Le système financier français est confronté à un environnement macroéconomique international inédit caractérisé par une incertitude très élevée, alimentée par l’imprévisibilité des politiques étatsuniennes. L’annonce par les États-Unis de barrières douanières généralisées et de grande ampleur le 2 avril, partiellement suspendues par la suite, et la mise en œuvre de mesures de rétorsion bilatérales par les juridictions affectées, notamment la Chine, sont intervenues dans un contexte géopolitique déjà fortement dégradé. À la poursuite des guerres en Ukraine et à Gaza, est venu s’ajouter un affrontement direct entre Israël et l’Iran depuis le 13 juin.
Les marchés ont été résilients depuis le déclenchement de la guerre commerciale, mais restent susceptibles d’ajustements désordonnés en cas de nouveau choc adverse
L’exceptionnalisme des actifs financiers émis par les États-Unis, qui prévalait au moment de la parution du Rapport sur la stabilité financière de décembre 2024, est aujourd’hui mis en question. Fin 2024, les actions américaines poursuivaient une appréciation nettement plus rapide que celles des autres économies avancées, portées par l’anticipation d’une accélération de la croissance américaine et leur concentration dans le secteur des technologies du numérique. Ces anticipations se reflétaient également dans une appréciation du dollar et dans une divergence des taux d’intérêt entre les États-Unis et la zone euro. Toutefois, dès janvier 2025, des craintes quant à l’existence d’une potentielle bulle autour de l’intelligence artificielle ont entraîné un début de correction avec une dégradation progressive des valorisations du marché des actions américaines. Ce renversement s’est accentué en février et en mars avec la détérioration des anticipations de croissance aux États-Unis qui a accompagné les premières annonces de politique économique de la nouvelle administration, tandis que les annonces budgétaires allemandes ont soutenu les taux obligataires et les valorisations boursières européennes.
Les marchés financiers ont ensuite fortement réagi aux annonces de barrières tarifaires du 2 avril. Le mouvement marqué d’aversion au risque n’a pas épargné les titres du Trésor américain (US Treasuries, UST), lesquels n’ont pas joué leur rôle traditionnel de valeur refuge. Le marché des UST a connu une augmentation de la volatilité au début du mois d’avril avec une forte hausse des taux longs. Dans le même temps, le dollar américain s’est fortement déprécié face aux autres devises. À rebours de la corrélation traditionnellement observée, la hausse des rendements des UST à long terme ne s’est donc pas accompagnée d’une appréciation du dollar américain. À l’inverse, l’or a pleinement bénéficié de son statut d’actif sûr pour atteindre un plus haut historique.
La pentification de la courbe des taux américains s’inscrit toutefois dans un mouvement plus général de hausse des taux souverains à long terme à l’échelle internationale depuis 2022. Cette dynamique s’explique en partie par une dégradation des situations budgétaires dans de nombreuses juridictions, caractérisées par des déficits élevés et des stocks de dette importants dans un contexte de croissance mondiale modérée. Parallèlement le marché obligataire se normalisait avec la sortie des politiques monétaires ultra-accommodantes.
Les hedge funds ont en particulier une présence de plus en plus marquée sur les marchés de dette souveraine du G10, y compris en Europe. En 2023, ils représentaient ainsi plus de la moitié des volumes échangés sur les titres souverains de la zone euro mais aussi de la demande agrégée recensée par les principales banques lors des adjudications. En raison de l’effet de levier élevé intégré dans certaines stratégies, un mouvement important sur les prix pourrait contraindre les fonds à déboucler simultanément des positions et accroître la volatilité et peser davantage sur les prix, en particulier si les autres intermédiaires financiers n’étaient pas en mesure d’absorber ces ventes.
Les annonces de droits de douane se sont par ailleurs traduites par une hausse notable de la volatilité sur les marchés actions et obligations internationaux, avec une sous-performance marquée des indices américains. En Europe et en France, les mouvements adverses sur les marchés actions et obligations consécutifs aux annonces du 2 avril sont toutefois demeurés contenus. Les indices des actions ont rattrapé l’essentiel de leurs pertes en juin 2025. Les valorisations sur les marchés actions restent élevées, en particulier aux États-Unis, au regard du climat d’incertitude et de la moyenne historique à long terme. Les primes de risque sur les obligations des entreprises se sont temporairement détériorées aux États-Unis et en Europe, particulièrement pour les titres pâtissant d’une moindre qualité de signature, avant de retrouver des niveaux proches de ceux qui prévalaient avant le 2 avril.
La matérialisation du risque géopolitique est susceptible de désorganiser les chaînes d’approvisionnement et d’entraîner une hausse des primes de risque sur les marchés. La multiplication des conflits armés à l’échelle internationale, et en particulier la détérioration de la situation au Moyen-Orient, peuvent perturber des routes commerciales stratégiques, telles que le détroit d’Ormuz, et conduire à un renchérissement des matières premières énergétiques. Si la date de clôture des données de marchés présentées dans ce rapport est le 17 juin 2025, le déclenchement de la guerre entre Israël et l’Iran le 13 juin et l’implication militaire américaine le 22 juin ont renforcé le climat d’incertitude. Dans ces circonstances, le cours du pétrole a initialement fortement rebondi. Une hausse prolongée du cours des matières premières pourrait alimenter des pressions inflationnistes et une intensification du conflit serait susceptible d’engendrer une aversion au risque accrue sur les marchés et une fuite des investisseurs vers les actifs sûrs.
La guerre commerciale et l’incertitude généralisée peuvent fragiliser les acteurs non-financiers
L’imprévisibilité relative aux nouvelles règles du commerce international encourage l’attentisme de la part des entreprises et des investisseurs et est de nature à pénaliser la croissance mondiale. La quantification des effets macroéconomiques des droits de douane sur l’activité et l’inflation en France reste néanmoins difficile à ce stade et doit tenir compte de la multiplicité des scénarios possibles. Il ressort des études menées par la Banque de France que la nouvelle politique commerciale des États-Unis entraînerait a priori des pertes limitées pour le produit intérieur brut (PIB) français. En outre, bien que les droits de douane soient susceptibles d’entraîner une inflation importée des États-Unis, leur effet global devrait a priori être plutôt désinflationniste du fait d’une baisse de la demande mondiale et d’une réduction des prix importés d'autres régions du monde.
Une relative résilience de l’économie française les premiers mois de 2025 contribue à la stabilité du système financier, malgré des perspectives de croissance qui restent ralenties à court terme. Après 2,3 % en 2024, l’inflation totale connaîtrait un point bas en 2025, à 1,0 %, en raison d’un repli marqué des prix de l’énergie1, tandis que l’inflation hors énergie et alimentation diminuerait à 1,9 %. À partir de 2026, la normalisation des prix de l’énergie ramènerait l’inflation totale à 1,4 % en 2026 puis à 1,8 % en 2027, encore sous le seuil de 2 %. Ce retour de l’inflation vers sa cible s’opérerait sans récession, tandis que la croissance devrait rester modérée, néanmoins positive, étant attendue à 0,6 % pour 2025 et à 1,0 % pour 2026. Les risques concernant ces prévisions de croissance sont toutefois orientés à la baisse, du fait de l’imprévisibilité de la politique commerciale des États- Unis.
Les entreprises françaises sont dans l’ensemble moins exposées au marché états-unien que leurs homologues allemandes ou italiennes, avec des variations selon les secteurs. Au sein du secteur manufacturier, la construction aéronautique et spatiale, les boissons et, dans une moindre mesure, l’industrie pharmaceutique sont les plus exposées. Mais la situation financière de ces secteurs est aujourd’hui très bonne et le faible niveau d’endettement des entreprises concernées constitue un facteur de résilience. En 2023, la part de la dette à risque portée par des entreprises de ces trois secteurs était ainsi inférieure à 1 % de la dette totale de ces secteurs. Inversement, le secteur de l’immobilier, qui représente en France la majeure partie de la dette à risque, ne devrait pas pâtir directement de la hausse des droits de douanes américains. Ce secteur reste toutefois vulnérable car il est particulièrement sensible aux fluctuations des taux longs et à l’activité économique.
Au-delà de l’impact potentiel des barrières commerciales et du climat de forte incertitude, les entreprises françaises continuent de subir le poids des charges d’intérêts. Le coût des nouveaux crédits continue à s’ajuster à la baisse à la faveur de la transmission de l’assouplissement monétaire, mais l’inertie des coûts de crédit reste forte en France en raison de la structure des financements principalement à taux fixe. Toutefois les entreprises françaises, comme ailleurs en Europe, se sont ajustées à la période de taux plus élevés par une réduction de leur levier d’endettement. Par ailleurs, le niveau des défaillances semble s’être stabilisé dans tous les secteurs et pour toutes les tailles d’entreprises au cours des premiers mois de 2025. Cette amélioration se produit après une forte progression des défaillances en 2024, qui était en partie liée à un effet de rattrapage à la suite du creux observé pendant la pandémie.
Avec une dette publique à 113,2 % du PIB en 2024, la France est le troisième pays membre de la zone euro avec le ratio de dette publique le plus élevé, derrière l’Italie et la Grèce. Un tel niveau de dette est très préoccupant dans le contexte actuel de remontée du taux d’intérêt moyen du stock de dette publique française. L’espace budgétaire nécessaire à l’atténuation d’un choc adverse apparaît en outre très étroit et pourrait compliquer, au-delà du rôle des stabilisateurs automatiques, la mise en œuvre d’éventuelles mesures budgétaires contracycliques.
La persistance de déficits publics élevés et l’absence de correction de la trajectoire d’endettement influent négativement sur les conditions de marché. Ainsi, l’écart de rendement de la dette française par rapport au Bund allemand se situe toujours en juin 2025 à un niveau supérieur à celui qui prévalait avant l’annonce de la dissolution en juin 2024, avec un spread plus élevé que pour certains pays de notation inférieure. Cependant, les conditions de liquidité demeurent bonnes, aussi bien sur le marché primaire que sur le marché secondaire.
Si la confiance des ménages s’est dégradée en raison du contexte de forte incertitude, les risques associés au crédit immobilier apparaissent contenus. Les ménages considérés dans leur ensemble disposent d’un patrimoine financier alimenté par un taux d'épargne élevé2. De plus, avec un taux de chômage historiquement faible et une croissance maintenue du pouvoir d’achat du revenu brut disponible, les risques liés à la situation financière des ménages apparaissent limités mais les indicateurs agrégés pourraient masquer une certaine hétérogénéité selon les niveaux de revenus. Les projections macroéconomiques de la Banque de France de juin prévoient une augmentation contenue du taux de chômage.
Le marché de l'immobilier résidentiel entame sa reprise tandis que la situation de l'immobilier commercial se stabilise. Après un repli ordonné des prix et des volumes de transactions à partir de 2022, l'amélioration progressive du coût du crédit a permis un redémarrage de l'immobilier résidentiel se traduisant par une accélération de la production de crédits à l'habitat, une hausse des volumes de transactions et une légère progression des prix dans l'ancien. Si le marché de l'immobilier commercial montre des signes de stabilisation, il demeure vulnérable à une potentielle détérioration de l'environnement macroéconomique.
Les intermédiaires financiers ont une exposition directe limitée aux actifs américains mais restent exposés à une dégradation de l’environnement macroéconomique
Les banques demeurent exposées à une détérioration de l’environnement macroéconomique et de la situation du secteur non-financier. Le coût du risque des banques a continué d’augmenter au premier trimestre 2025. Si, en 2024, la hausse du coût du risque avait principalement résulté du portefeuille de prêts aux sociétés non financières (SNF), la situation a évolué au premier trimestre 2025, avec un coût du risque en hausse concernant le portefeuille des ménages, ce qui confirme une hétérogénéité des situations au sein de ce secteur malgré une situation financière globalement robuste, mais stable sur les encours du portefeuille des SNF. Toutefois, au niveau de la qualité des actifs, on note une détérioration du portefeuille des prêts bancaires aux petites et moyennes entreprises (PME), qui représente un peu moins de la moitié de l’encours total des prêts aux SNF.
Les banques françaises peuvent s’appuyer sur un modèle d’affaires solide et diversifié et bénéficient d’une amélioration de leurs conditions de financement, ce qui leur permet d’afficher des revenus historiquement élevés. Après un recul en 2023, le produit net bancaire (PNB) des six premiers groupes français avait déjà progressé significativement en 2024 (+8 %), tiré notamment par les revenus de commissions et d’activités de marché. Les chiffres du premier trimestre 2025 montrent une poursuite de cette progression. Celle-ci s’appuie notamment sur la croissance de la marge nette d’intérêts et, dans une moindre mesure, sur un effet volume qui confirme la reprise de l’octroi de crédits en réponse à une demande plus forte.
Le secteur de l’assurance reste solide, avec une solvabilité largement au-dessus des exigences réglementaires. Les assureurs français disposent d’un niveau de fonds propres nettement supérieur aux exigences en capital, la couverture du capital de solvabilité requis atteignant 238% à fin 2024. Les rendements des portefeuilles d’investissement s’améliorent, à la faveur de la hausse passée des taux d’intérêt, et l’exposition des compagnies d’assurances à l’immobilier commercial demeure très contenue, (7 % des placements fin 2024).= Cependant, la rentabilité technique en assurance non vie reste sous tension, en raison des effets de l’inflation passée et de la multiplication des évènements climatiques.
Une dégradation de l’environnement macro-financier pourrait également tester la résilience des fonds d’actifs non cotés, qui ciblent généralement des entreprises fortement endettées. Les fonds de capital investissement de cette privée ont connu une croissance rapide au cours de la dernière décennie, même si celle-ci est moins dynamique depuis 2022. Cette croissance s’est accompagnée d’interconnexions grandissantes avec le reste du système financier, qui restent difficiles à mesurer précisément pour les autorités. Un renforcement de la transparence de ce marché apparaît indispensable afin de mieux en appréhender les risques et d’en assurer une surveillance efficace.
Dans le secteur des cryptoactifs, le développement des stablecoins présente des risques de contagion vers le secteur financier. Les stablecoins adossés au dollar représentent 99% de l’encours de ces instruments, qui sont par ailleurs fortement concentrés autour de deux principaux émetteurs. En cas de perte de confiance, une fuite soudaine des investisseurs pourrait contraindre les émetteurs de stablecoins à liquider rapidement leurs actifs détenus en réserves, au risque de générer des tensions sur les marchés sous-jacents. Les réserves des deux principaux stablecoins sont à ce jour majoritairement constituées de titres du Trésor américain à court terme. Une croissance rapide des stablecoins renforcerait donc leur influence potentielle sur ce marché de la dette souveraine à court terme. Le développement rapide des stablecoins adossés au dollar, encouragé par la nouvelle administration américaine, ne doit en outre pas se faire au détriment de la souveraineté monétaire européenne.
Les tensions géopolitiques et l’affaiblissement des initiatives multilatérales tendent à renforcer les risques cyber et le risque climatique
D’après les données de l’Université du Maryland, le nombre de cyberattaques au niveau mondial s’est stabilisé en 2024, mais la menace persiste. La numérisation croissante, le recours aux prestations de services externes et la détérioration de l’environnement géopolitique pourraient conduire à une recrudescence des cyberattaques. L’Agence européenne pour la cybersécurité a mis en évidence que les établissements bancaires constituent des cibles privilégiées et auraient été touchés par près de la moitié des cyberattaques visant le secteur financier européen entre 2023 et 2024. Cependant, l’entrée en application, en janvier 2025, du règlement européen DORA, qui vient s’ajouter aux autres dispositifs de coordination aux niveaux national, européen et international, devrait permettre de renforcer la résilience du système financier européen face à la cybermenace.
L’évaluation des conséquences du changement climatique confirme que, à court terme comme à long terme, la transition est nettement moins coûteuse que l’inaction. Alors qu’en France, un scénario de statu quo des politiques menées face au dérèglement climatique entraînerait une perte de 11,4 points de PIB à l’horizon 2050, le rendement des politiques d’atténuation apparaît important. À l’inverse, une moindre coordination des politiques de transition et un retard dans leur mise en œuvre augmentent les coûts et risques associés à la transition. Dans ce contexte, le recul des ambitions des États-Unis en la matière et leur retrait de l’accord de Paris pourraient accroître les risques climatiques pesant sur le système financier.
Un chapitre thématique de ce rapport introduit un nouvel indicateur de risque de transition prospectif pour les portefeuilles de marché du secteur financier français. Cet indicateur est fondé sur une modélisation de l’évolution des revenus sectoriels en réponse à la transition climatique, issue des scénarios du Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du secteur financier (Network for Greening the Financial System, NGFS)3. En projetant l’évolution des revenus des entreprises selon la répartition sectorielle de leur chiffre d’affaires, cette approche permet d’identifier de manière prospective les vulnérabilités climatiques à l’échelle microéconomique.
1 Hypothèse sous-jacente à la prévision macroéconomique publiée le 12 juin 2025.
2 Au quatrième trimestre 2024, le taux d’épargne financière des ménages s’établit à 9,7 % de leur revenu brut disponible tandis que le taux d’épargne (incluant notamment les investissements dans le logement neuf et les gros travaux) atteint 18%
3 Pour une présentation de ces scénarios, chapitre transverse, partie 1.4.
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Mise à jour le 24 Juin 2025