Bloc-notes Éco

Les hausses de salaires négociés : quel bilan pour l’année 2022 ?

Mise en ligne le 20 Janvier 2023
Auteurs : Erwan Gautier

Billet n°301. Les négociations de salaire de branche pour 2022 ont été affectées par le contexte d’inflation élevée. Près de 150 branches ont revu en cours d’année les accords signés fin 2021 ou début 2022. Au total, en fin d’année, les hausses de salaires négociés ont été en moyenne de 5% en glissement sur un an (contre 3% en début d’année). Cette hausse plus forte des salaires négociés n’indique toutefois pas, à ce stade, d’enclenchement d’une boucle prix-salaires.

Image Évolution des salaires négociés, du SMIC, du salaire moyen par tête (corrigé des effets de l’activité partielle) et de l’inflation (glissement annuel, %)
Graphique 1 : Évolution des salaires négociés, du SMIC, du salaire moyen par tête (corrigé des effets de l’activité partielle) et de l’inflation (glissement annuel, %).
Source : Insee (indice des prix à la consommation – ensemble des ménages et SMIC), BDF (plus de 300 branches nationales, régionales et départementales – secteur privé - salaires minima – chaque branche est pondérée par son effectif salarié) ; BDF (SMPT (secteur marchand) - corrigé des effets de l’activité partielle).

Chaque année, les syndicats et les représentants des chefs d’entreprise négocient, au niveau des branches, des grilles de salaires minima en dessous desquels les salariés ne peuvent pas être rémunérés. Généralement, ces négociations ont lieu une fois par an, en début d’année. En 2022, le niveau élevé d’inflation (5,9% en décembre 2022) a conduit de nombreuses branches à revoir leur calendrier habituel de négociation salariale et les hausses négociées pour 2022 (Gautier 2022).

À partir de données sur les accords de salaire de plus de 300 branches en France, ce billet fait un bilan de l’évolution des salaires négociés au cours de l’année 2022. Près de la moitié des branches ont révisé en cours d’année les accords signés pour l’année 2022. Au dernier trimestre 2022, la hausse moyenne des salaires minima négociés dans les accords collectifs de branche est de 5% en glissement sur un an (Graphique 1). Les hausses des minima de branche ont contribué à soutenir la croissance annuelle des salaires. Fin 2022, le salaire mensuel de base (SMB) (c’est-à-dire le salaire effectivement versé, hors primes et heures supplémentaires) et le salaire moyen par tête (SMPT, qui prend aussi en compte les primes, les heures supplémentaires, et les effets de composition de la main d’œuvre) ont tous les deux augmenté de 3,7% sur un an alors qu’au dernier trimestre 2021, leur croissance sur un an était de 1,7%.

L’inflation et les hausses du SMIC ont affecté le calendrier des négociations

Habituellement, le calendrier de négociation des branches est concentré sur quelques mois, entre la fin de l’année et le début de l’année suivante. Le regain d’inflation observé fin 2021 et les revalorisations du SMIC en octobre 2021 (+2,2%) puis janvier 2022 (+0,9%) avaient conduit une large majorité de branches à signer un accord début 2022 : 60% des minima de branches ont ainsi été augmentés au 1er trimestre 2022 (contre 33% seulement au 1er trimestre 2021).

De façon plus inhabituelle, au cours de l’année 2022, près de 150 branches ont revu au moins une fois la hausse des salaires minima prévue pour 2022. Vingt-cinq branches ont revu deux fois ou plus leur accord initial pour 2022. Au total, respectivement 44% et 26% des salaires minima ont été augmentés aux 2ème et 3ème trimestres 2022 (contre 18% et 13% en 2021 pour les mêmes trimestres). Cette augmentation de la fréquence des accords en cours d’année est un phénomène inédit par son ampleur. Dans le passé, les hausses du SMIC en cours d’année ont conduit plutôt à une faible hausse du nombre d’accords (comme en juillet 2012 par exemple, Fougère et al. 2018).

Deux raisons principales peuvent l’expliquer. Tout d’abord, les accords signés fin 2021 – début 2022 contenaient souvent des clauses de revoyure liées à l’inflation ou au SMIC, ce qui a facilité la réouverture des discussions salariales. Ensuite, les hausses du SMIC ont aussi contribué à la signature de nouveaux accords. Selon la formule légale, le SMIC augmente automatiquement si, depuis la dernière revalorisation, l’inflation (hors tabac) des ménages du premier quintile de revenu est supérieure à 2%. Le SMIC a ainsi été augmenté en mai (+2,65%) puis en août 2022 (+2,1%), portant la hausse du SMIC sur un an à 8% et le nombre de hausses de SMIC à 4 en moins de 12 mois. Pour beaucoup de branches, cette hausse rapide du SMIC a impliqué que les premiers minima de leur grille se sont retrouvés sous le SMIC, ce qui a incité les partenaires sociaux à renégocier leur accord en cours d’année pour mettre leur grille en conformité. La part des branches dont le premier niveau de salaire minimum est inférieur au SMIC reste toutefois à un niveau élevé fin 2022 (proche de 60%), ce qui pourrait conduire de nombreuses branches à rouvrir rapidement des négociations pour 2023.

Un renforcement de la dynamique des salaires négociés en cours d’année

La révision des accords en cours d’année a aussi contribué à accroitre les hausses négociées. En début d’année, ces hausses se situaient en moyenne autour de 3%. Dans plusieurs branches (hôtels-cafés-restaurants, coiffure, transports routiers), des hausses supérieures ou égales à 5% avaient été observées mais elles étaient rares et traduisaient essentiellement un effet de rattrapage du niveau du SMIC.

À la fin de l’année 2022, la hausse moyenne des minima de branches est proche de 5%. La plupart des branches ayant renégocié en cours d’année ont signé des accords qui contiennent des hausses supérieures à 5% en cumulé sur 2022, avec généralement un accord en début d’année autour de 3% et un accord en cours d’année prévoyant une nouvelle hausse entre 2 et 3%. Parmi les branches dont l’effectif est supérieur à 100 000 salariés, on peut citer les exemples de la grande distribution (3,2% en avril 2022 puis 2,2% mi-juin), des services de propreté (2,6% fin 2021 puis 2,9% mi-2022), ou de la chimie (2,8% fin 2021 et 2,5% en sept 2022). En fin d’année 2022, certaines révisions ont été plus substantielles comme dans les branches de la sécurité (+7,5% en septembre 2022), de la coiffure (+5% en octobre 2022 après 7% en moyenne en début d’année) ou du commerce de gros (+4,5% fin 2022 après +3,2% en janvier 2022). 

Image Distribution des hausses négociées pour 2022 (glissement annuel, %)
Graphique 2 : Distribution des hausses négociées pour 2022 (glissement annuel, %)
Source : BDF (300 branches nationales, régionales et départementales – secteur privé - salaires minima).

Au total, la distribution des hausses négociées est beaucoup plus dispersée qu’en début d’année où la plupart des hausses étaient situées entre 2 et 3%. Certaines branches ne sont pas revenues sur l’accord du début d’année (un tiers environ des hausses sont comprises entre 2,5 et 3,5%) alors qu’une majorité des branches a négocié des hausses cumulées supérieures à 5% (Graphique 2). En outre, contrairement aux accords de début d’année, les révisions d’accord prévoient moins souvent des hausses de salaire uniformes sur toute la grille, conduisant à un resserrement des grilles par le bas : pour les minima de branche dont le niveau est supérieur à 1,2 SMIC, la hausse fin 2022 est de l’ordre de 4% contre 6% pour les minima inférieurs à 1,2 SMIC.

Quelle hausse des salaires anticiper pour 2023 ?  

Chaque trimestre depuis fin 2021, une enquête de la Banque de France interroge plus de 1 700 chefs d’entreprise sur la croissance des salaires de base (hors primes) attendue au cours des 12 prochains mois dans leur entreprise (Graphique 3). En moyenne, ces anticipations ont significativement augmenté depuis le début de l’année passant de 2,5% fin 2021 à 4,2% au dernier trimestre 2022. Les chefs d’entreprises sont notamment maintenant plus nombreux à anticiper des hausses de salaires de 5 à 6% au cours des 12 mois à venir (Graphique 3).

Image Distribution de l’évolution des salaires anticipée par les chefs d’entreprise pour les 12 prochains mois
Graphique 3 : Distribution de l’évolution des salaires anticipée par les chefs d’entreprise pour les 12 prochains mois
Source : BDF Enquête Mensuelle de Conjoncture – module trimestriel sur inflation et salaires, réponses collectées - le trimestre en légende fait référence au trimestre d’interrogation.

Au-delà des aspects institutionnels de la négociation, les difficultés de recrutement jouent aussi un rôle : les entreprises rapportant systématiquement des difficultés anticipent une croissance des salaires de base plus élevée que celles ne rapportant aucune difficulté (Graphique 4).

Image Difficultés de recrutement et hausse des salaires anticipée par les chefs d’entreprise pour les 12 prochains mois
Graphique 4 : Difficultés de recrutement et hausse des salaires anticipée par les chefs d’entreprise pour les 12 prochains mois Source : BDF Enquête Mensuelle de Conjoncture – module trimestriel sur inflation et salaires, réponses collectées - le trimestre en légende fait référence au trimestre d’interrogation.

Enfin, la croissance de la rémunération du travail dans son ensemble (c’est à dire y compris primes, heures supplémentaires, effets de structure de la main d’œuvre) sera plus soutenue en 2023 qu’en 2022. En particulier, au-delà de la hausse plus forte des salaires de base liée aux accords de branche et/ou d’entreprise, le versement de primes notamment la prime de partage de la valeur souvent négociée dans le cadre d’accords d’entreprise et versée fin 2022 – courant 2023 devrait aussi soutenir la croissance des salaires et conduire à une hausse du salaire moyen par tête supérieure à 6% en moyenne annuelle en 2023 selon la dernière prévision de la Banque de France.

Cette hausse plus forte des salaires négociés et effectifs en 2022 et 2023 traduit essentiellement un rattrapage partiel de l’évolution récente des prix par les salaires nominaux. Elle n’indique pas, à ce stade, d’enclenchement d’une boucle prix-salaires en France.