchés des titres à court terme, des mesures ambitieuses sont également nécessaires au niveau de l’Union.
Plus d’Europe signifie que nous devons améliorer la capacité des programmes de CP à « circuler » au sein de l’UE. Un passeport européen unique pour les émetteurs de CP, sur le modèle de la directive Prospectus relative aux obligations, réduirait les coûts et les contraintes pour les émetteurs et élargirait l’univers d’investissement pour les souscripteurs. Cette « circulation » des programmes ne peut être envisagée que dans un cadre fortement harmonisé. Cette ambition pourrait s’appuyer sur le marché NEU CP, pour toutes les raisons que j’ai exposées ce soir, ainsi que sur le label STEP.
Enfin, l’innovation technologique peut également contribuer à renforcer davantage l’intégration des marchés des titres à court terme.
C’est pourquoi, le 10 octobre dernier, nous avons lancé le projet Pythagore avec Euroclear : une initiative ambitieuse visant à migrer progressivement le marché NEU CP vers une infrastructure de type DLT, fournie par Euroclear. Il ne s’agit pas de mener des expériences isolées ; il s’agit d’une approche à moyen terme visant à moderniser en profondeur les processus post-négociation pour tous les participants en renforçant l’automatisation, la standardisation et la vitesse des transactions. En favorisant l'efficacité opérationnelle, la réduction des coûts et la transparence, la tokenisation sera au service de l'UEI. De plus, Pythagore fera également — à l’automne 2026 — du NEU CP un des premiers marchés à adopter le règlement en monnaie numérique de banque centrale (MNBC) de gros. L’alignement sur PONTES, le projet de MNBC de gros de l’Eurosystème, est pleinement cohérent avec le fonctionnement actuel du marché NEU CP : les titres NEU CP sont actuellement réglés en monnaie de banque centrale.
En conclusion, le marché NEU CP illustre ce qui peut être réalisé lorsque l’engagement des autorités et celui de l’industrie convergent en vue de promouvoir un marché transparent, robuste et innovant. Notre défi collectif consiste désormais à nous appuyer sur ces fondations, en exploitant la technologie et la dynamique de l'UEI pour contribuer à un marché européen véritablement intégré pour les instruments de dette à court terme.
Je vous remercie de votre attention.
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Mise à jour le 17 Décembre 2025