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Le Figaro : « Si notre pays restait dans le déni budgétaire, il risquerait l’enfoncement progressif »
Mise en ligne le 17 Décembre 2024

Entretien du Gouverneur de la Banque de France au journal « Le Figaro » du 17 décembre 2024.
À peine le nouveau premier ministre François Bayrou nommé, l’agence Moody’s dégrade la note de la dette française. Quelle leçon en tirez-vous ?
François VILLEROY DE GALHAU - Le calendrier paraît être de la part de Moody’s une coïncidence malencontreuse : c’est bien sûr l’instabilité provoquée par la censure du 4 décembre qui est en cause, pas la nomination du premier ministre. Sur le fond, c’est techniquement un alignement sur la notation des autres agences, mais c’est aussi le rappel que notre pays doit évidemment réduire ses déficits budgétaires.
Quelles doivent être selon vous les priorités du premier ministre en matière de finances publiques et de politique économique ?
Je souhaite d’abord naturellement, pour notre pays, le succès au nouveau premier ministre. Pour commencer par le bon diagnostic, l’économie française et européenne souffrait depuis trois ans d’une maladie aiguë : l’inflation ; elle est en train d’être vaincue. Du coup, notre économie retrouve ses maladies chroniques. Deux sont traditionnellement françaises : l’emploi, sur laquelle nous avons réalisé de sérieux progrès depuis dix ans ; et hélas les finances publiques, qu’il faut maintenant impérativement traiter. S’y ajoute une maladie collective européenne : la faiblesse de la croissance.
Si le nouveau gouvernement devait adopter un budget 2025 avec un déficit supérieur aux 5 % qui étaient visés par le gouvernement Barnier, quelles seraient les conséquences ?
La censure du précédent gouvernement ne doit pas déboucher sur un déni de réalité : notre problème de finances publiques n’a pas disparu, au contraire. Un premier symptôme en est l’écart entre les taux d’intérêt français et ceux d’autres pays, le désormais fameux « spread ». Début juin, notre taux était assez proche de l’Allemagne, à 0,5 % seulement d’écart, et bien en dessous de l’Italie, à 0,9 %. Aujourd’hui, c’est l’inverse : nous nous sommes éloignés de l’Allemagne, à 0,8 %, et rapprochés de l’Italie, à seulement 0,3 % au-dessous. Entre-temps, la France a été dépassée par l’Espagne, le Portugal et même la Grèce, qui empruntent moins cher. Autrement dit, la France, qui était dans le peloton de tête européen, glisse vers la queue. Cette dérive représente un surcoût financier pour toute notre économie, mais aussi un déclin potentiellement grave de notre statut politique en ¬Europe.
Autres symptômes : notre pays a la prévision de déficit la plus élevée de la zone euro pour 2025 et est le seul qui n’a pas réduit sa dette après la crise du Covid. L’année prochaine, les intérêts que nous devons sur la dette - dépense héritée du passé - vont pour la première fois dépasser le budget de l’Éducation nationale, qui est la dépense d’avenir par excellence.
C’est donc une question d’intérêt national, qui doit transcender les divers intérêts partisans ou personnels. Mais si notre pays restait dans le déni budgétaire du fait des zizanies politiques, il risquerait l’enfoncement économique et européen progressif.
Le redressement des comptes publics peut-il nuire à la croissance ?
Non, la France n’a pas aujourd’hui à choisir entre le redressement budgétaire et la croissance. Nous ne savons pas quel sera précisément le déficit budgétaire l’an prochain : nous nous fondons donc dans nos prévisions sur une hypothèse de travail se situant entre 5 % et 5,5 % du PIB associée à l’adoption d’un nouveau budget. C’est la fourchette de déficit « arrondie à 5 % », où la France serait encore dans la zone de crédibilité. À l’inverse, si notre déficit devait être plus haut, vers les 6 %, notre pays serait dans la zone de fragilité, avec sanction européenne et risque de perte de confiance des investisseurs.
En outre, cela n’améliorerait pas la prévision de croissance, car moins de consolidation budgétaire générerait plus d’incertitude. Ce qu’on gagnerait apparemment en soutien keynésien traditionnel serait plus que perdu du côté de la confiance, sur les investissements des entreprises comme sur la consommation des ménages. Ceux-ci sont aujourd’hui 86 % à être inquiets du niveau de la dette.
Comment redresser nos finances publiques ?
Notre destin budgétaire est heureusement encore entre nos mains. La solution passe d’abord par des économies de dépenses, pour une raison non idéologique mais très pratique : notre modèle social, auquel je suis très attaché, nous coûte nettement plus cher que chez nos voisins. Les dépenses publiques en France représentent 57 % du PIB en 2023, contre 47,7 % en moyenne dans le reste de la zone euro. Ce qui fait 9,3 points de différence, soit 260 milliards d’euros. Si nous parvenons à des dépenses plus efficaces sur une partie de cet écart, nous aurons en grande partie résolu notre problème de finances publiques. Je ne dis pas que cela est facile, mais c’est possible. Ceci dit, pour commencer le redressement en 2025, des hausses d’impôt ciblées sont sans doute également nécessaires : ciblées, c’est-à-dire ne touchant pas les PME ni l’ensemble des classes moyennes.
Au-delà d’un déficit 2025 « proche des 5 % », il y a une autre ancre impérative : revenir d’ici 2029 à 3 % de déficit. C’est le respect de nos propres engagements européens ; c’est surtout le niveau de déficit qui enfin stabilisera notre endettement par rapport au PIB, en nous ramenant à « l’équilibre primaire » du budget, hors charges d’intérêts. Pour ces années suivantes, les économies de dépenses, plus lentes à mettre en place, seront fondamentales.
Les plans sociaux se multiplient. Les entrepreneurs sont nombreux à geler leurs embauches. Voyez-vous une remontée du chômage en 2025 ?
N’oublions pas notre succès dans la durée : depuis 2014, la France a créé plus de 2 millions d’emplois et le taux de chômage est passé de plus de 10 % à l’époque à 7,4 % en 2024. Nous prévoyons une remontée modérée, qui se situerait temporairement entre 7,5 et 8 % en 2025-2026. Les plans sociaux sont une réalité difficile, mais il y a aussi des créations d’emplois. Un tiers (32 %) des entreprises se plaint encore de difficultés de recrutement. La France n’est pas encore arrivée au plein-emploi, soit un taux de chômage limité, à 5 %, mais il faut garder ce cap. Et il faut pour cela accélérer la croissance en Europe.
Comment faire?
La « croissance potentielle » - la vitesse de croisière de l’économie - a été divisée par deux en vingt ans, à un peu plus de 1 % en France, un peu moins en Allemagne. Et l’écart avec les États-Unis se creuse. Si l’élection présidentielle américaine doit servir à une chose, c’est bien à réveiller l’Europe. Nous, Européens, avons des atouts mais ils sont trop souvent divisés par 27. Les rapports Draghi et Letta ont bien tracé la route en proposant des solutions qui ne coûtent pas. Approfondir le marché unique qui pèse autant que le marché américain mais est beaucoup trop fragmenté ; réaliser l’Union de l’épargne et de l’investissement pour utiliser en Europe nos 300 milliards d’euros d’épargne qui s’en vont ailleurs chaque année. Enfin, nous avons trop de normes et de bureaucratie, et pas assez d’innovation. Venant de Mario Draghi, cet appel aux simplifications, qui rejoint les aspirations très fortes des PME comme de nos concitoyens, a du poids.
Dans ce contexte assez morose, un point positif ressort : l’inflation. La bataille est-elle définitivement gagnée ?
La victoire est proche, et quasiment assurée. L’inflation avait dépassé 10 % en zone euro il y a deux ans. Elle est retombée aujourd’hui à 2,3 %, et même en France à 1,7 %. L’inflation européenne devrait se stabiliser durablement autour de notre objectif de 2 % dès le premier semestre 2025. Il en ressort deux conséquences positives : la première, plus de pouvoir d’achat pour les ménages. Depuis le début 2024, les salaires croissent en moyenne plus vite que les prix en France. La consommation devrait donc repartir, sous réserve que le taux d’épargne ne remonte pas faute de confiance. Ensuite, la désinflation nous permet de baisser nos taux d’intérêt.
Jusqu’où va se poursuivre la baisse des taux de la BCE ?
Le bon sens est que nous allions dans une première étape vers ce que l’on appelle le taux neutre, c’est-à-dire la frontière entre une politique restrictive pour freiner l’inflation, et une politique accommodante - comme lors du Covid. Selon les estimations de la BCE, ce taux neutre se situe entre 1,7 % et 2,5 %. À 3 %, nos taux sont encore significativement au-dessus, même s’ils sont nettement inférieurs à ceux de la Fed américaine et de la Banque d’Angleterre.
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Mise à jour le 17 Décembre 2024