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Billet de blog n° 381. Ce billet fait partie, avec les billets 379: « Prime verte : les entreprises peuvent-elles financer leurs projets verts à moindre coût ? » et 380 « Les obligations souveraines vertes bénéficient–elles d’une prime verte ?» de la série du blog consacrée aux « Primes vertes ».
Une analyse quantitative des rendements des obligations d’entreprise en fonction des émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise montre que les investisseurs ne sont pas indifférents au risque climatique dans la valorisation de ces titres, en particulier pour les titres les mieux notés. Néanmoins il convient de tenir compte des interactions entre risque de crédit et risque de transition.
Graphique 1 : Évolution de la contribution de l’intensité carbone d’une entreprise sur le rendement de ses obligations
Lecture du graphique : en mai 2021, après contrôles (pays, secteur, cote de crédit, …) l’intensité carbone explique une augmentation du z-spread (défini comme l’écart de rendement des titres avec le taux d'intérêt interbancaire de référence €ster) de 0.2 points de base par tCO2/mln€ (dans un intervalle de confiance à 95% (aire bleue) calculé à partir des erreurs type d’une régression).
L’évolution du climat fait peser de nombreux risques sur les entreprises, en particulier un risque dit « de transition », lié à la mise en conformité de leurs processus à des régulations bas-carbone contraignantes susceptibles d’être mises en place. Dans ce cadre, les entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre (GES) dans leurs activités productives sont a priori les plus exposées à ce risque. À l’inverse, les entreprises peu émettrices de GES (« vertes »), déjà largement en conformité avec la réglementation seraient dans une situation plus favorable et se trouveraient dans une position concurrentielle renforcée. On peut donc s’attendre à ce que les investisseurs prennent en compte ces différences d’exposition au risque de transition lorsqu’ils évaluent les titres (actions ou obligations) et que ceci se traduise par une prime de risque positive sur les titres des entreprises les plus exposées, observable sur les marchés financiers. Inversement, la demande d’investissements verts connaissant une forte croissance, a pour conséquence de faire apparaitre une prime négative sur les obligations vertes (« bonus vert », voir Chouard et Jourde, 2024 billet 379). Cette demande d’investissements verts devrait avoir le même effet sur les obligations (y compris conventionnelles) des entreprises vertueuses. Plusieurs études montrent que cette prime est observable tant sur les marchés actions (Bolton and Kacpercyk 2021, Alessi et al 2021) que sur les marchés obligataires (Seltzer et al 2022, Capasso et al 2020, Barth et al 2022).
L’objet de ce billet est de mesurer l’effet du risque de transition sur la valorisation des obligations d’entreprises de la zone euro qui sont éligibles au collatéral de politique monétaire de l’Eurosystème. L’étude porte sur 15 465 obligations émises par 774 entreprises notés A ou mieux par les agences de notation. La Banque de France étant chargée, en collaboration avec la Bundesbank, de valoriser pour l’Eurosystème les titres cotés éligibles, nous disposons des données financières et climatiques pour ces obligations.
Dans le cadre de cette étude, l’exposition au risque de transition sera mesurée par l’intensité d’émissions de GES, ou « intensité carbone » (émissions de GES brutes divisées par le chiffre d’affaires, fournies par ISS et Carbon4FInance) rapportée à la valorisation des titres sur le marché des obligations conventionnelles émises par ces entreprises. Ce travail accompagne la publication de deux autres billets qui analysent le marché des obligations vertes d’entreprises d’une part (cf. Chouard et Jourde, 2024 billet 379), celui des obligations vertes souveraines d’autre part (cf. Descombes et Szczerbowicz, 2024 billet 380).
Si les investisseurs associent un risque accru aux entreprises émettrices de GES, on s’attend à observer des rendements à maturité significativement plus élevés pour ces entreprises que pour les entreprises peu émettrices de GES. Pour l’étude, nous avons utilisé les intensités carbone Scope1+2 (émissions directes et indirectes de GES liées à l’énergie divisées par le chiffre d’affaires) des 774 entreprises analysées. Le scope 3 des émissions de GES (émissions de GES associées à la partie amont et aval de la chaîne de valeur) n’est pas pris en compte dans cette étude car à ce stade, les données ISS et C4F sur le scope 3 ne sont pas suffisamment fiables.
La prime de risque des entreprises polluantes au global disparaît en 2023
Afin d’estimer l’impact de cette mesure d’intensité carbone d’une entreprise sur le rendement de ses titres, nous effectuons une analyse qui évalue l’écart de rendement des titres avec le taux d'intérêt interbancaire de référence €ster (ou z-spread) en fonction, non-seulement de l’intensité carbone de l’entreprise qui a émis l’obligation, mais aussi de la maturité résiduelle, et d’autres paramètres ayant un impact significatif sur cet écart de rendement comme le pays et le secteur d’activité de l’entreprise ou la notation de crédit de l’obligation.
Cette analyse est conduite chaque mois sur les années 2021 à 2023, afin d’observer l’évolution de l’influence de chaque paramètre au cours du temps. Le graphique 1 (cf. supra) montre l’évolution de l’impact de l’intensité carbone sur les écarts de rendements obligataires.
On observe que cet impact était positif et significatif de 2021 à mi-2022 (l’intervalle de confiance est toujours strictement positif). Cela signifie que plus une entreprise émet des GES, plus les obligations qu’elle émet étaient vues comme risquées. Cet effet demeurait toutefois mesuré. Il a progressivement diminué de juin 2022 à fin 2023 pour devenir significativement négatif depuis. Non-seulement la prime de risque sur les entreprises émettrices de GES semble avoir disparue mais elle se serait même inversée. Chouard et Jourde (2024) constatent également une disparition de l'écart entre les obligations vertes et conventionnelles, qui se justifie par un ajustement de l'offre et de la demande sur le marché des obligations vertes. Cependant, l'inversion observée dans notre cas se justifie d'une autre manière, détaillée ci-dessous.
L’intensité carbone est corrélée aux indicateurs financiers traditionnels.
Afin de comprendre cette effet d’inversion, nous avons repris l’étude précédente en retirant successivement les effets des autres paramètres de l’étude : secteur, pays, qualité de crédit, afin d’isoler le ou les facteurs apportant la plus forte contribution à l’inversion de l’effet climatique.
Il ressort de cette analyse que la prise en compte du secteur d’activité a peu d’importance (la courbe bleue dans le graphique ci-dessous est similaire à la courbe rouge de référence correspondant à celle du graphique 1) : l’intensité carbone affecte les rendements de façon identique que l’on prenne en compte l’effet du secteur d’activité ou non. Les risques semblent donc identifiés de façon spécifique pour chaque émetteur de GES, indépendamment de son secteur d’activité. La courbe orange montre qu’en ne tenant pas compte du pays de l’entreprise, la mesure de l’effet de l’intensité carbone augmente légèrement. Une partie du risque qui pourrait être imputé aux émissions de GES d’une entreprise sont en réalité des risques pays.
Graphique 2 : Contribution de l’intensité carbone sur le rendement des obligations d’entreprises, en prenant en compte différentes variables explicatives
Note : lecture comme le graphique 1 mais en supprimant une variable explicative pour chaque courbe; le secteur d’activité pour la courbe bleue, le pays pour la courbe orange et la note de crédit pour la courbe verte.
Au final, il apparaît que la variable qui a le plus d’influence sur l’effet de l’intensité carbone est la notation de crédit. La courbe verte montre en effet que la mesure que l’on ferait du rôle de l’intensité carbone serait bien plus importante si on ne prenait pas en compte l’effet de la notation de crédit. Une large partie de la prime de risque apparente est un risque de crédit et la réduction qui résulte de la prise en compte de ce risque de crédit indique que celui-ci est plus important pour les entreprises émettrices de GES que pour les autres.
Le risque de transition non-assuré étant un risque financier de devoir supporter les coûts de mise en conformité des processus de production avec la réglementation, il constitue un risque de crédit supplémentaire, qui peut être intégré à l’analyse financière traditionnelle de l’entreprise par les agences de notation.
La contribution de l’intensité carbone sur les rendements diffère selon la notation de crédit des obligations d’entreprise
Afin de distinguer l’effet de notre variable d’intensité carbone de l’effet de la notation de crédit sur les écarts de rendement, nous effectuons une analyse séparée pour chaque catégorie de qualité de crédit : AAA et A.
Graphique 3 : Contribution de l’intensité carbone sur le rendement des entreprises, selon la notation de crédit
Note : lecture comme le graphique 1 mais l’univers des obligations étudiées est restreint aux obligations AAA pour la courbe bleue et aux obligations notées A pour la courbe orange.
Pour les obligations d’entreprise notées AAA, l’effet de l’intensité carbone sur les rendements reste significativement positif sur toute la période. Cet effet diminue cependant en 2023. Cela prouve néanmoins que quand le risque de crédit est très faible, il existe une prime de risque sur les titres d’entreprises émettrices de GES. Pour les obligations notées A, l’effet est quasiment nul sur presque toute la période et devient même négatif en 2023 (« prime brune »), suggérant que le marché considère que les agences de notation surpondèrent le risque climatique dans leur appréciation.
On peut en conclure que les données climatiques d’une entreprise influencent la valorisation de ses obligations, en particulier pour celles qui ont une bonne note de crédit ; plus cette note se détériore plus l’effet de l’intensité carbone devient un ajustement de la surpondération du risque climatique par les agences de notation, plutôt qu’une véritable prime de risque de transition.
Conclusion
Le risque climatique mesuré par l’intensité des émissions de gaz à effet de serre a un effet sur la perception du risque par les investisseurs, mais cet effet se concentre sur les entreprises les mieux notées. Dans le même temps, on constate une corrélation négative entre les émissions de GES et la qualité de crédit, ce qui suggère une prise en compte du risque climatique par les agences de notation lorsqu’elles attribuent des notes. Ces conclusions militent pour continuer à mesurer cet effet dans l’avenir afin d’affiner nos modèles de valorisation.
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Mise à jour le 17 Décembre 2024