1. Les positions récentes prises par la nouvelle administration américaine en matière de dérégulation de leur système financier soulèvent de nouveaux défis en termes de sécurité, d’innovation et de souveraineté. Comment le secteur des paiements est-il également impacté par ces évolutions ?
Dans le contexte géopolitique actuel, la souveraineté s’impose comme un enjeu majeur pour l’Europe dans tous les domaines, y compris celui des moyens de paiement. Plus que jamais, il est essentiel de concilier sécurité, innovation et autonomie stratégique.
La souveraineté commence par notre capacité à assurer la sécurité de nos moyens de paiement. Sur ce point, l’intelligence artificielle a profondément changé la donne. Elle renforce nos capacités de détection des fraudes, mais ouvre aussi, notamment avec l’IA générative, de nouveaux leviers pour compromettre la sécurité des paiements : phishing plus ciblé, deepfakes, manipulations facilitées par la traduction automatique… En 2024, l’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement (OSMP) a mis en lumière ces menaces émergentes. Face à leur sophistication croissante, il est plus que jamais nécessaire d’élargir les coopérations et de mobiliser l’ensemble des acteurs de l’écosystème des paiements, en France comme en Europe.
Le contexte international nous invite également à renforcer notre autonomie en matière de technologies et d’infrastructures de paiement. Si notre système est solide, il demeure en partie tributaire d’acteurs et de technologies extra-européens. Le succès des initiatives portées par des acteurs européens publics et privés, comme la monnaie numérique de banque centrale « de gros », l’euro numérique et le portefeuille européen Wero, a un rôle clé à jouer pour affirmer notre indépendance stratégique et garantir un contrôle européen sur les paiements digitaux.
Enfin, la résilience de notre système de paiement implique de préserver la liberté de choix et la disponibilité des espèces, qui restent un recours essentiel en cas de crise, comme l’a montré la panne électrique en Espagne au début du mois de mai.
2. Dans quelle mesure la Banque de France représente-t-elle un acteur clé dans le maintien de la sécurité des moyens de paiement ?
La Banque de France joue un rôle central dans la sécurité des paiements. Depuis la loi du 15 novembre 2001 sur la sécurité quotidienne, elle est chargée de veiller à la sécurité des moyens de paiement scripturaux. Pour cela, elle s’appuie sur l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), qui délivre les agréments aux nouveaux entrants et procède à des contrôles.
Elle repose aussi sur deux instances clés, qu’elle préside et qui fédèrent les principales parties prenantes à l’écosystème des paiements en France : l’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement (OSMP) et le Comité national des moyens de paiement (CNMP). L’OSMP s’occupe principalement, sur la base des statistiques de fraude qu’il élabore, de contribuer à prévenir et aider à combattre le développement de la fraude aux moyens de paiement par une activité de veille sur les menaces et les innovations technologiques, le développement de plans d’actions et de recommandations, soutenus par l’ensemble des acteurs. Le CNMP, pour sa part, élabore et met en œuvre une stratégie nationale sur les moyens de paiement pour bien adapter et bien intégrer l’offre nationale dans le paysage des paiements européens, dans la recherche d’une conciliation entre innovation, sécurité et liberté de choix pour les utilisateurs. La conférence qui s’est tenue à la Banque de France le 6 mai dernier, co-organisée par l’OSMP et le CNMP, a illustré ces objectifs et ces actions collectifs.
3. Dans un contexte de forte digitalisation des moyens de paiement, quels sont les enjeux liés aux projets de monnaies numériques de banque centrale et plus spécifiquement à l’éventuelle création d’un euro numérique ?
Pour accompagner le développement de l’économie numérique par la disponibilité de solutions de paiement adaptées, les banques centrales de l’Eurosystème, la Banque centrale européenne (BCE) et les banques centrales nationales des États membres de l’Union européenne qui ont adopté l’euro, étudient l’opportunité et les modalités d’une mise à disposition d’un « euro numérique » pour les paiement du quotidien : il s’agirait d’une nouvelle forme de monnaie émise par les banques centrales de l’euro, diffusée par les prestataires de services de paiement et qui viendrait enrichir la gamme des moyens de paiement en complément des billets. Il constituerait l’équivalent pour le monde numérique des billets et serait à la disposition de l’ensemble des citoyens.
Les enjeux de ce projet sont doubles. Il s’agit d’abord de garantir l’accès à une monnaie publique, dans un contexte où les paiements dématérialisés et l’économie numérique progressent. L’euro numérique doit également contribuer à maintenir et renforcer la souveraineté européenne de son système de paiement pour l’euro, face au risque d’une privatisation de celui-ci au profit de solutions de paiement entre les mains d’acteurs non européens.
Contrairement aux crypto-actifs, l’euro numérique remplirait pleinement les fonctions d’une monnaie : unité de compte, moyen de paiement et réserve de valeur. Il serait garanti par une autorité publique, stable et accepté par tous.