Les anticipations inflationnistes des ménages jouent un rôle clé dans la dynamique macroéconomique, non seulement parce qu'elles influencent les décisions d'épargne et de consommation, mais aussi parce qu'elles constituent un indicateur important de la crédibilité de la banque centrale. Dans la zone euro, l'enquête de la Banque centrale européenne sur les anticipations des consommateurs (ECB-CES) fournit des indicateurs de référence des anticipations inflationnistes des ménages. Cependant, la mesure des anticipations est difficile. Contrairement aux conjoncturistes, les ménages sont généralement moins bien informés sur l'inflation, ce qui rend leurs réponses particulièrement sensibles à la formulation et à la conception du questionnaire. L'une des principales caractéristiques de l'ECB-CES est qu'elle permet aux répondants de participer à plusieurs reprises, ce qui permet aux chercheurs de suivre l'évolution des anticipations des mêmes personnes au fil du temps. Cependant, la participation répétée peut elle-même influencer les réponses en incitant les ménages répondants à s’informer ou à se familiariser avec le concept d'inflation. Ce phénomène est communément appelé « apprentissage par l'enquête » ou « conditionnement par panel » et particulièrement pertinent lorsque l'objectif est de mesurer les anticipations des ménages sous forme de réponses spontanées à l'enquête. Cela est particulièrement crucial lorsqu'il s'agit d'évaluer l'ancrage des anticipations d'inflation ou de tester les théories sur la formation des anticipations, car un biais systématique introduit par une participation répétée à l'enquête pourrait fausser l'interprétation des résultats. Dans cet article, nous estimons l'ampleur des effets de conditionnement par panel à l'aide des données de l'enquête BCE-CES.
Cette enquête présente plusieurs caractéristiques qui la rendent particulièrement adaptée à cette analyse. Premièrement, les répondants peuvent participer jusqu'à 24 fois (c'est-à-dire 24 mois) à l'enquête, soit davantage que dans d'autres enquêtes comparables. Deuxièmement, l'enquête ECB-CES recueille un large éventail anticipations quantitatives, couvrant non seulement l'inflation, mais aussi d'autres variables macroéconomiques telles que le chômage, ainsi que des variables propres aux ménages telles que la croissance des revenus et de la consommation. Troisièmement, l'enquête est, menée chaque mois dans 11 pays différents de la zone euro, auprès d'environ 20 000 ménages. Enfin, elle couvre l'ensemble du cycle d'inflation de 2020 à 2024, offrant ainsi une variation temporelle suffisante pour identifier les effets de conditionnement du panel sur les anticipations d'inflation.
À partir de plus de 950 000 réponses mensuelles fournies par environ 100 000 participants uniques à l'enquête BCE-CES entre 2020 et 2024, nous montrons que, toutes choses égales par ailleurs, les ménages font état d'une perception et d'anticipations d'inflation plus faibles lorsqu'ils participent à l'enquête pendant plusieurs mois consécutifs. Cet effet de conditionnement du panel devient significatif à partir de la deuxième participation à l'enquête, son ampleur augmentant rapidement au cours des vagues suivantes avant de se stabiliser à son maximum (en termes absolus). Après 12 participations consécutives à l'ECB-CES, les anticipations d'inflation à un an sont, en moyenne, inférieures d'environ 2 points de pourcentage à celles de la première enquête. Au-delà de ce point, l'effet de conditionnement du panel reste stable jusqu'à la durée maximale de participation. Une tendance similaire est observée pour les anticipations d'inflation à long terme, bien que l'ampleur de l'effet soit moindre. Lorsque l'on tient compte de ces effets liés à la durée de participation, les indicateurs agrégés des anticipations d'inflation sont, en moyenne, plus élevés que ceux calculés à partir des données brutes, bien que les deux restent fortement corrélés.
Nous constatons que les effets liés à la durée de participation sont plus marqués lorsque les ménages déclarent initialement des anticipations d'inflation très élevées et que la participation répétée conduit à des réponses moins arrondies et à une plus grande certitude déclarée. Les effets de conditionnement du panel semblent également plus prononcés chez les répondants dont le niveau d'attention initial est plus faible. Ces résultats suggèrent que les ménages ont tendance à fournir des réponses plus cohérentes au fil du temps à mesure qu'ils acquièrent de l'expérience avec l'enquête. Cependant, seule la moitié environ des effets de conditionnement du panel observés peut être attribuée à une amélioration des performances de prévision. Une participation répétée peut également réduire l'engagement et conduire à des réponses moins précises. Nous constatons également que les effets liés à la durée de participation ne sont pas spécifiques à l'inflation, mais s'observent également pour d'autres variables macroéconomiques, telles que le chômage ou la croissance économique. Les effets de conditionnement du panel sont beaucoup moins importants pour les variables spécifiques aux ménages, telles que le revenu ou la consommation.
Mots-clés : consumer expectations survey, inflation, méthodologie d’enquête
Codes JEL : D83, D84, E31