Bloc-notes Éco

Surendettement, femmes et monoparentalité

Mise en ligne le 6 Mars 2020
Auteurs : Nicoletta Berardi, Guillaume Gaulier, Karine Jean, Dominique Nivat, Soledad Zignago

Billet n°154. La procédure de traitement du surendettement a 30 ans. De longue date, les femmes y sont plus vulnérables que les hommes. Au cours des dernières années, le surendettement s’est concentré sur les personnes les plus fragiles financièrement, notamment les cheffes de famille monoparentale. Elles représentent 26 % des femmes surendettées, presque trois fois plus que leur proportion dans la population féminine totale.

Image Situations de surendettement recevables et part des femmes
Graphique 1 : Situations de surendettement recevables et part des femmes Source : Enquêtes typologiques du surendettement, calculs des auteurs

Note : Le rétablissement personnel, ou effacement total des dettes, est proposé aux débiteurs qui sont dans les situations financières les plus difficiles et qui n’ont aucune capacité de remboursement.

Le traitement du surendettement, destiné aux personnes et ménages dans l'impossibilité manifeste de faire face à l'ensemble de leurs dettes, a trente ans. Le nombre de dossiers déposés, qui avait crû dans les années 1990 et 2000, a baissé de 38 % entre 2014 et 2019, grâce à la législation contre les pratiques excessives en matière de crédit, à la réduction du chômage et à l’amélioration de la solvabilité des ménages permise par la baisse des taux et les renégociations de crédits. Le cadre légal d’accompagnement des ménages surendettés, les modalités de traitement des dossiers et même les objectifs assignés à la procédure ont profondément évolué en trente ans, tout comme le profil des surendettés. Dans la décennie 1990, la part des ménages surendettés non dépourvus de ressources mais confrontés à un excès de crédits, à la consommation en particulier, était élevée. Au fil des années, la procédure de surendettement s’est concentrée sur les personnes les plus fragiles financièrement, notamment les femmes vivant seules avec leurs enfants.

Même si cela s’est amélioré au début de l’actuelle décennie, les femmes sont toujours plus surendettées que les hommes : dans les tranches d'âge les plus concernées par le surendettement (de 25 à 54 ans), elles représentent 55 % des débiteurs dont le dossier de surendettement a été considéré recevable en France en 2019 (graphique 1, Enquête typologique du surendettement 2019), alors qu’elles ne sont que légèrement plus nombreuses que les hommes au sein  de la tranche d’âge concernée (moins de 51 %).

Les dettes ne sont pas uniquement constituées de crédits. Il s’agit de plus en plus souvent de loyers impayés, de dettes fiscales, de factures d’eau ou d’électricité, de frais de cantine scolaire, etc. Lorsque la commission de surendettement estime que le débiteur n’est pas en capacité de rembourser (étant donné ses ressources et charges incompressibles), elle impose un effacement total des dettes. Les femmes sont encore plus nombreuses dans ces cas les plus précaires (dits de « rétablissement personnel » ou de faillite personnelle) : leur part dépasse 59 %.

La principale différence entre les femmes et les hommes surendettés vient de la composition des ménages : 26,3 % des femmes surendettées sont cheffes de famille monoparentale (contre 9,2 % dans la population féminine française, cf. graphique 2). Ce chiffre est à comparer à 3,6 % d’hommes chefs de famille monoparentale parmi les surendettés (contre 2,4 % dans la population masculine totale). La surexposition des mères cheffes de famille monoparentale est encore plus importante chez les personnes surendettées les plus démunies puisque leur part passe à 35,6 % parmi les femmes surendettées bénéficiant d’un effacement de toutes leurs dettes.

Image Une répartition par type de ménage différente selon que l'on est une femme ou un homme
Graphique 2 : Une répartition par type de ménage différente selon que l'on est une femme ou un homme Source : Enquêtes typologiques du surendettement, calculs des auteurs

Lecture : En 2019, les femmes cheffes de famille monoparentale représentent plus de 26 % des femmes, tandis que les hommes chefs de famille monoparentale représentent moins de 4 % des hommes.

Ainsi, les femmes ne sont pas plus endettées que les hommes uniquement parce qu’elles sont des femmes, parce que leur salaire moyen est inférieur de 24 % à celui des hommes (Insee, 2017) ou parce qu’elles ne sauraient, par exemple, pas bien gérer leur budget… Elles sont plus endettées notamment parce qu’elles sont beaucoup plus souvent que les hommes cheffes de famille monoparentale. Cette monoparentalité implique des difficultés pécuniaires quotidiennes : en 2019, les familles monoparentales surendettées dont le chef est une femme ont un revenu médian de 897 euros par unité de consommation, inférieur de 14 % au seuil de pauvreté, mais aussi de 21 % au revenu médian des femmes surendettées vivant seules, de 10 % à celui des ménages composés de couples avec enfant(s) et de 26 % au revenu médian des ménages constitués d’un couple sans enfant. La monoparentalité a aussi pour conséquence une moindre disponibilité en termes horaires ou encore une plus faible mobilité, qui empêchent les femmes d’accéder à de meilleures opportunités professionnelles. Enfin, les mères cheffes de famille monoparentale surendettées, dont seulement un tiers se déclarent célibataires, sont bien sûr d’autant plus vulnérables qu’elles ne touchent pas de pension alimentaire.

Les cheffes de famille monoparentale ont donc une probabilité plus élevée de bénéficier d’un effacement total de leurs dettes en raison d’une situation financière considérée comme irrémédiablement compromise. D’après nos calculs, pour une femme (de 40 ans) vivant seule, la probabilité d’effacement total des dettes passe de 52 % si elle n’a pas d’enfants à 58 % avec un enfant, et va jusqu’à 70 % avec plus de trois enfants, comme le montre le graphique 3 (issu de Berardi, Gaulier, Nivat, Monteil & Zignago, 2019).

Le fait que les femmes surendettées cheffes de famille monoparentale aient une probabilité plus forte que les autres débiteurs de bénéficier d’un effacement total de leurs dettes via le rétablissement personnel traduit certes leur plus grande vulnérabilité face au surendettement, mais montre également que la procédure de surendettement permet de proposer des solutions efficaces qui prennent en charge les situations de façon différenciée. Les ménages les plus en difficultés sont ceux qui se voient proposer les solutions les plus radicales, leur permettant d’obtenir une véritable seconde chance à l’issue du traitement du dossier.

Image Probabilité qu’un surendetté (40 ans) soit orienté vers le « rétablissement personnel »
Graphique 3 : Probabilité qu’un surendetté (40 ans) soit orienté vers le "rétablissement personnel" Note : Les probabilités sont estimées à partir d’un modèle logit, voir Berardi et al. (2019) pour le détail.

Pour aller plus loin, résumés vidéo autour de la conférence sur les 30 ans de prévention et de traitement du surendettement :

  • Christine Lagarde, Présidente de la Banque Centrale Européenne, revient sur la mise en place et sur l’impact de la loi portant sur la réforme du crédit à la consommation (3’44)
  • Benoît Hamon, ancien Ministre délégué à l'Économie sociale et solidaire, explique comment la loi de 2014 avance dans trois domaines : acquis de la loi Lagarde ; remise en cause du lien entre carte de fidélité et carte de crédit dans la grande distribution ; et hypothèques rechargeables désormais interdites (2’09)
  • François Soulage, président du comité de pilotage Point Conseil Budget, s’exprime sur les facteurs ayant entraîné une diminution du nombre de dossiers de surendettement depuis plusieurs années (3’31).