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L’Aire monétaire commune de l’Afrique australe : l’autre union monétaire africaine
En plus de l’UEMOA et la CEMAC, l’Afrique comprend une troisième union monétaire : l’Aire monétaire commune (Common Monetary Area, CMA) de l’Afrique australe. Celle‑ci est caractérisée par le rôle prédominant de l’Afrique du Sud. Elle a été instituée en 1986, et regroupe aujourd’hui quatre pays (l’Afrique du Sud, l’Eswatini, le Lesotho et la Namibie). Si le périmètre de la CMA a pris sa forme définitive en 1992, à la suite de l’intégration de la Namibie nouvellement indépendante (1990)1, l’union prend son origine dans l’Aire monétaire du rand (Rand Monetary Area, RMA), instituée en 1974, qui formalisait un espace monétaire de facto depuis l’indépendance du Lesotho et de l’Eswatini dans les années 1960.
La CMA est une union monétaire singulière, puisque, contrairement à l’UEMOA et la CEMAC, chaque pays est responsable de sa politique monétaire et dispose d’une banque centrale et de sa devise nationale. L’objet de cet article est notamment de se demander si la CMA constitue un atout ou un frein pour les pays qui la constituent. Nous montrerons que si cette aire dispose de caractéristiques propices au bon fonctionnement d’une union monétaire, certains facteurs sont susceptibles de limiter les gains qu’elle apporte, notamment du point de vue des petites économies. La CMA aurait ainsi permis une convergence économique entre les pays membres, qui demeure cependant incomplète.
1. Les différents périmètres de l’Afrique australe
Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Afrique australe comprend cinq pays : l’Afrique du Sud, le Botswana, l’Eswatini, le Lesotho et la Namibie (cf. tableau infra). Ce groupe de pays constitue également l’Union douanière d’Afrique australe (Southern African Customs Union, SACU), fondée en 1910, et qui est la plus ancienne union douanière au monde. Tous les pays de la SACU, à l’exception du Botswana, font partie de la CMA. La Communauté de développement d’Afrique australe (Southern African Development Community, SADC), qui comprend 16 membres, intègre l’ensemble des pays de la SACU. Certains pays de la SADC font également partie du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Common Market for Eastern and Southern Africa, COMESA2) ou de la Commission de l’océan indien, qui ne comprennent toutefois pas les pays membres de la SACU (à l’exception de l’Eswatini, qui fait partie du COMESA). Parmi l’ensemble de ces accords régionaux, seuls le COMESA et la SADC sont reconnus par l’Union africaine.
Le poids de l’Afrique du Sud dans l’union monétaire d’Afrique australe n’a pas d’équivalent dans les autres unions monétaires africaines. Ce pays représente 95,21 % du PIB de la CMA. Par comparaison, en CEMAC, le plus grand pays de la zone (le Cameroun) représente environ 50 % du PIB, et quatre autres pays ont un poids de 9 % à 16 % (Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad). En UEMOA, la plus grande économie (Côte d’Ivoire) ne représente que 37 % du PIB de la zone. Même la zone monétaire que pourrait représenter la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en cas d’aboutissement de son projet de monnaie commune (eco) n’atteindrait pas un niveau de concentration équivalent à celui de la CMA : la plus grande économie (Nigéria) y représenterait alors 62 % du PIB de la zone.
95,21%
L'Afrique du Sud représente 95,21% du PIB de la Common Monetary Area.
Si différents arrangements régionaux d’Afrique australe présentent des objectifs de convergence macroéconomique, ce n’est pas le cas de la CMA (Masson et Pattillo, 2004). Le protocole sur les finances et l’investissement de la SADC (2006) fixe ainsi quatre indicateurs de convergence économique, à savoir :
- l’inflation ;
- le déficit public ;
- la balance courante ;
- la dette publique.
Les cibles évoquées dans les derniers rapports de la SADC3 sont toutefois plus larges : si elles n’indiquent rien relativement au compte courant, elles concernent bien l’inflation (3‑7 %), le déficit budgétaire (maximum de 3 %) et la dette publique (maximum de 60 %), et portent également sur la croissance (minimum de 7 %), les réserves de change (minimum de 6 mois d’importations), l’investissement (minimum de 30 % du PIB) et l’épargne brute nationale (minimum de 35 % du PIB). Tous les pays de la CMA étant membres de la SADC, il existe donc une obligation de convergence de facto entre eux, qui n’est cependant pas de jure (l’appartenance à la SADC n’étant pas une condition pour être membre de la CMA).
2. Le mode de fonctionnement de la CMA
Selon les textes de l’accord, l’objectif de la CMA est de favoriser un « développement économique durable » des pays membres.
L’article 2 de l’accord de 1986 stipule que le rand est la seule monnaie à pouvoir avoir cours légal au sein de l’ensemble des pays de la CMA, mais que chaque pays (hors Afrique du Sud) peut décider des monnaies ayant cours légal sur son territoire, en passant par un accord bilatéral avec le gouvernement sud‑africain.
Cet article et les accords bilatéraux avec l’Afrique du Sud, qui en ont découlé, ont entériné le cours légal du lilangeni en Eswatini et du loti au Lesotho. L’Eswatini a par ailleurs cessé de reconnaître le rand comme ayant cours légal entre 1986 et 2003, bien que ce dernier ait continué à circuler. Enfin, en 1993, la Namibie nouvellement membre de la CMA a introduit le dollar namibien, ayant cours légal sur son territoire au même titre que le rand.
À ce jour, le rand a donc cours légal dans l’ensemble des pays de la CMA, et l’ensemble des monnaies de l’union sont à parité fixe par rapport à ce dernier (à un pour un). Selon la classification de l’Annual Report on Exchange Arrangements and Exchange Restrictions du FMI (ARE‑AER), alors que le rand sud‑africain est flottant administré4, le loti, le dollar namibien et le lilangeni sont à parité fixe avec ce dernier, selon un ancrage conventionnel, similaire à celui que les pays de la CEMAC et de l’UEMOA ont avec l’euro.
Aire monétaire commune (CMA) | Union douanière d'Afrique australe (SACU) | Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) |
|||
---|---|---|---|---|---|
Afrique du Sud | 95,21 | 90,83 | 49,56 | ||
Botswana | - | 4,60 | 2,51 | ||
Eswatini | 1,29 | 1,24 | 0,67 | ||
Lesotho | 0,62 | 0,59 | 0,32 | ||
Namibie | 2,87 | 2,74 | 1,50 | ||
Angola | - | - | 12,91 | ||
Comores | - | - | 0,17 | ||
Madagascar | - | - | 2,73 | ||
Malawi | - | - | 1,84 | ||
Maurice | - | - | 1,77 | ||
Mozambique | - | - | 2,52 | ||
République démocratique du Congo | - | - | 6,89 | ||
Seychelles | - | - | 0,18 | ||
Tanzanie | - | - | 10,23 | ||
Zambie | - | - | 4,06 | ||
Zimbabwe | - | - | 2,15 |
L’origine du principe de parité fixe entre les monnaies des petites économies et le rand fait toutefois l’objet d’interprétations diverses. Si l’accord de la CMA ne mentionne pas explicitement le principe de parité entre le rand et les autres monnaies de l’union, certains observateurs estiment qu’il l’instaure de fait (Grandes, 2003). Dans l’ARE‑AER, la parité fixe du dollar namibien est indiquée comme étant fondée sur l’accord CMA (sans que la valeur de la parité ne soit mentionnée). Pour l’Eswatini, l’ARE‑AER stipule que la parité fixe est fondée sur l’ordre de 1974 portant création du lilangeni (sans que la valeur de la parité ne soit mentionnée non plus). Enfin, concernant le Lesotho, l’ARE‑AER stipule que la parité fixe à un pour un est fondée sur l’accord monétaire bilatéral avec l’Afrique du Sud. Au total, l’origine (communautaire, bilatérale ou unilatérale) du principe de parité ne semble donc pas clairement établie, bien que ce principe semble constituer un prérequis pour faire partie de la CMA, comme l’illustre le cas botswanais5.
Dans les faits, la parité à un pour un avec le rand a toujours été respectée, non seulement depuis la création de la CMA, mais depuis la création de chacune des monnaies. Cet engagement à une parité à un pour un serait toutefois uniquement de facto : les petites économies de la CMA ne se sont pas engagées de manière irréversible à garder la parité d’un pour un avec le rand (Nainda, 2014), et il n’existe pas de mécanisme de soutien mutuel entre pays en cas de pression sur la parité des monnaies locales (Harris et al., 2007). Cela laisserait donc la possibilité pour les petites économies de la CMA de dévaluer leur monnaie (tout en maintenant une parité fixe), en cas de choc asymétrique (FMI, 2022).
L'objectif de la CMA est de favoriser un "développement économique durable" des pays membres.
Chaque pays de l’union est responsable de sa politique monétaire et dispose d’une banque centrale et de sa devise nationale. Les membres de la CMA doivent se consulter au moins une fois par an au sein d’une commission (Common Monetary Area Commission) afin de concilier leurs intérêts dans la formulation des politiques monétaire et de change au sein de l’union. Les décisions se font par consensus avec l’accord des trois quarts des participants (art. 10). L’Afrique du Sud doit accorder (art. 8) au pays acceptant la circulation du rand une compensation (pour perte du seigneuriage). Par ailleurs, les pays de la CMA s’engagent à n’appliquer aucune restriction aux transferts de fonds (art. 3). La seule exception concerne le respect des réglementations de l’Eswatini, du Lesotho, et de la Namibie qui imposent aux institutions financières d’investir un minimum dans l’économie locale. L’accord de la CMA garantit un accès réciproque aux marchés monétaires et des capitaux, et prévoit que chaque partie contractante puisse négocier des accords bilatéraux avec l’Afrique du Sud pour obtenir des crédits temporaires de la Banque centrale sud‑africaine (South African Reserve Bank, SARB), afin de maintenir la stabilité monétaire (art. 4). Il promeut également l’intégration financière et commerciale par une harmonisation des systèmes de paiement et de règlements de différends (art. 7).
En contrepartie de la parité avec le rand, les petites économies s’engagent à garder des réserves de change équivalentes aux devises qu’elles émettent (un des principes clés d’une caisse d’émission – cf. infra). Celles‑ci peuvent inclure les détentions en rand qui sont mises sur compte de dépôt spécial auprès de la SARB.
Bien qu’elle soit en régime de change flexible, l’Afrique du Sud dispose, proportionnellement à ses importations, de plus de réserves de change que les autres pays de la CMA. Au cours de la dernière décennie, selon les données du FMI, les réserves sud‑africaines ont atteint 5 à 6 mois d’importations, contre 3 à 5 mois pour l’Eswatini, le Lesotho et la Namibie. Si les réserves sud‑africaines sont donc supérieures au minimum préconisé de 3 mois pour un régime de change flexible, celles des petites économies de l’union sont inférieures au seuil de 6 mois préconisé pour un régime de change fixe, et sont notamment nettement plus faibles que celles du Botswana, non membre de la CMA.
Ce système, combinant parité fixe et forte mobilité des capitaux, impose des contraintes marquées sur la politique monétaire des petites économies de la CMA : en particulier, leur banque centrale suit les orientations de la politique monétaire établies par la SARB. L’objectif de cette dernière est de protéger la valeur du rand en utilisant le ciblage d’inflation, afin de la maintenir entre 3 % et 6 %. Ainsi, les taux directeurs des autres pays de la CMA sont quasi identiques.
Notes : CMA, Common Monetary Area. Dernières données à mai et juin 2023.
Sources : Banque centrale sud‑africaine (SARB), Banque centrale de l’Eswatini, Banque centrale du Lesotho, Banque centrale de la Namibie.
Par certaines caractéristiques, la CMA s’apparente donc pour partie à un système de caisse d’émission. Elle se rapproche de ce système dans la mesure où la monnaie locale des États de petite taille est ancrée sur une autre monnaie reconnue mondialement, et où l’émission de monnaie locale est garantie par des réserves équivalentes et donc conditionnée par les entrées et sorties de la monnaie de référence. Cependant, contrairement à une caisse d’émission, les banques centrales des petits États ne font pas l’objet d’une interdiction d’acquérir des actifs nationaux. Dans les faits, de tels achats ont bien lieu, et représentent des parts variables dans les bilans des banques centrales (0 % au Lesotho en 2021, 8,5 % en Namibie en 2022, et 24 % en Eswatini en 2022). Si la présence d’opérations de stérilisation ne semble pas documentée de façon systématique, une stérilisation quasi totale a été documentée en Namibie (Sheefeni, 2013), sans que les mécanismes à l’œuvre soient précisément identifiés (émissions d’obligations de stérilisation, ou prise en pension – reverse repo – notamment).
3. La CMA remplit‑elle les critères d’une union monétaire optimale ?
La CMA est une union monétaire singulière. L’absence de monnaie unique crée un système dual entre l’Afrique du Sud, disposant d’une monnaie à change flottant administré, et les autres pays de l’union, disposant d’une monnaie à change fixe. La CMA diffère ainsi de la CEMAC et de l’UEMOA, mais aussi de la zone euro (où tous les pays bénéficient d’une monnaie unique à change flottant). À ce jour, aucun projet de création de monnaie commune au sein de la CMA n’est envisagé. Ainsi, bien que le rand ait cours légal dans l’ensemble de l’union, le fait que chaque pays continue de disposer de sa propre monnaie maintient, a priori, la possibilité de dévaluations en cas de choc asymétrique. En outre, la répartition de l’activité économique au sein de la CMA est particulièrement déséquilibrée, en raison du poids de l’Afrique du Sud. Dans ces conditions, il convient donc de se demander si la CMA constitue un atout ou un frein pour les pays qui la constituent.
L’évaluation des unions monétaires repose traditionnellement sur la théorie des aires monétaires optimales, introduite par Mundell (1961), McKinnon (1963) et Kenen (1969). Dans sa première version, elle prévoit qu’une union disposant d’une monnaie unique est optimale si :
- les cycles économiques des pays qui la composent sont synchronisés, avec une activité économique diversifiée ;
- les pays sont ouverts sur l’extérieur et commercent entre eux (avec une flexibilité des salaires et des prix) ;
- les facteurs de production (travail, capital) sont mobiles au sein de l’union ;
- il existe un mécanisme de partage du risque entre pays (notamment par l’intermédiaire des droits de douane)6.
Dès lors la pertinence, pour un pays, d’intégrer une union monétaire dépend des caractéristiques structurelles de ce pays. Alesina et Barro (2002) ont montré que les économies qui ont le plus à gagner à intégrer une union monétaire sont de petites économies ouvertes ayant une inflation élevée, commerçant avec un partenaire particulièrement important, et ayant un cycle économique corrélé avec celui du pays ancre.
Toutefois, l’une des principales difficultés dans l’évaluation des unions monétaires est que la plupart des critères d’optimalité sont endogènes au développement de l’union (Frankel et Rose, 1998 ; Corsetti et Pesenti, 2002), c’est‑a‑dire qu’ils sont à la fois une cause et une conséquence de son bon fonctionnement. Dans le cas de la CMA, cette difficulté est renforcée par le fait que certains pays qui la composent ont toujours de facto fait partie d’une union monétaire avec l’Afrique du Sud depuis leur indépendance. Dès lors, la création d’une situation contrefactuelle permettant de faire la distinction entre les critères ex ante de bon fonctionnement de l’union monétaire et les conséquences ex post de la mise en oeuvre de cette dernière, n’est pas chose aisée. Dans la suite de cet article, nous présentons quelques statistiques concernant les pays de la CMA, afin à la fois d’identifier leurs principales caractéristiques et d’évaluer le degré de convergence, tout en nous appuyant sur les évaluations existant dans la littérature économique.
Une forte synchronisation des cycles économiques et une diversification croissante de la production
La CMA est marquée par un niveau élevé de synchronisation de l’activité économique7. En moyenne entre 2001 et 2022, la corrélation du taux de croissance du PIB sud‑africain avec celui du Lesotho a été de 70 %, de 75 % avec celui de l’Eswatini et de 79 % avec celui de la Namibie. La corrélation a été plus faible avec celui du Botswana (66 %), en raison de la plus forte volatilité de ce dernier, particulièrement marquée au cours des quinze dernières années : le Botswana a connu deux récessions marquées en 2009 et en 2015 – auxquelles ont échappé les autres pays de la CMA – et son activité économique a fortement rebondi par la suite.
Source : FMI (2023), World Economic Outlook Database, avril.
Les économies de la CMA ont également une structure de production relativement diversifiée, dans laquelle le poids des services est croissant. En 2021, la part des services dans la valeur ajoutée s’établissait entre 49 % et 63 % dans les quatre pays de la CMA, la part des produits manufacturés entre 11 % et 27 %, et la part de l’agriculture entre 2 % et 9 %. Au cours de ces trois dernières décennies, malgré des disparités (la part du secteur manufacturier s’est renforcée au Lesotho et en Namibie, mais s’est contractée en Eswatini et en Afrique du Sud), la part des services a augmenté dans l’ensemble des pays, et la part de l’agriculture a baissé.
Une ouverture commerciale marquée, mais des échanges asymétriques au sein de l’union
Le taux d’ouverture 8 des pays membres de la CMA est élevé, notamment pour les plus petites économies. En 2022, selon les données du FMI, il était de 30 % en Afrique du Sud, et supérieur à 40 % dans les trois autres pays (contre une moyenne de 22 % en Afrique subsaharienne d’après les données du FMI).
L’Afrique du Sud est le principal partenaire commercial de l’Eswatini, du Lesotho et de la Namibie, mais l’inverse n’est pas vrai. Les principaux partenaires commerciaux de l’Afrique du Sud sont la Chine, les Etats‑Unis et l’Allemagne. Parmi les destinations des exportations sud‑africaines, la Namibie se classe 11e, l’Eswatini 17e et le Lesotho 18e (ils sont ainsi devancés par le Botswana et le Mozambique, respectivement 7e et 9e). S’agissant des pays d’origine des importations sud‑africaines, l’Eswatini se classe 20e, la Namibie 27e et le Lesotho 48e (cf. tableau).
Provenance des importations | Destination des exportations | |||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Afrique du Sud | Pays | Rang | Poids en % | Pays | Rang | Poids en % | ||
Chine | 1 | 20,4 | Chine | 1 | 9,9 | |||
Allemagne | 2 | 7,5 | États-Unis | 2 | 9,33 | |||
États-Unis | 3 | 7,5 | Allemagne | 3 | 8,6 | |||
Eswatini | 20 | 1,2 | Namibie | 11 | 3,0 | |||
Namibie | 27 | 0,9 | Eswatini | 17 | 1,3 | |||
Lesotho | 48 | 0,4 | Lesotho | 18 | 1,2 | |||
Eswatini | Afrique du Sud | 1 | 65,8 | Afrique du Sud | 1 | 66,5 | ||
Chine | 2 | 13,3 | Kenya | 2 | 5,5 | |||
Inde | 3 | 4,8 | Nigéria | 3 | 3,8 | |||
Lesotho | Afrique du Sud | 1 | 84,0 | Afrique du Sud | 1 | 42,8 | ||
Chine | 2 | 5,0 | Belgique | 2 | 30,8 | |||
Taïwan | 3 | 4,5 | États-Unis | 3 | 23,1 | |||
Namibie | Afrique du Sud | 1 | 34,6 | Chine | 1 | 29,9 | ||
Zambie | 2 | 17,9 | Afrique du Sud | 2 | 17,4 | |||
Chine | 3 | 8,2 | Botswana | 3 | 8,5 |
Néanmoins, ces classements indiquent une surreprésentation des petites économies de la CMA dans le commerce extérieur sud‑africain. En effet, la part des petites économies de la CMA dans le commerce extérieur sud‑africain est proche de leur PIB relatif par rapport à l’Afrique du Sud, ce qui est loin d’être le cas pour les autres partenaires commerciaux du pays9. Les échanges commerciaux sud‑africains avec ses trois pays voisins de la CMA en 2020 sont ainsi supérieurs à ceux qui sont prédits à l’aide d’une équation de gravité du commerce international pour l’année 2020. Le commerce intrazone, certes faible par rapport au commerce avec l’extérieur de la zone (8 % seulement en 2021), s’avère en réalité élevé eu égard à la petite taille de l’Eswatini, du Lesotho et de la Namibie10.
Lecture : La droite à 45° représente les cas pour lesquels les flux observés sont égaux aux flux prédits. Le Lesotho (LSO), la Namibie (NAM) et l’Eswatini (SWZ) ont tous trois des flux observés supérieurs aux flux prédits. Source : CEPII (données Gravity), calculs des auteurs.
La forte ouverture au commerce international des économies de la CMA les expose à des déficits jumeaux. Le déficit du compte courant observé dans deux petites économies de la CMA (la Namibie et le Lesotho), reflétant pour partie leur dépendance aux importations sud‑africaines, suggère des risques de vulnérabilité en cas de choc asymétrique affectant l’économie sud‑africaine11.
Source : FMI (2023), World Economic Outlook Database, avril.
Le contenu des exportations, qui diffère sensiblement entre pays, est également favorable à l’émergence de risques asymétriques (Wang et al., 2007). D’une part, les pays de la CMA exportent différents types de produits dont les prix peuvent évoluer différemment. Si en 2022 les métaux ou minerais font partie d’un des trois premiers postes d’exportation pour l’ensemble des pays, l’Afrique du Sud est le seul pour lequel ils constituent les trois premiers postes (soit 66 % des exportations). Si la Namibie exporte principalement des pierres et métaux précieux (29 % de ses exportations), le bétail et les produits chimiques font également partie de ses trois principaux postes d’exportation. Le Lesotho exporte principalement des textiles (55 % de ses exportations), et l’Eswatini des produits chimiques (37 % de ses exportations). D’autre part, bien que les principales exportations soient réparties entre différents secteurs d’activité, elles demeurent fortement concentrées : les trois premiers postes d’exportation représentent 59 % des exportations totales en Namibie, 66 % en Afrique du Sud, 72 % en Namibie, 74 % en Eswatini et 95 % au Lesotho.
Rang | Production | Part en % | |||
---|---|---|---|---|---|
Afrique du Sud | 1 | Pierre et métaux précieux | 37 | ||
2 | Minerais | 20 | |||
3 | Métaux de base | 9 | |||
Eswatini | 1 | Produits chimiques | 37 | ||
2 | Alimentation transformée | 26 | |||
3 | Pierres et métaux précieux | 11 | |||
Lesotho | 1 | Textiles | 55 | ||
2 | Pierres et métaux précieux | 35 | |||
3 | Équipements électroniques | 5 | |||
Namibie | 1 | Pierres et métaux précieux | 29 | ||
2 | Bétail | 17 | |||
3 |
Produits chimiques |
13 |
Une importante mobilité de la population, mais conditionnée aux développements économiques et sociopolitiques de la sous‑région
Si l’Afrique du Sud attire relativement plus d’émigrés de la CMA que d’autres pays, reflétant notamment l’attractivité de son industrie minière, les émigrés sud‑africains sont relativement peu nombreux dans les pays de la CMA. L’Afrique du Sud est la principale destination des émigrés en provenance d’Eswatini, du Lesotho et de Namibie. Depuis les années 1980, elle a attiré 65 % à 95 % d’entre eux, soit des taux dans l’ensemble supérieurs à ceux qui sont observés parmi les émigrés du Botswana ou du Zimbabwe. Au contraire, depuis le début des années 1980, les émigrés sud‑africains en Eswatini, au Lesotho et en Namibie n’ont, tout au plus, représenté que 7 % de l’ensemble des émigrés sud‑africains. Ainsi, en 2021, les émigrés des petits pays de la CMA en Afrique du Sud étaient dix fois plus nombreux que les émigrés sud‑africains dans les petits pays de la CMA (alors même que la population de ces pays est dix fois inférieure à celle de l’Afrique du Sud, et que le nombre de leurs ressortissants émigrés est trois fois plus faible que le nombre d’émigrés sud‑africains).
La mobilité des populations entre pays de la CMA dépend fortement du contexte économique et sociopolitique. L’importance du contexte économique est particulièrement visible dans le cas du Zimbabwe. Si le Zimbabwe a été, parmi les pays frontaliers, l’un des principaux pays d’émigration des Sud‑Africains en période d’apartheid (autour de 7 % des émigrés sud‑africains y résidaient), sa part dans les émigrations sud‑africaines a été divisée par deux entre 2000 et 2020, en lien avec la sévère crise économique que connaît le pays depuis 2000. La part des émigrés sud‑africains dans les autres pays de la CMA a également été fortement affectée par l’apartheid, et par les sanctions économiques internationales, qui ont entraîné des émigrations accrues des populations sud‑africaines. Ces flux se sont inversés avec la fin de l’apartheid et la relocalisation d’une partie de la production industrielle, notamment de l’Eswatini vers l’Afrique du Sud (Nainda, 2014). Enfin, le cas récent du Zimbabwe illustre également bien les facteurs politiques de la mobilité des populations : le fort afflux d’émigrés zimbabwéens en Afrique du Sud a été favorisé par l’instauration d’une exemption leur permettant d’y vivre et d’y travailler sans permis de séjour (pour ceux qui sont arrivés avant 2009). Le gouvernement sud‑africain a cependant décidé de mettre fin à cette exemption en 2021. Bien que les pays de la CMA aient signé en 2018 le protocole de l’Union africaine sur la libre circulation des personnes, ils ne l’ont pas encore ratifié.
Note : CMA, Aire monétaire commune (Common Monetary Area) de l’Afrique australe.
Sources : Banque mondiale, Global Bilateral Migration (années 1980 et 2000) ; KNOMAD et Banque mondiale, Bilateral Migration Matrix (année 2021).
Les asymétries observées en matière de migration se retrouvent dans les transferts financiers des populations émigrées. En 2021, les transferts depuis l’Afrique du Sud vers les petites économies de la CMA étaient 27 fois supérieurs à ceux envoyés depuis les petites économies vers l’Afrique du Sud (alors que le PIB sud‑africain est vingt fois supérieur à celui de ces petites économies). Ils représentaient plus de 90 % des transferts de populations émigrées reçus par les petites économies de la CMA, alors que les transferts depuis ces pays vers l’Afrique du Sud ne représentaient que 2 % des transferts reçus en Afrique du Sud. Au-delà des différences observées en matière de flux migratoires, les différences de taux de bancarisation entre l’Afrique du Sud (85 % en 2021) et les autres pays de la zone (71 % en Namibie en 2021, 46 % au Lesotho en 2017) pourraient également contribuer à l’asymétrie des flux au sein de la sous‑région. L’Afrique du Sud est toutefois une destination privilégiée des transferts émanant des petites économies de la CMA : en 2021, 40 % des transferts de populations émigrées émanant du Lesotho étaient envoyés en Afrique du Sud, tout comme près de 60 % de ceux provenant de l’Eswatini.
Autres facteurs contribuant à l’intégration de la CMA
Divers facteurs contribuent également à l’intégration économique de la CMA, à commencer par les liens historiques étroits entre les pays qui la composent. La CMA a ainsi existé de facto avant d’exister de jure. Les langues officielles des trois petites économies de la CMA sont également langues officielles en Afrique du Sud, ce qui peut faciliter la mobilité des populations et donc du facteur travail.
En outre, en vertu de l’accord instituant la CMA, il n’existe pas de restriction aux flux de capitaux et aux comptes courants : la mobilité des capitaux est donc forte en CMA. Si les investissements directs se font essentiellement depuis l’Afrique du Sud vers les autres pays de l’union, les investissements des petits pays de la CMA vers l’Afrique du Sud sont importants relativement à la taille de leurs économies : en 2021, selon les données du FMI, ils représentaient ainsi 37 % des investissements directs en provenance d’Afrique du Sud vers ces trois pays (alors que leur PIB est vingt fois inférieur). Les importantes parts de marché des banques sud‑africaines dans les autres pays de la CMA 12, et l’alignement des standards de supervision bancaires entre pays, peuvent contribuer à expliquer cette mobilité des capitaux. Les marchés financiers sont par ailleurs fortement intégrés au niveau régional, et la mise en place en novembre 2022 d’une plateforme d’interconnexion des principales bourses africaines (African Exchanges Linkage Project, AELP), dont fait partie la Bourse de Johannesbourg (Johannesburg Stock Exchange, JSE) pourrait encore la renforcer.
Certains mécanismes de redistribution existent également au sein de l’union. Si la flexibilité des prix au sein de la CMA, plus marquée que dans d’autres régions, facilite les ajustements en cas de choc externe (Matšaseng, 2008), il n’existe pas, au sein de la CMA, de mécanismes budgétaires permettant des transferts entre pays en cas de choc asymétrique, ou de fonds de stabilisation liés aux exportations de matières premières 13. Néanmoins, les pays membres de la SACU bénéficient d’un mécanisme de redistribution trimestrielle des frais de douane collectés par les États membres (Consolidated Revenue Fund of South Africa). La formule de calcul déterminant le partage des revenus a d’ailleurs été conçue en faveur des petites économies, en prenant en compte non seulement la part de chaque pays dans les importations et le PIB intrarégional, mais aussi leur niveau de développement. L’article 4 de l’accord monétaire multilatéral entre les pays de la CMA prévoit enfin la possibilité pour l’Eswatini, le Lesotho et la Namibie de conclure des accords bilatéraux avec l’Afrique du Sud afin d’obtenir, dans des circonstances spécifiques, des crédits auprès de la SARB. Cependant ce mécanisme ne semble pas avoir été utilisé jusqu’ici. Si l’Afrique du Sud a déjà effectué un prêt en 2011 à l’Eswatini, il n’est pas certain qu’il ait été effectué dans le cadre d’un accord bilatéral relevant de l’article 4.
4. La CMA a‑t‑elle entraîné une convergence entre économies ?
L’inflation est synchronisée entre les différents pays de la CMA et a diminué au cours des trois dernières décennies. La corrélation de l’inflation sud‑africaine avec celles des trois petits pays de la CMA entre 2001 et 2022 (supérieure à 80 %) est ainsi supérieure à sa corrélation avec celle du Botswana (43 %). La dispersion des niveaux d’inflation a progressivement diminué. Ces résultats concordent avec des travaux universitaires indiquant une relation causale entre l’inflation sud‑africaine et celles des trois autres pays (Harris et al., 2007), liée notamment à la forte part des importations en provenance d’Afrique du Sud dans ces pays.
Note : CMA, Aire monétaire commune (Common Monetary Area) de l’Afrique australe.
Source : FMI (2023), World Economic Outlook Database, avril.
Si ces résultats suggèrent des effets positifs de la CMA s’agissant de l’inflation, les effets sur l’activité économique sont plus nuancés. Certes, au cours des trois dernières décennies, le taux de croissance annuel moyen du PIB par tête a été en moyenne légèrement plus élevé dans les pays ayant un niveau de PIB par tête initial plus faible. Le taux de croissance annuel moyen du PIB par tête à prix constants et à parité de pouvoir d’achat en Afrique du Sud a ainsi été de 1,0 % entre 1992 et 2022, contre des valeurs comprises entre 1,3 % et 2,1 % dans les trois autres pays (dont les PIB par tête en 1991 étaient 1,5 à 7,5 fois inférieurs à celui de l’Afrique du Sud). Néanmoins, la dispersion des PIB par tête au sein de la CMA a plutôt augmenté depuis 1991, principalement au cours de la période 1991‑2010. En comparaison, la dispersion des PIB par tête de l’UEMOA a plus fortement augmenté au cours des dix dernières années (après une baisse entre 1991 et 2010). Celle des PIB par tête de la CEMAC a quant à elle fortement baissé depuis dix ans (après une hausse entre 1991 et 2010). À noter enfin que le Botswana, dont le PIB par tête était seulement légèrement inférieur à celui de l’Afrique du Sud en 1991, a connu une croissance de son PIB par tête supérieure à celle de l’Afrique du Sud entre 1992 et 2022 (1,7 % en moyenne), suggérant un rôle possible de l’union douanière parmi les sources de croissance des pays d’Afrique australe, bien que des facteurs propres au Botswana ne soient pas à écarter.
Les travaux universitaires sur le sujet font également état d’effets nuancés de la CMA. Asonuma et al. (2012) ont montré qu’entre 1994 et 2010 la création de la CMA a bénéficié à l’ensemble des pays membres (notamment au Lesotho et à l’Eswatini)14. Selon cette étude, la plupart des pays membres de la SADC mais non membres de la CMA auraient gagné à intégrer cette dernière, notamment le Botswana, la Zambie et le Zimbabwe. Wörgötter et Brixiova (2020) ont également montré que la convergence au sein de la CMA n’est pas systématique et dépend des caractéristiques structurelles des pays. Les auteurs ont comparé le Lesotho, l’Eswatini et la Namibie aux provinces sud‑africaines entre 1996 et 2017, dans une analyse de type « club de convergence » (régression du taux de croissance du PIB par tête sur son niveau de départ). Selon cette analyse, la croissance de l’Eswatini a été proche de la valeur prédite par la relation linéaire estimée, et celle de la Namibie a été supérieure. En revanche, le PIB du Lesotho a crû moins vite que ce que prédisait la relation linéaire estimée, possiblement à cause de comportements de fixation de prix différents de ceux d’Afrique du Sud, empêchant la réallocation des ressources en cas de choc asymétrique.
Notes : PIB par habitant en dollars constants de 2017. CMA, Aire monétaire commune (Common Monetary Area) de l’Afrique australe. – CEMAC, Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. – UEMOA, Union économique et monétaire ouest‑africaine.
Source : Banque mondiale, World Development Indicators.
1 Elle s’est à cette occasion formellement renommée Multilateral Monetary Area, bien que le terme de CMA reste le plus largement employé.
2 Le COMESA a pour but explicite, depuis son instauration en 1994, d’instituer une aire monétaire commune, bien que ce projet semble à ce jour peu avancé.
3 SADC, Regional economic performance and the business environment and medium‑term prospects in 2020. SADC, Annual reports (2017‑2020).
4 Depuis 1998, la SARB n’utilise plus ses réserves de change pour stabiliser le cours du rand.
5 Le pula botswanais (qui existe depuis 1976, à la suite du retrait du Botswana de l’Aire monétaire du rand en 1975) suit une parité ajustable de jure et de facto (parité glissante ou crawling peg) depuis 2005, sur un panier comprenant le rand sud‑africain (45 %) et les droits de tirage spéciaux (DTS, 55 %).
6 Ces travaux ont ainsi raffiné des intuitions théoriques formulées dès 1953 par Milton Friedman.
7 Dans cet article, certaines comparaisons sont effectuées vis-à-vis du Botswana et du Zimbabwe, en raison de leur proximité géographique.
8 Calculé comme le ratio de la moyenne des importations et des exportations sur le PIB.
9 Par exemple, la part des Etats‑Unis dans le commerce extérieur sud‑africain est environ de 10 %, alors que son PIB est près de 5 fois supérieur à celui de l’Afrique du Sud.
10 La part de l’Afrique du Sud dans le commerce international des trois petites économies de la CMA est elle aussi supérieure à ce qu’indiquent les régularités estimées dans le cadre d’un modèle de gravité.
11 Une exception notable est l’Eswatini, dont le déficit budgétaire est prononcé, mais dont la balance courante est excédentaire depuis le début des années 2010, en raison notamment de recettes douanières importantes provenant de la SACU et d’un excédent commercial (d’après le FMI, article IV, 2019 – cf. également « Autres facteurs contribuant à l’intégration de la CMA », infra).
12 Au Lesotho et en Eswatini, trois des quatre banques qui y sont implantées sont sud‑africaines (Standard Bank, Nedbank, First National Bank). Dans le cas du Lesotho, les banques sud‑africaines comptabilisaient 92 % des dépôts en 2018 (FMI, 2020).
13 Au sein de la SACU, seul le Botswana possède un tel fonds.
14 Des résultats similaires ont été mis en évidence par Masson et Pattillo (2004) et Debrun et Masson (2013).
- Coopérations monétaires Afrique-France : rapport 2022
- Partenariats Afrique-France
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