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Les hausses de salaires négociés pour 2022 : où en est-on ?
Billet n°269. Les négociations de salaire de branche pour 2022 se sont jusqu’ici généralement conclues par des hausses de salaire se situant autour de 3% alors qu’elles étaient plus proches de 1% ces dernières années. L’inflation, plus soutenue depuis fin 2021, et les hausses récentes du SMIC contribuent à cette croissance plus dynamique des salaires négociés.
Depuis la fin de l’année 2021, l’inflation connaît un regain en France : selon l’indice européen harmonisé, elle a atteint 5,4% en avril 2022 alors qu’à la même période en 2021 elle était proche de 1%. La forte hausse des prix de l’énergie a largement contribué à la dynamique des prix à la consommation. Outre les incertitudes sur la persistance de ce choc sur les prix importés, un facteur important pour la dynamique des prix à moyen terme est la boucle prix-salaires : face à une inflation accrue, les demandes salariales sont plus fortes, ce qui peut en retour alimenter les hausses de prix à moyen terme. Les négociations salariales font donc l’objet d’une attention particulière par les banques centrales car elles sont un critère important d’appréciation du caractère, durable ou non, de l’inflation.
À partir de données sur les accords de salaire de plus de 200 branches en France, ce billet revient sur l’évolution des salaires négociés entre fin 2021 et le 1er trimestre 2022. Les hausses négociées jusqu’ici pour 2022 se situent en moyenne à 3% (graphique 1). Ce niveau est plus élevé que celui observé entre 2014 et 2020, où les hausses étaient plus proches de 1%,reflétant alors une inflation basse et une croissance annuelle du SMIC proche de 1% (Gautier 2018).
Les minima de branche structurent la fixation des salaires
Comme dans beaucoup de pays européens, la dynamique des salaires en France est largement influencée par les institutions de négociation collective. Une grande majorité des salariés du secteur privé sont couverts par une convention collective de branche. Chaque branche définit une classification d’emplois-types et fixe un salaire minimum associé à chacun de ces emplois. La grille de salaires minima fait ensuite l’objet d’une négociation obligatoire annuelle dans chaque branche, qui peut aboutir à un accord de salaire entre les syndicats de salariés et les fédérations d’employeurs (Gautier 2017).
Les ordonnances de 2017 ont établi la primauté de la branche sur l’entreprise pour la définition des minima salariaux : les entreprises d’une branche donnée ne peuvent pas rémunérer un salarié dans un emploi donné en dessous du salaire minimum de la branche (ou en dessous du SMIC). Les accords de branche sont ensuite généralement étendus par le Ministère du Travail à l’ensemble des entreprises de la branche. En pratique, un tiers des entreprises déclarent que la branche est le niveau dominant de négociation (Luciani, 2014). Ainsi, ces accords fixent une "norme" observable et une référence pour les politiques de revalorisation salariale.
Le calendrier de négociation est concentré sur quelques mois dans l’année, généralement entre la fin de l’année et le début de l’année suivante. Ces derniers mois, la très grande majorité des branches ont signé un accord de salaire pour 2022. La dynamique plus forte des prix et du SMIC, les difficultés de recrutement dans certaines branches et le soutien du Ministère du Travail à la négociation expliquent ce regain du nombre d’accords en comparaison des années passées où la fréquence des accords de salaire était plus irrégulière.
Les salaires négociés sont plus dynamiques en 2022
Les hausses de salaire négociées pour l’année 2022 se situent dans beaucoup de branches entre 2,5 et 3,5% alors qu’elles étaient souvent inférieures à 1% en 2021 (graphique 2).
Par exemple, les hausses négociées dans les branches de la plasturgie, du bricolage, les cadres de la métallurgie, ou le commerce de gros non-alimentaire sont de l’ordre de 3%. Les accords des branches régionales du bâtiment et travaux publics et départementales de la métallurgie sont aussi proches de 3% en moyenne. Certaines branches, qui ont souvent signé des accords plus tôt, ont négocié des hausses de salaires proches voire inférieures à 2,5% (chimie, industrie pharmaceutique, négoce de l’ameublement, commerce de gros viandes, ou prévention-sécurité par exemple).
Les accords signés pour 2022 contiennent aussi plus fréquemment des clauses de revoyure liées à l’inflation, ce qui pourrait entrainer dans certaines branches la réouverture des négociations en cours d’année, en dehors du calendrier annuel habituel. Ainsi, la branche des "services automobiles" a revu à deux reprises depuis juillet 2021 la revalorisation des minima pour l’année 2022 : la hausse initiale prévue à 1,5% a été revue à 2,5% en octobre 2021 puis à 4,5% en avril 2022.
Le SMIC influence la négociation de branche
Dans plusieurs branches (hôtels-cafés-restaurants, coiffure, transports routiers notamment), les hausses négociées ont été plus importantes (supérieures ou égales à 5%) mais elles traduisent un effet de rattrapage du niveau du SMIC, car une partie de leur grille de minima était inférieure à ce dernier.
En l’absence d’accord une année donnée, la revalorisation du SMIC a pour conséquence de rendre les premiers minima de salaire inférieurs à son niveau, et dans ce cas, c’est le SMIC qui s’applique aux salariés concernés. Contrairement aux minima de branche, le SMIC est automatiquement revalorisé selon une formule légale : chaque 1er janvier, il augmente de l’inflation (hors tabac) des ménages du premier quintile de revenu et de la moitié de l’évolution réelle du salaire horaire des ouvriers et employés. Si l’inflation est supérieure à 2% depuis la dernière revalorisation, le SMIC augmente par anticipation. Le regain d’inflation en 2021-2022 a entrainé trois revalorisations du SMIC sur les 8 derniers mois (2,2% en octobre 2021, 0,9% en janvier 2022 et 2,65% en mai 2022). Au total, le SMIC a été revalorisé de 5,9% sur un an, et depuis le début de l’année, cela a conduit beaucoup de branches à renégocier pour mettre en conformité les premiers niveaux de leur grille avec le SMIC.
Au-delà, les hausses de SMIC ont tendance à se diffuser au reste de la grille afin de maintenir les écarts de salaire entre les différents emplois d’une même branche. Les minima de branche sont un canal de diffusion de l’inflation passée et des hausses de SMIC à l’ensemble des salaires (Fougère et al. 2018). La nouvelle hausse du SMIC au 1er mai pourrait conduire certaines branches à rouvrir des négociations au cours des prochains mois, notamment car le premier niveau de la grille de près de trois quarts des branches (en termes d’effectifs) se situe à nouveau en dessous du SMIC, y compris pour des branches ayant signé un accord récemment.
Quelle transmission aux salaires de base?
Alors que la croissance annuelle de l’indice de salaire de base (c’est-à-dire le salaire effectivement versé, hors primes et heures supplémentaires) était proche de 1,5% fin 2021, les hausses des minima de branche devraient contribuer à soutenir la croissance des salaires de base au cours de l’année 2022. Une hausse des salaires minima de branche de 1% accroit les salaires de base d’environ 0,2% (Gautier et al. 2021). Cet effet est à comparer à celui d’une hausse de 1% du SMIC qui est en moyenne plus proche de 0,1% sur les salaires de base. Par ailleurs, si l’effet direct des hausses du SMIC est concentré sur les salariés très proches du SMIC, l’effet des hausses des minima de branche est plus homogène le long de la distribution des salaires.
Depuis fin 2021, une nouvelle enquête trimestrielle de la Banque de France (qui sera bientôt publiée de façon régulière) a interrogé près de 3 000 chefs d’entreprise sur la croissance des salaires de base attendue au cours des 12 prochains mois dans leurs entreprises (graphique 3). En moyenne, la hausse des salaires anticipée était de 2,5% au 4ème trimestre 2021 et d’environ 2,8% au 1er trimestre 2022 (alors qu’elle était de l’ordre de 1% en 2020-2021, cf. Bouche et al. 2021).
Mise à jour le 25 Juillet 2024