Nous étudions l’effet sur les niveaux d’éducation en France de la forte augmentation des droits de douane de 1892. L’adoption de mesures protectionnistes connue sous le nom de tarifs Méline a été précédée par le mécontentement des fermiers causé par la baisse de revenu liée à la forte augmentation des importations de céréales en provenance des Amériques. Ce choc protectionniste a eu lieu dans un contexte où l’agriculture était peu intensive en travail qualifié. Cette faible appétence du secteur agricole français pour les nouvelles technologies a induit une plus faible demande de qualification et donc d’éducation dans les campagnes. En augmentant le prix des produits agricoles relativement aux produits industriels, les droits de douane sur les produits céréaliers ont rendu le travail agricole plus attractif que le travail industriel, et donc réduit davantage le rendement relatif de l’éducation.
Ce choc négatif a abaissé les niveaux d’éducation et augmenté la natalité dans les départements en proportion avec la part de l’emploi départemental consacrée à la production de céréales. Le mécanisme explicatif repose sur la théorie de la croissance unifiée développée par Galor et Weil (2000). Cette théorie explique la demande d’éducation par le développement technologique des secteurs. Si les rendements de l’éducation sont faibles, alors les agents économiques ont intérêt à consommer leur revenu, et par exemple à augmenter la taille de leur progéniture (Becker et Tomes, 1976). A l’inverse, si les rendements de l’éducation sont importants, l’investissement dans l’éducation doit augmenter et le nombre d’enfants baisser.
Pour mesurer l’impact du protectionnisme sur l’incitation à s’éduquer et à modifier la fécondité, nous estimons des régressions sur un panel de 85 départements français sur la période 1872-1913. Nous utilisons les données du recensement quinquennal de la population pour mesurer le taux de natalité, le taux de fécondité des femmes de 15 à 49 ans. Nous utilisons les volumes de la statistique de l’enseignement primaire pour construire le taux de scolarisation des enfants de 6 à 13 ans et des élèves plus âgés ainsi que le taux d’absentéisme à l’école primaire en été et en hiver. L’effet du protectionnisme sur l’éducation et sur la natalité s’accroît au fur et à mesure que l’exposition à la politique protectionniste augmente. Nous montrons que ce résultat persiste quand nous autorisons un effet potentiellement différent à court ou à long terme, et y compris après avoir contrôlé pour la religiosité du département, l’impact des migrations ou la structure de la propriété agricole.
Ces résultats suggèrent un effet fortement négatif à long terme du protectionnisme. En réduisant les taux de scolarisation, les tarifs Méline ont réduit le potentiel de croissance de l’économie française. La transposition de cette conclusion au débat contemporain est que le protectionnisme des secteurs demandant peu de qualifications se traduira par une baisse du niveau d’éducation.