Billet de blog 418. Face aux risques que les dérèglements climatiques font peser sur la stabilité financière, la Banque de France mobilise une boîte à outils variée, incluant la modélisation macroéconomique et la cartographie fine des risques. Ces instruments, fondés sur les notions d’aléa climatique, d’exposition et de vulnérabilité, apportent des éclairages complémentaires.
Note : Les plages colorées cartographient l’étendue potentielle des inondations en fonction de leur probabilité d’occurrence (orange pour une crue centennale, violet pour une crue milléniale). Chaque point représente un établissement d'entreprise.
Les événements climatiques extrêmes se multiplient et leurs conséquences économiques et financières deviennent tangibles : depuis 2017, les pertes assurées dues aux catastrophes naturelles sont en moyenne annuelle 1,5 fois supérieures à la moyenne du XXIe siècle (AON, 2024). Ces chocs peuvent affecter deux dimensions essentielles du mandat des banques centrales et des superviseurs : la stabilité des prix et la stabilité financière. Le Réseau pour le verdissement du système financier (NGFS) vient ainsi de publier un rapport sur les défis de données que pose l’évaluation des risques climatiques.
Pour évaluer l’impact des risques physiques aigus (liés à des événements extrêmes plus fréquents et intenses) et chroniques (dus aux évolutions progressives du climat) sur la stabilité financière, la Banque de France combine des analyses macroéconomiques, à même de capturer les effets agrégés, et des approches granulaires, qui permettent de détecter plus précisément les vulnérabilités. Ces approches s’incarnent à travers trois couches d’analyse principales : les aléas climatiques (événements climatiques susceptibles de se produire), les expositions (actifs, populations, infrastructures susceptibles d’être affectés), et la vulnérabilité (propension des expositions à subir des dommages tant physiques que financiers).
Aléas – l’apport des sciences du climat
Les aléas climatiques peuvent être de deux types : (i). Les aléas aigus, comme les inondations ou les vagues de chaleur, sont soudains, intenses et de courte durée ; leur probabilité et leur intensité est affectée par le changement climatique. (ii) Les aléas chroniques, tels que la hausse des températures moyennes ou du niveau de la mer, évoluent plus lentement. Tous deux peuvent affecter l’économie.
Pour comprendre et anticiper ces aléas, il faut les modéliser en tenant compte des dimensions temporelle et spatiale.
Sur le plan temporel, on distingue les aléas liés au climat actuel des projections d’aléas futurs. Les modèles climatiques considèrent des scénarios d’émissions de gaz à effet de serre – tels que ceux proposés par le GIEC – et en estiment les conséquences sur les aléas. Tous les périls ne sont pas modélisés avec les mêmes maturité et degré de certitude : si les inondations sont bien comprises, c’est moins le cas de phénomènes comme les méga-feux européens, ou du risque de franchissement de points de bascule à fort impact (ex. disparition de la forêt amazonienne).
La dimension spatiale concerne la précision géographique des données. En fonction du périmètre étudié, il faut parfois choisir entre une couverture internationale – qui facilite l’harmonisation des analyses – et une approche locale, plus précise et adaptée aux spécificités des territoires. La Caisse Centrale de Réassurance peut ainsi modéliser des inondations en France à 10m près, offrant une précision supérieure aux cartes européennes harmonisées, et capturant mieux les spécificités du climat français, actuel et futur.
Expositions – qui est susceptible d’être affecté ?
Pour quantifier les dommages liés aux aléas climatiques, il est nécessaire de disposer d’informations sur les actifs et activités exposés. L’augmentation des expositions, qu’illustre le phénomène d’urbanisation en Floride, est ainsi un facteur clé de la tendance à l’augmentation des pertes dues aux catastrophes naturelles.
La quantité et granularité d’informations utilisées varient en fonction des objectifs de l’analyse et des contraintes de disponibilité des données. Pour évaluer des vulnérabilités macroéconomiques, une forte granularité n’est pas essentielle et peut même masquer des effets indirects. Lors de son exercice climatique 2023 pour les assureurs, l’ACPR a décliné sectoriellement les impacts des scénarios de long terme du NGFS ; seules des informations agrégées sur les expositions sectorielles étaient ainsi nécessaires aux organismes pour appliquer les chocs.
Toutefois des données plus granulaires et précises, telles que la localisation et la valeur des bâtiments, sont une source d’information précieuse pour des approches microéconomiques. Un projet international auquel participe la Banque de France exploite ainsi un jumeau numérique (Digital Twin) pour quantifier l’impact des inondations sur les entreprises et leurs prêts. Dans ce cadre, des informations détaillées – localisation, valeur des actifs et des inventaires, distinction entre propriétaires et occupants – affinent la compréhension de la transmission des impacts.
En tout état de cause, le niveau de précision des données relatives aux expositions dépend du niveau d’analyse et des contraintes de données. Les indicateurs de risque physique de l’Eurosystème attribuent ainsi les risques physiques aux sièges sociaux des contreparties des institutions financières, car c’est la meilleure information disponible de façon harmonisée en Europe. A contrario, les approches qui visent à fournir des informations fiables à l’échelle de chaque entreprise – tel que l’indicateur climat entreprise, en cours de développement par la Banque de France – ne peuvent recourir à une telle simplification.
De la vulnérabilité physique à la vulnérabilité financière
L'analyse des risques distingue la vulnérabilité physique – les pertes potentielles subies par les biens et les activités exposés à un choc – de la vulnérabilité financière, qui reflète la capacité des acteurs à absorber ces pertes. L’approche pour estimer cette vulnérabilité peut être microéconomique : elle offre alors une vision précise des impacts individuels, mais capture principalement des effets directs. L’approche macroéconomique peut mieux saisir des effets indirects (par exemple la persistance d’un ralentissement de l’activité), mais au prix d’une identification moins fine des canaux de transmission.
L’approche microéconomique relie l’intensité d’un événement aux impacts physiques qu’il provoque. Ainsi, le projet Digital Twin calculer les destructions potentielles des biens immobiliers et équipements détenus par les entreprises à la suite d’une crue centennale de la Seine, d'ampleur comparable à celle de 1910 (voir Carte). Ces dommages – 12 milliards d’euros environ – sont ensuite mis au regard des bilans des entreprises et de leurs crédits bancaires afin d’établir un lien entre vulnérabilité physique et financière.
Les approches macroéconomiques capturent la vulnérabilité plus indirectement. Elles peuvent projeter dans le futur une relation statistique passée entre climat et PIB, comme le font les scénarios de long terme du NGFS (risque « chronique »). Elles peuvent aussi modéliser séparément les canaux par lesquels les catastrophes naturelles affectent l’économie, en combinant modèles de catastrophes et modèles macroéconomiques (risque « aigu »). Cette approche est aussi utilisée dans les scénarios de long terme du NGFS, et surtout dans ceux de court terme, qui examinent des risques extrêmes mais plausibles à horizon proche.
Ces approches partagent un même défi : intégrer correctement les facteurs de résilience. Les données sur les mesures d’adaptation restent limitées, même si des informations sur certaines structures clés existent (par exemple sur les digues, information utilisée dans Digital Twin). Le rôle du système assurantiel est aussi crucial : dans certaines zones vulnérables à travers le monde, les primes augmentent ou des assureurs se retirent, phénomène que le dernier exercice de l’ACPR tente d’anticiper. Plus généralement, les approches fondées sur des relations statistiques – et donc l’estimation d’une vulnérabilité passée – anticipent avec beaucoup d’incertitude la vulnérabilité future de l’économie.
Télécharger l'intégralité de la publication
Mise à jour le 18 Novembre 2025