Interview

En attendant la reprise, l’économie française est résiliente

15 Mai 2024
François Villeroy de Galhau intervention

Le Gouverneur de la Banque de France, invité de la matinale de RTL.

En attendant la reprise, l’économie française est résiliente

Le Gouverneur de la Banque de France, invité de la matinale de RTL - 15/05/2024

Yves Calvi

Bonjour François Villeroy de Galhau, vous êtes gouverneur de la Banque de France. Je vous accueille avec François Lenglet, qui est resté avec nous pour cet entretien. Monsieur le Gouverneur de la Banque de France, vous avez publié hier soir vos prévisions de croissance pour le deuxième trimestre, + 0,2 % si tout va bien. C’était le même chiffre au premier trimestre, c'est une bonne nouvelle ?

François Villeroy de Galhau

Bonjour Yves Calvi. Effectivement, nous publions une enquête de terrain, qui est d’une certaine façon la meilleure photo de l’économie française, réalisée par les hommes et les femmes de la Banque de France, qui interrogent 8 500 entreprises, y compris des PME, dans l’ensemble du territoire. Nous n’avons pas donné de chiffres sur le deuxième trimestre, parce que le mois de mai est très difficile à prévoir à cause des ponts, mais nous prévoyons une croissance légèrement positive. La croissance a été de + 0,2 % au premier trimestre, c'est ce que la Banque de France avait prévu. Avril s’est plutôt passé mieux que prévu, il y a eu une résilience de l’économie française. Un secteur va globalement plutôt mieux, les services, notamment les services aux entreprises, le conseil, l’informatique, etc. Les services aux particuliers comme l’hébergement restauration ont un peu plus souffert de la météo. Mais la bonne nouvelle d’avril, c’est que l’industrie, et même le bâtiment ont progressé, nous ne nous y attendions pas.

Yves Calvi

Croissance modérée, mais croissance quand même ?

François Villeroy de Galhau

Oui. Souvenez-vous, il y a un peu plus d’un an, on craignait la récession. La France va échapper à la récession. Il y a une petite musique de la reprise, qui joue parfois en Europe. Nous attendons la reprise plutôt pour l’année prochaine et l’année suivante, aidée par la baisse de l’inflation. Entre ces deux « R » là, la récession à laquelle nous avons échappé, et la reprise qui va arriver, aujourd’hui c'est un troisième R, la résilience : l’économie française est relativement robuste.

François Lenglet

On vous entend, si ce n’est content, en tout cas encourageant. On entend Bruno Le Maire se féliciter aussi de la croissance française. Quand on se compare, notamment à l’Europe du Sud, les taux de croissance en Espagne, au Portugal, sont beaucoup plus importants, et quand on se compare à ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique, alors là, on est loin, l’Amérique fait la course en tête. Finalement cette croissance, fût-elle positive, est quand même assez modeste.

François Villeroy de Galhau

Je vais nuancer votre comparaison. Quand on compare la France à la moyenne européenne, nous sommes un peu au-dessus, aujourd’hui, notamment nettement au-dessus de l’Allemagne. Il est vrai que l’Europe du Sud a un phénomène de rattrapage, parce que ces pays avaient beaucoup souffert du Covid, et puis grâce au plan de soutien européen. Le vrai sujet est la comparaison de l’ensemble de l'Europe par rapport aux États-Unis. Nous sommes en retard de croissance et ceci dure malheureusement depuis longtemps. Il y a des raisons conjoncturelles, mais il y a une raison centrale : nous sommes en retard d'innovation. Je vais le dire autrement. Quand vous comparez la masse du marché unique européen et celle du marché unique américain, elles sont équivalentes. Nous pesons autant, mais nous sommes beaucoup moins rapides. Donc il faut pouvoir investir dans les transformations de l'Europe. Il faut pouvoir renforcer le marché unique pour jouer l'atout de la taille. Je l'ai expliqué dans la lettre au président de la République, que j'ai envoyée le mois dernier, et qui est en ligne.

Yves Calvi

Il vous écoute, le président de la République ?

François Villeroy de Galhau

Cela ne dépend pas que du Président de la République, mais de la mobilisation de tous les Européens. Des choses bougent. L’ancien Premier ministre italien Enrico Letta a remis un rapport pour approfondir le marché unique. L'Euro est par ailleurs un vrai succès, et nous allons revenir à 2 % d'inflation. Il y a une réalité simple : dans un monde dur, fragmenté, l'Europe est plus forte si elle est unie et si elle agit ensemble.

Yves Calvi

Parlons de notre dette. Sommes-nous en capacité de réduire notre déficit public ? Je rappelle qu'on doit revenir à 3 % du PIB d'ici 2027.

François Villeroy de Galhau

La dette est trop forte en France. Depuis deux ans, le débat de politique économique a été dominé par une urgence, l'inflation, qui était la première préoccupation de ceux qui nous écoutent. Il y a des bonnes nouvelles : l'inflation, qui avait culminé à 7 % il y a un an, revient vers 2 %. Je le redis, nous serons à 2 % l'an prochain. C'est un engagement. Mais au fur et à mesure que la mer de l'inflation se retire, on voit revenir les gros rochers, c'est-à-dire nos problèmes qui durent. Je vais en citer deux : il y en a un dans lequel nous avons fait beaucoup de progrès, c'est l'emploi. Il faut continuer avec l'objectif du plein emploi. Et puis il y a les finances publiques, domaine dans lequel nous n'avons pas progressé. Nous avons trop de déficits, trop de dette. C'est un problème ancien qui dure depuis 40 ans. Il va prendre du temps à être réglé.  Nous avons à peu près le même modèle social que nos voisins, simplement il nous coûte beaucoup plus cher. Nous avons plus de dépenses publiques que l'Europe du Nord, mais aussi que l'Europe du Sud. Regardons à chaque fois ce qui est le plus efficace chez nos voisins. Je crois au modèle social européen, mais nous devons essayer de mieux maîtriser la dépense.

François Lenglet

Vous dites « C'est un problème qui dure depuis 40 ans », oui. Est ce qu'il ne s'est pas aggravé quand même avec le président le plus dépensier de la Ve République, alors que nous avons l'impôt, le niveau d'impôts le plus élevé de tous les temps et de tous les pays ?

François Villeroy de Galhau

Le rôle de la Banque de France n’est pas de distribuer les bons et les mauvais points à tel ou tel dirigeant. Je crois que la contradiction française est que nous aimons bien la dépense publique - je le comprends, je suis attaché aussi aux services publics, à la protection sociale, à la redistribution par les impôts - mais nous n'aimons pas l’impôt qui finance cette dépense publique. Les déficits sont la façon de résoudre cette contradiction. Le problème est que nous transférons la facture aux générations suivantes. 

Yves Calvi

Jean-Luc Melenchon explique depuis des années qu'on ne paiera jamais notre dette.

François Villeroy de Galhau

Nous payons les intérêts sur la dette et ils pèsent de plus en plus lourd. Quand vous regardez à l'intérieur du budget, chaque année, les dépenses qui sont liées au passé, c’est-à-dire la dette dont nous héritons, sont les dépenses qui augmentent le plus vite aujourd'hui. Nous n'avons donc pas de place pour les dépenses d'avenir, le climat, notre sécurité, l'éducation des jeunes. Il faut arriver à limiter ces dépenses liées à la dette. Mais évidemment, nous la payons : heureusement, parce que sinon, plus personne ne prêterait à la France. Or, les investisseurs continuent à prêter à la France.

Yves Calvi

Le taux de nos livrets va-t-il rester inchangé à 3 % ?

François Villeroy de Galhau

Oui, c'est un engagement que Bruno Le Maire a pris, conformément à une proposition que je lui avais faite : au mois de juillet le taux du livret A restera à 3 %. Et il y a un produit pour l'épargne populaire qui est aujourd'hui un grand succès et qui est le plus intéressant, c'est le livret d'épargne populaire (LEP). Il est rémunéré à 5 %, et bonne nouvelle : nous venons de passer le cap des 11,5 millions de livrets d'épargne populaire. C'est 2 millions de plus qu'il y a un an. 

Yves Calvi

Comment l’explique-t-on ? 

François Villeroy de Galhau

Nous en avons beaucoup plus parlé. Mais il y a encore des millions de Français qui auraient droit à ce livret d'épargne populaire, qu’ils n'hésitent pas à consulter leur banque. Les sommes déposées sur ce livret d'épargne populaire ont augmenté de plus de 50 % depuis un an. Bruno Le Maire avait aussi annoncé un relèvement du plafond à 10 000 € sur ce LEP.

François Lenglet

Est-ce que vous pouvez nous confirmer que le gros de l'inflation est derrière nous et qu'on entre dans une période plus sage où les prix seront à un niveau de croissance plus habituel autour de 2 % ?

François Villeroy de Galhau

Oui, sauf choc et surprise. C'est un engagement. Nous sommes à 2,4 %, l’inflation sera ramenée à 2 % l'an prochain. Comme nous avons une confiance suffisante, nous allons très probablement commencer à baisser les taux de la banque centrale, sans doute dans notre réunion [du Conseil des Gouverneurs de la BCE] début juin.

François Lenglet

Donc cela va être aussi un soutien pour la croissance apprécié.

François Villeroy de Galhau

Oui, il y a deux soutiens à la reprise : moins d'inflation, cela fait plus de pouvoir d'achat et dès aujourd'hui, les salaires, en moyenne, augmentent plus vite que les prix. Et deuxièmement, la baisse des taux, qui aide l'investissement. La consommation sera le premier moteur de la croissance française, mais l'investissement devrait aussi repartir.

Yves Calvi

Merci beaucoup François Villeroy de Galhau. Merci d'être ce matin, si j'ai bien compris, porteur de bonnes nouvelles. En tout cas, de nouvelles encourageantes. Vous êtes d’accord pour qu'on qualifie les choses comme ça ?

François Villeroy de Galhau

Oui. Mais je crois qu'il faut rester extrêmement mobilisé sur les transformations de fond de l'économie française et européenne.