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Prime verte : les entreprises peuvent-elles financer leurs projets verts à moindre coût ?
Billet de blog 379 : Ce billet fait partie, avec les billets 380 : « Les obligations souveraines vertes bénéficient–elles d’une prime verte ? » et 381 « Valorisation du risque climatique des obligations d’entreprise » de la série du blog consacrée aux « Primes vertes ».
Pour financer un investissement respectueux de l’environnement, une entreprise peut émettre une obligation verte. L’étude révèle que les investisseurs sont prêts à demander une rémunération légèrement inférieure pour ces obligations vertes. Néanmoins, cette prime verte fluctue dans le temps, entre les principaux pays et secteurs de la zone euro, et en fonction du label vert obtenu.
Graphique 1 : En moyenne, les entreprises françaises et européennes bénéficient d’une prime lorsqu’elles émettent des obligations vertes
Notes : Évolution de la prime sur les obligations vertes entre 2018 et 2024. La prime verte (courbes) et les intervalles de confiance à 95% (aires) sont estimés via une analyse économétrique.
Les obligations vertes, un instrument du financement de la transition écologique
Selon le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC, 2022), les investissements nécessaires pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement de la planète à +1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle devront plus que tripler d’ici à 2030. La finance verte, en orientant les flux financiers vers les investissements nécessaires à la transition écologique, peut contribuer à combler cet écart.
Les obligations vertes ont été parmi les premiers instruments financiers associés à la finance verte (ABC de l’économie, 2022). Elles permettent à une entité publique ou à une entreprise de lever des fonds destinés au financement de projets ou d’activités bénéfiques à l’environnement. Contrairement aux obligations conventionnelles, les obligations vertes sont censées garantir aux investisseurs la bonne affectation des fonds levés. Elles constituent ainsi un support d’investissement répondant aux préférences des investisseurs en matière d’investissement environnemental, à condition qu’elles soient régies par des normes visant à limiter le risque d’écoblanchiment (« greenwashing »).
Ce billet analyse la fixation du prix des obligations vertes d’entreprises françaises et européennes sur le marché secondaire par rapport à d’autres obligations comparables. Les investisseurs acceptent-ils des rendements inférieurs pour financer la transition écologique des entreprises ? L’analyse repose sur une base de données sur les titres de dettes d’entreprises financières et non-financières faisant l’objet d’une cotation sur un marché organisé de la zone euro. La prime verte est estimée à partir d’une analyse économétrique (régression) qui évalue la différence entre les rendements des obligations vertes et ceux d’obligations conventionnelles comparables après un contrôle de l’influence d’un ensemble de caractéristiques au niveau des entreprises émettrices et des obligations. Cette méthodologie est inspirée de plusieurs publications académiques sur le sujet (par ex. Tang et Zhang, 2020).
Plusieurs arguments plaident en faveur d’une prime verte
Le prix des obligations vertes, à l’instar des autres titres financiers, est déterminé par l’offre et la demande. Un déséquilibre offre-demande peut provoquer une pénurie d’obligations vertes, entraînant ainsi l’apparition d'une prime verte.
Du côté de l’offre, les obligations vertes représentent un coût supplémentaire pour l’émetteur par rapport aux obligations conventionnelles. Ces titres sont en effet assortis d’une exigence de transparence sur l’utilisation des fonds, avec l’engagement d’investir dans un ensemble de projets verts spécifiques. En théorie, ce coût peut limiter l’offre d’obligations vertes, à moins que les émetteurs n’en tirent un bénéfice, soit en termes de communication sur leurs engagements écologiques, soit en termes pécuniaires si les investisseurs acceptent une décote par rapport aux obligations conventionnelles, c’est-à-dire un taux de rendement plus faible (prime verte). Une telle décote est de nature à compenser le surcoût pour l’émetteur d’une obligation verte et peut conduire à un coût de financement plus avantageux (Flammer, 2021).
Au niveau de la demande, les engagements associés aux obligations vertes sont des caractéristiques recherchées par certains investisseurs (Pedersen, Fitzgibbons et Pomorski, 2021). La demande d’instruments financiers verts augmente donc rapidement, en ligne avec le développement de préférences extra-financières, notamment pro-environnementales, des investisseurs (Fama et French, 2007). Par ailleurs, des incitations fiscales gouvernementales peuvent également jouer un rôle dans l’expansion du marché des obligations vertes (Agliardi et Agliardi, 2019).
Une prime verte globalement significative mais relativement instable
L’analyse met en évidence que la prime verte moyenne des émetteurs français est restée ancrée en territoire négatif entre 2018 et 2023, signifiant que les investisseurs acceptent un rendement des obligations vertes plus faible que celui des obligations conventionnelles (cf. graphique 1). La prime verte moyenne des émetteurs français a atteint un niveau record en juin 2020, avant de se réduire entre 2021 et 2023 puis de disparaître en 2024. Néanmoins, sur l'ensemble de la période, la prime verte est statistiquement significative en moyenne, y compris lorsque l'on compare les taux des obligations vertes et conventionnelles émises par le même émetteur et en tenant compte de diverses caractéristiques associées au risque et au rendement des obligations (montant émis, maturité résiduelle, coupon et liquidité du titre). Cette observation accrédite en première analyse l’existence d’une éventuelle situation de déséquilibre, avec une offre inférieure à la demande, qui se serait comblée en fin de période.
La prime verte moyenne des émetteurs européens est moins prononcée que la prime verte observée dans le cas français et a davantage fluctué. Elle n’est devenue négative qu’après la crise sanitaire de 2020, à un niveau compris entre 2 et -17 points de base. Cette évolution peut traduire une demande accrue pour les obligations vertes de la part des investisseurs particuliers (Pietsch and Salakhova, 2022). Cette prime s’est fortement accentuée en 2022, sous l’effet d’une réduction des émissions d’obligations vertes (Caramichael et Rapp, 2022), avant de reculer en 2023 puis de disparaître en 2024.
Ces résultats se rapprochent en partie de ceux faisant l’objet de deux autres billets publiés conjointement : Descombes et Szczerbowicz (2024), d’une part, mettent en évidence l'existence d'une prime verte sur les obligations vertes souveraines de la zone euro entre 2021 et 2024 ; Clémentin et Serge (2024), d’autre part, montrent l’existence de fluctuations sur la prime des émetteurs verts d'obligations conventionnelles, se soldant par la disparition de la prime verte et l'émergence d'une prime brune en fin de période.
La prime verte varie selon les pays et les secteurs européens, et l’existence de labels
Parmi les émetteurs européens, la prime verte n’est significative que pour les émetteurs français et néerlandais (cf. graphique 2). Pour les émetteurs d’autres pays de la zone euro, on ne distingue pas de différence significative entre les rendements des obligations vertes et ceux des obligations conventionnelles comparables. En Allemagne et en Italie, le taux des obligations vertes est même plus élevé que celui des obligations conventionnelles (mais de manière non significative), ce qui contraste avec les résultats de Descombes et Szczerbowicz (2024) basés sur les obligations souveraines émises par ces deux pays.
En outre, la prime verte varie d’un secteur à l’autre. La prime est importante pour les entreprises du secteur financier, qui demeure le principal émetteur d’obligations vertes. Elle reste significative pour les entreprises assurant des services publics (compagnies d’électricité, de gaz et d’eau, etc.) ou immobilières. En revanche, il n’y a pas de prime sur les obligations vertes, moins nombreuses, émises par les émetteurs d’autres secteurs, notamment dans l’industrie.
Les variations observées de la prime verte pourraient également s’expliquer par l’absence de cadre réglementaire contraignant autour des obligations vertes, qui peut donner lieu à des suspicions d’écoblanchiment susceptibles de décourager les investisseurs. Bien qu’un ensemble de bonnes pratiques aient été définies pour structurer ces instruments et qualifier la dimension environnementale des projets financés, celles-ci ne sont pas obligatoires et des divergences existent entre les principaux standards de marché (International Capital Market Association – ICMA, Climate Bonds Initiative – CBI, etc.). Dans ce contexte, l’Union Européenne a établi des règles renforçant les exigences de transparence et de revue externe (European Green Bond Standard – EUGBS). Les standards EUGBS ont été adoptés en novembre 2023 et s'appliqueront à partir de décembre 2024. Alors que la prime des obligations vertes certifiées alignées sur les standards de l’ICMA et de la CBI diffère peu de la prime de l’ensemble des obligations vertes, les obligations qui visent la conformité à l'EUGBS – ou qui sont déjà partiellement conformes – nettement moins nombreuses, s’échangent avec une prime plus importante. Cela suggère que les investisseurs sont sensibles à la qualité de l’information sur les obligations vertes.
Si cette prime verte, lorsqu’elle s’observe sur le marché secondaire, se traduit également par une décote à l’émission, le recours aux obligations vertes, adossées à des projets pertinents et bénéficiant d’une labellisation de qualité, offrirait aux entreprises la possibilité de se financer à moindre coût pour soutenir leurs investissements dans la transition écologique.
Graphique 2: La prime verte varie selon les pays et les secteurs européens, et le label obtenu
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Mise à jour le 16 Décembre 2024