Bloc-notes Éco

Les trois visages des échanges internationaux de la France

Mise en ligne le 16 Octobre 2022
Auteurs : Barbara Castelleti Font, Véronique Genre

Billet n°288. Depuis 2007, le déficit récurrent du compte courant français tend à s’aggraver. Toutefois, le solde des échanges de services et celui des revenus primaires, traditionnellement excédentaires, limitent voire compensent le déficit des échanges de biens, qui a atteint un niveau record en 2021 du fait notamment de la facture énergétique. La France a ainsi récemment renoué avec l’excédent courant, en 2019 puis en 2021. La pérennité de cet excédent courant est toutefois loin d’être acquise.

Image Graphique 1. France : solde des transactions courantes (% du PIB) Source : Banque de France et Insee
Graphique 1. France : solde des transactions courantes (% du PIB) Source : Banque de France et Insee

En 2021, le solde des transactions courantes affiche un excédent de 9 Mds€, soit 0,4% du PIB. Il revient ainsi à son niveau pré-pandémie (0,5% du PIB en 2019), après un très fort déficit en 2020 (cf. Graphique 1). Il s’agit du deuxième surplus du compte courant depuis quinze ans, après celui de 2019 (12 Mds€). Si ces résultats peuvent sembler encourageants, une analyse sur plus longue période révèle une réalité différente : les déficits courants sont récurrents depuis 2007 et tendent à s’aggraver avec le temps.

En France, les déficits récurrents du compte courant s’expliquent par le solde des biens. En 2021, le solde des échanges de biens atteint son point le plus bas depuis 2000 (cf. Graphique 2), s’établissant à -67,4 Mds€, en nette détérioration par rapport à l’année précédente (-59,1 Mds€). Aux effets ponctuels liés à la crise de la Covid-19, s’ajoutent un déclin graduel du solde des échanges de biens industriels hors-énergie et un déficit de la facture énergétique qui devrait continuer à peser en 2022 dans le contexte de forte hausse des prix du gaz et du pétrole.

Les échanges de biens : une représentation incomplète des échanges français à l'international

Les échanges internationaux d’un pays doivent être regardés, non pas sous le seul angle du commerce de biens, mais à l'aune de l'ensemble des échanges économiques. En particulier, le compte courant couvre également les échanges de services et les flux de revenus. En France, les soldes des échanges de services et des revenus primaires (principalement les investissements directs étrangers) sont largement excédentaires et, depuis 2004, ont limité l’effet du déficit commercial des biens sur l’ensemble de la balance des transactions courantes, voir l’ont contrebalancé, comme en 2019 ou 2021 (cf. Graphique 2). Ainsi, en 2021, les soldes des échanges de services et des revenus ont affiché des excédents records de 36 et 40 Mds€, respectivement. La somme de ces deux soldes intermédiaires contrebalance les chiffres négatifs de la balance des biens (-67,4 Mds€) et fait ressortir un léger excédent du compte courant en en 2021, comme c’était aussi le cas en 2019.

Image Graphique 2. Solde du compte courant et ses composantes (milliards d’euros) Source : Banque de France
Graphique 2. Solde du compte courant et ses composantes (milliards d’euros) Source : Banque de France

Les exportations de services : un des atouts du commerce extérieur français

Les échanges de services ont largement contribué à limiter le déficit commercial de la France sur les vingt dernières années. Par rapport à ses principaux partenaires européens, la structure du compte courant français s’est davantage orientée vers l’exportation de services (Bui-Quang et Gigout, 2021). En particulier, les exportations de services représentaient environ 25% du total des recettes du compte courant de la France en 2021 contre 16% en Allemagne et 13% en Italie.

La France est l’un des acteurs principaux des exportations de services au niveau mondial avec une offre diversifiée et plusieurs secteurs excédentaires depuis une vingtaine d’années (cf. Graphique 3). Sur la période récente, la hausse notable des exportations de services de transport a un caractère potentiellement transitoire. En 2021, la composante maritime explique en effet ce résultat du fait de la présence en France d’un leader mondial du transport maritime de conteneurs qui a bénéficié d’une forte hausse des tarifs de fret.

Depuis 2000, les services financiers et techniques ont également été des moteurs de croissance des échanges internationaux. Le solde des services financiers explique une grande partie de cette augmentation, suite, notamment à l’arrivée d’entités anglo-saxonnes à Paris dans le contexte du Brexit. Dans les services techniques enfin, les services d’études scientifiques et les services liés aux industries extractives sont des points forts de l’économie française.

Les services de voyages, liés à l’attrait touristique de la France, continuent d’être dynamiques, malgré la détérioration du solde depuis le point haut de 2013 et la crise de la Covid-19. Le solde en 2021 est encore affecté par la baisse de la fréquentation des visiteurs de provenance lointaine et le tourisme d’affaires. Néanmoins, une reprise est observée à partir du deuxième trimestre de 2021 (en particulier des voyageurs en provenance des Amériques).

Image Graphique 3. Échanges de services : évolution du solde entre 2000 et 2021 (milliards d’euros, catégories sélectionnées) Source : Banque de France
Graphique 3. Échanges de services : évolution du solde entre 2000 et 2021 (milliards d’euros, catégories sélectionnées) Source : Banque de France

Le solde des revenus primaires : un excédent solide qui se confirme en 2021

Les revenus primaires sont l’autre source de l’excédent courant français. Ces revenus rémunèrent les agents en contrepartie de la fourniture de travail (sous la forme de rémunérations), de capital (revenus d’investissement et d’intérêt) ou d’autres ressources (loyers). Ce sont en particulier les revenus d’investissement directs – à hauteur d’environ deux-tiers des revenus primaires – qui contribuent à l’excédent courant. Il s’agit principalement de dividendes destinés aux actionnaires et de bénéfices non distribués et gardés en réserve.

Pour la France, les revenus perçus par les actionnaires de filiales situées à l’étranger sont historiquement supérieurs aux revenus envoyés par les filiales françaises à des non-résidents, si bien que le solde des revenus d’investissement direct est structurellement positif. Cet écart se traduit par des transferts de revenus depuis le reste du monde au profit de la France. Ainsi, les activités des multinationales alimentent le revenu national brut d’environ 2% par rapport au PIB sur la période 2012-2021. Forte de nombreuses multinationales, la France, avec les États-Unis et le Japon, fait partie des pays qui bénéficient le plus de ce transfert de revenus (Nayman et Vicard, 2018). Ce solde positif a eu tendance à augmenter depuis le début des années 2000 (Graphique 4).

Image Graphique 4. Évolution des revenus d’investissements directs (milliards d’euros) Source : Banque de France
Graphique 4. Évolution des revenus d’investissements directs (milliards d’euros) Source : Banque de France

Il s’est rapidement accru entre 2017 et 2019, entrainé par la croissance des résultats des filiales de multinationales françaises, dans un contexte économique favorable. La crise sanitaire a brutalement stoppé cette progression, faisant redescendre le solde des revenus d’investissements directs de 67 Mds€ en 2019 à 24 Mds€ en 2020. En 2021, sous l’effet d’un vif rebond des résultats nets courants des entreprises, le solde des revenus d’investissement direct remonterait à près de 60 Mds€ selon les premières estimations. L’excellente performance relative du CAC40 en 2021 (+28%) par rapport aux autres places boursières (+14% pour le Footsie, +16% pour le DAX, +22% pour le Stoxx ou +18% pour le Dow Jones) témoigne du meilleur rendement apparent des investissements français à l’étranger, qui reste supérieur à celui des investissements étrangers en France.

Dans les dernières projections de la Banque de France, le solde de la balance commerciale s’améliorerait sur le moyen terme. Il bénéficierait d’un retour de notre performance à l’exportation des biens au niveau de 2019, notamment dans l’aéronautique. Néanmoins, les facteurs structurels affectant les échanges de biens (effets négatifs de la compétitivité hors coût) persisteraient. En outre, la facture énergétique devrait continuer à peser en 2022 dans un contexte de forte hausse des prix du gaz et du pétrole. Les tendances préliminaires en 2022 montrent également un retour des touristes en France. La pérennité de l’excédent en solde courant dépendra alors en partie de l’évolution future des revenus.