Bloc-notes Éco

Risque géopolitique et inflation : le rôle des marchés de l’énergie

Mise en ligne le 24 Novembre 2025
Auteurs : Marco Pinchetti

Tous les chocs géopolitiques n’affectent pas l’économie de la même manière – et c’est un point important, en particulier s’agissant de leur transmission à l’inflation. Ce billet de blog, qui s’appuie sur un récent document de travail de la Banque de France, propose une méthodologie novatrice pour décomposer les fluctuations du risque géopolitique en chocs géopolitiques énergétiques et chocs géopolitiques macroéconomiques.

L’importance de distinguer les différents types de chocs géopolitiques

Tous les chocs géopolitiques sont-ils semblables ? Dans un récent document de travail (Pinchetti, 2025), je montre que ce n’est pas le cas. La figure 1 présente les évolutions – en co-mouvement ou non – du risque géopolitique et des prix du pétrole, de 1986 à 2022. La ligne bleue correspond à l’indice de risque géopolitique (Geopolitical Risk Index, GPR) élaboré par Caldara et Iacoviello (2022), tandis que la ligne rouge représente les prix du pétrole (indice West Texas Intermediate, WTI, déflaté par l’indice américain des prix à la consommation). Certains événements, comme la guerre du Golfe ou l’invasion de l’Ukraine par la Russie, déclenchent des perturbations de l’offre sur les marchés de l’énergie. D’autres, tels que les attaques du 11 septembre 2001, affectent pour l’essentiel le sentiment macroéconomique plus large, entraînant souvent une baisse des prix du pétrole. Cette étude présente une nouvelle méthode de différenciation des chocs géopolitiques, qui consiste à examiner les co mouvements des prix du pétrole et du risque géopolitique autour d’événements majeurs. Une augmentation de ces deux variables indique un choc géopolitique énergétique, généralement suscité par des craintes de perturbations de l’offre. Mais lorsque le risque géopolitique augmente alors que les prix du pétrole diminuent, cela indique un choc géopolitique macroéconomique, reflétant des inquiétudes plus larges concernant l’économie mondiale plutôt que les marchés de l’énergie.

Figure 1 – Indice de risque géopolitique (GPR) et prix du pétrole (WTI)

image Image Figure 1 – Indice de risque géopolitique (GPR) et prix du pétrole (WTI) Thématique Inflation Catégorie Bloc-notes Éco
Note : GPR = Indice de risque géopolitique (logarithme), WTI = prix du pétrole West Texas Intermediate (logarithme, déflaté par l’indice américain des prix à la consommation). Sources : Caldara et Iacoviello (2022), US Energy Information Administration

Identifier les chocs géopolitiques au moyen de restrictions de signe à haute fréquence

Différents types de chocs géopolitiques peuvent être identifiés en observant les co mouvements de l’indice de risque géopolitique et des prix du pétrole autour d’épisodes géopolitiques clés. Pour ce faire, je construis une nouvelle base de données des réactions « surprises » sur trois jours de l’indice de risque géopolitique et des prix du pétrole lors de 31 événements géopolitiques majeurs depuis 1986. L’idée est de se concentrer sur les évolutions de l’indice de risque géopolitique et des prix du pétrole lors de la survenue d’événements géopolitiques majeurs. Lorsque l’indice GPR et les prix du pétrole augmentent ensemble, j’interprète l’événement comme un choc géopolitique énergétique. Lorsque l’indice GPR augmente mais que les prix du pétrole diminuent, je l’interprète comme un choc géopolitique macroéconomique.

Ce co-mouvement entre les prix du pétrole et l’indice de risque géopolitique est mesuré à l’aide d’une fenêtre de trois jours autour d’événements-clés – une technique inspirée des méthodes à haute fréquence employées dans la recherche relative à la politique monétaire. En particulier, l’étude s’appuie sur l’approche développée par Jarociński et Karadi (2020), qui utilise des réactions de marché à court terme pour distinguer des chocs qui se superposent. En appliquant ce cadre à des événements géopolitiques, l’étude construit une base de données de « surprises » – des variations soudaines du risque et des prix du pétrole – et l’intègre dans un modèle vectoriel autorégressif (VAR) structurel identifié en imposant des restrictions de signe sur le co-mouvement de l’indice GPR et des prix du pétrole lors des principaux événements géopolitiques dans la série de l’indice GPR (>3 écarts type).

Effet inflationniste ou désinflationniste ? Cela dépend du type de choc

Les effets de ces chocs sur l’économie américaine diffèrent de manière importante. Comme illustré dans la figure 2, si les deux types de choc entraînent une contraction de la production, leurs effets sur l’inflation divergent. Les chocs géopolitiques énergétiques entraînent une hausse du risque géopolitique et des prix du pétrole. Ils agissent comme des chocs d’offre défavorables, augmentant les coûts de production et les prix à la consommation. En revanche, les chocs géopolitiques macroéconomiques accroissent habituellement le risque géopolitique mais sont associés à une baisse des prix du pétrole, reflétant des inquiétudes du côté de la demande. D’un point de vue quantitatif, les chocs géopolitiques énergétiques se traduisent en moyenne par une hausse de l’inflation allant jusqu’à 0,2 %, tandis que les chocs macroéconomiques la réduisent en moyenne de 0,1 % à 0,4 %. Cet effet inflationniste des chocs énergétiques persiste pendant plusieurs mois et reflète leur caractère de chocs d’offre, comme les chocs conventionnels sur les prix du pétrole. 

Figure 2. Effets macroéconomiques des chocs macroéconomiques et énergétiques mesurés par le GPR
 

image Image Figure 2. Effets macroéconomiques des chocs macroéconomiques et énergétiques mesurés par le GPR Thématique Inflation Catégorie Bloc-notes Éco
Note : Réactions à un choc d’un écart type de l’indice GPR. Les zones grisées représentent des intervalles crédibles de 68 %.

L’intensité énergétique explique les différences sectorielles

Dans le document de travail, je valide cette classification à l’aide de données sectorielles sur le secteur manufacturier américain. Les résultats confirment que les secteurs à forte intensité énergétique sont davantage affectés par les chocs géopolitiques énergétiques. Leur production se contracte plus fortement, et la hausse des prix est nettement plus marquée que dans d’autres secteurs. Par exemple, des secteurs tels que les métaux de base et les produits pétroliers sont particulièrement vulnérables, les baisses de production atteignant – 3 % et les hausses de prix dépassant 1 % à la suite de chocs liés à l’énergie. Ces constats au niveau des secteurs renforcent l’idée selon laquelle les canaux de l’énergie sont le principal déterminant des tensions inflationnistes lors d’épisodes géopolitiques majeurs.

Conclusion : Deux chocs, deux trajectoires

Les chocs géopolitiques n’ont pas toujours les mêmes conséquences macroéconomiques. Leurs implications économiques dépendent de leur nature sous-jacente. Il est essentiel d’identifier ces différences et d’y répondre pour concevoir des politiques économiques efficaces, en particulier dans un monde où les tensions géopolitiques sont susceptibles de rester élevées. 
 

Mise à jour le 24 Novembre 2025