Document de travail

Made in France et réindustrialisation : une approche par les tableaux entrées-sorties internationaux

Mise en ligne le 11 Juin 2025
Auteurs : Jérémi Montornès, Alexandre Bourgeois

Document de travail n°992. Le made in France, défini comme le contenu en valeur ajoutée française de la demande intérieure finale française, a baissé de 11 points entre 1965 et 2019, passant de 89% à 78%. Cette tendance à la baisse du contenu domestique est commune aux pays européens et reflète la mondialisation croissante des dernières décennies. Cette étude illustre les effets d'entraînement sur l'ensemble de l'activité de la localisation d'une activité en France plutôt qu'à l'étranger. La modélisation mobilise un tableau international des entrées-sorties pour la structure de la production mondiale, et construit des scénarii contrefactuels, où certains biens seraient produits en France plutôt qu'à l'étranger, en tenant compte de l'origine géographique des ressources et des consommations intermédiaires. L’effet d’entraînement simulé ici sous l’hypothèse que les chaînes de fournisseurs des nouveaux établissements seraient similaires à celles des filières existantes, serait de l’ordre de 2,0 dans l’industrie manufacturière, et de 1,6 dans les services marchands. En revanche, si les émissions de gaz à effet de serre de la production augmentaient en France, elles diminueraient au niveau mondial car la production est aujourd'hui moins carbonée en France que dans les pays fournisseurs des importations. 

Domestic Value added Content in Final Demand by Product (in %)

Image WP992
Sources: LRWIOD, WIOD, and FIGARO, authors’ calculations.

Le made in d’un pays représente la part de la valeur ajoutée nationale dans la demande finale du pays. Pour calculer ce made in, cette étude utilise des tableaux internationaux des entrées-sorties, qui reconstituent les chaînes de valeurs mondiales au niveau sectoriel.

Le made in France a baissé entre 1965 et 2019, passant de 89 % à 78 %. En 2019, il varie selon les secteurs : il est élevé dans la construction (96 %) et les services marchands (80 %), mais beaucoup plus faible dans les biens manufacturés (38 %) contre 82% en 1965. Dans les services, la demande intérieure est associée à une production résidente notamment dans la restauration, la santé ou l’éducation. En outre, les consommations intermédiaires des services correspondent pour l’essentiel à des productions résidentes. Au contraire, les biens industriels et agricoles, ainsi que leurs consommations intermédiaires, sont souvent importés.

Le made in a baissé de manière similaire dans les autres grands pays européens comme l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie. En 2019, ces pays affichaient des made in proches, tandis que des pays moins peuplés comme l’Irlande et les Pays-Bas, plus intégrés au commerce international, présentaient des taux inférieurs. Cette tendance baissière reflète l’allongement des chaînes de valeur mondiales et l’intégration de la Chine dans le commerce mondial. De fait, depuis les années 2000, le made in Chine remplace le made in Europe dans la consommation française. Par ailleurs, environ 30 % des exportations françaises en 2019 étaient composées de produits importés (contre moitié moins en 1965), soulignant là aussi l’intégration croissante dans les chaînes de valeur mondiales.

L’effet de l’intégration sur la volatilité économique est ambigu et dépend de la nature des chocs. Lorsque les chocs sont spécifiques à un pays (incertitude relative à la politique intérieure, etc.), l’intégration commerciale sert d’amortisseur en permettant aux entreprises de se diversifier dans plusieurs pays et chaînes d’approvisionnement. Dans cet article, en revanche, nous nous intéressons aux chocs symétriques. Dans cette perspective, l’intégration expose les entreprises françaises à des risques liés aux chocs géopolitiques, climatiques ou d’approvisionnement.  Un produit consommé en France peut être particulièrement vulnérable à ces risques lorsqu’il présente 1) un contenu élevé en importations, 2) une structure de ces contenus très concentrée dans quelques branches et pays, et 3) une structure d’importation française similaire à celle des autres pays, indiquant une offre mondiale concentrée susceptible de compliquer la diversification des importations. Les branches où les vulnérabilités, mesurées selon ces dimensions, sont les plus nettes sont la pharmacie, le textile, le raffinage, les autres matériels de transport, et l’informatique électronique.

L’étude propose enfin un exercice théorique fournissant une illustration des effets d’entraînement de l’implantation d’un établissement en France plutôt qu’à l’étranger liés à l’intrication des chaînes de valeur telles qu’elles sont retracées dans les tableaux internationaux des entrées-sorties. En effet, les achats d’intrants de l’établissement initial génèrent une production supplémentaire pour ces fournisseurs, cette production mobilise elle-même des consommations intermédiaires, et ainsi de suite. Toute la chaîne de fournisseurs, français et étrangers, fait face à une demande supplémentaire, et ils augmentent donc leur production en conséquence[1]. L’activité, l’emploi et les émissions de CO2 évoluent donc dans chaque pays. Ces effets sont simulés ici en substituant une partie des importations de biens par une production nationale, à demande totale inchangée. Ces simulations ne modélisent pas explicitement les instruments qui permettraient d’atteindre cet objectif de substitution d’une partie des importations par de la production intérieure, mais permettent de mettre en évidence certains des mécanismes en jeux et de donner des ordres de grandeur sur les effets induits également en matière d’émissions et d’emplois. Elles reposent notamment sur l’hypothèse que l’activité substituée aux importations est supposée être produite dans les mêmes conditions que la production intérieure, et qu’en termes relatifs l’utilisation de ce bien n’est pas modifiée.

Selon les simulations, si un établissement manufacturier produisant 1 Md€ de valeur ajoutée s’installait en France plutôt qu’à l’étranger, la valeur ajoutée augmenterait en France de 2,0 Md€ en tout, avec un entraînement des chaînes de fournisseurs de cet établissement à hauteur de 1,0 Md€. 24 400 emplois seraient créés en France. Puisqu’une plus grande partie de la production mondiale aurait alors lieu en France, moins intensive en carbone que la plupart des autres pays, les émissions mondiales baisseraient (- 740 ktCO2), l’empreinte carbone baisserait également dans tous les pays (- 290 ktCO2 en France, voir graphique ci-dessous). En lien avec la hausse de la production nationale, les émissions à la production augmenteraient en France (+ 530  ktCO2). En définitive, les branches dans lesquelles on observe les plus forts effets d’entraînement en termes de valeur ajoutée et d’emploi sont l’agroalimentaire, l’automobile et l’industrie du bois et du papier. Enfin, les branches où la localisation d’activité en France plutôt qu’à l’étranger a le plus fort potentiel de réduction des émissions de CO2 mondiales sont la chimie, le matériel électrique et les produits métalliques. De manière générale, la baisse mondiale des émissions de CO2 est plus prononcée quand la substitution se fait vis-à-vis d’économies très carbonées, comme la Chine ou le monde hors UE.
 

Mots-clés : tableaux internationaux des entrées-sorties, réindustrialisation, empreinte carbone
Codes JEL : C67, F62, Q53
 

Mise à jour le 11 Juin 2025