Le rôle international d’une devise est traditionnellement associé aux trois fonctions d’une monnaie : intermédiaire des échanges, unité de compte, réserve de valeur (Krugman, 1980). Par ailleurs, le corpus théorique étudie l’internationalisation d’une devise à partir de trois approches complémentaires qui intègrent : i) des enjeux de marché (coûts de transaction liés à l’utilisation d’une devise notamment) ; ii) des enjeux institutionnels (décisions gouvernementales) ; et iii) des enjeux géopolitiques, où l’internationalisation d’une devise s’insère dans un ordre politique international plus général (Bénassy Quéré, 2016).
Les initiatives en cours qui visent à améliorer les paiements dans leur dimension transfrontière concernent principalement l’utilisation d’une devise internationale dans sa fonction d’intermédiaire des échanges, et peuvent s’analyser à l’aune des trois approches susmentionnées. Cet article présente ces initiatives stratégiques pour l’Eurosystème et étudie leurs effets sur le rôle international des devises sous l’angle des enjeux géopolitiques et institutionnels. Il se termine par une réflexion sur l’impact potentiel de ces initiatives sur les coûts de transaction des devises internationales.
1 La domination du dollar au défi de tensions géopolitiques et de systèmes de paiement innovants
Un système monétaire international organisé autour du dollar états-unien et dans une moindre mesure, de l’euro
Dans le cadre des paiements internationaux, l’attractivité du dollar des États Unis (désigné ci après par dollar) provient en particulier de sa fonction d’intermédiaire des échanges, qui lui confère un double rôle de monnaie de facturation/paiement et de véhicule sur le marché des changes. La domination du dollar dans cette fonction se lit dans la disproportion entre le poids de l’économie états unienne (de l’ordre de 26 % pour le PIB et de 11 % pour le commerce mondial en 2023) et l’utilisation de sa monnaie dans les paiements internationaux (plus de 50 % des échanges libellés en dollars en 2022), ainsi que sur le marché des changes (avec un dollar présent en 2022 dans environ 88 % des échanges entre paires de devises) – cf. graphique 1. La domination du dollar comme monnaie véhiculaire est particulièrement notable sur le marché des changes où les transactions entre les grandes devises, telles que l’euro et la livre, s’opèrent aussi majoritairement de manière indirecte, en passant par le dollar. En 2022, parmi les transactions qui faisaient intervenir l’euro, 74 % s’effectuaient contre dollar, et seulement 5 % contre la livre et 3 % contre le yen. En d’autres termes, seulement 12 % des transactions se réalisaient sans l’intervention du dollar.