Document de travail

La BCE devrait-elle ajuster sa stratégie face à un r* plus bas ?

Mise en ligne le 21 Avril 2021
Auteurs : Philippe Andrade, Jordi Galí, Hervé Le Bihan, Julien Matheron

Document de travail n°811. Nous abordons cette question à l'aide d'un modèle DSGE néokeynésien estimé sur données de la zone euro, incorporant une inflation tendancielle, une indexation imparfaite et une borne inférieure pour le taux d'intérêt nominal. Dans cette configuration, une baisse du taux d'intérêt réel en régime permanent, r*, augmente la probabilité de rencontrer la contrainte de la borne inférieure, ce qui entraîne des coûts en bien-être importants et justifie un ajustement de la stratégie de politique monétaire. Dans le cadre d'une règle de politique monétaire inchangée, une augmentation de l'objectif d'inflation de huit dixièmes de l'ampleur de la baisse du taux d'intérêt naturel réel est justifiée. En l'absence d'une augmentation de l'objectif d'inflation, et en supposant que la borne inférieure effective empêche la BCE de mettre en œuvre des politiques de taux d'intérêt négatifs plus agressives, l'ajustement de la stratégie monétaire nécessite d'envisager des instruments ou des règles de politique alternatifs, tels qu'un engagement à compenser les récentes réalisations d'inflation inférieures à la cible.

Image Optimal inflation target and steady-state real interest rate

La BCE a lancé une révision de sa stratégie de politique monétaire en janvier 2020.  Pour motiver ce réexamen, la BCE a déclaré que "la baisse de la croissance tendancielle, due au ralentissement de la productivité et au vieillissement de la population, ainsi que les séquelles de la crise financière, ont entraîné une baisse des taux d'intérêt, réduisant ainsi la possibilité pour la BCE et les autres banques centrales d'assouplir la politique monétaire au moyen d'instruments conventionnels en cas d'évolution conjoncturelle défavorable".

Un taux d'intérêt réel structurellement plus bas est important pour la politique monétaire car, toutes choses égales par ailleurs, le taux d'intérêt nominal atteindra plus fréquemment sa limite inférieure effective (ELB), ce qui entravera la capacité de la politique monétaire à stabiliser l'économie et entraînera des épisodes plus fréquents (et potentiellement plus longs) de récessions et d'inflation inférieure à la cible.

Le présent document contribue à ce débat en posant deux questions. Premièrement, dans quelle mesure un taux d'intérêt réel plus faible en régime permanent nécessite-t-il une modification de l'objectif d'inflation optimal si la banque centrale maintient sa règle de politique inchangée ? Deuxièmement, dans quelle mesure une modification de la règle de politique monétaire peut-elle être une alternative à l'augmentation de l'objectif d'inflation ?

Pour répondre à ces questions, nous effectuons une analyse quantitative qui s'appuie sur un modèle macroéconomique structurel, estimé sur données de la zone euro. Dans ce modèle, l’indexation des prix à l’inflation passée n’est pas complète.

Nos principales conclusions peuvent être résumées comme suit : (i) ne pas modifier la stratégie de politique monétaire est sous-optimal ; (ii) une diminution de 1 point de pourcentage de r* par rapport à son niveau d'avant 2008 nécessite une augmentation de l'objectif d'inflation d'environ 0,8 point de pourcentage lorsque la règle de politique monétaire reste inchangée ; et (iii) une modification de la règle de politique monétaire peut être une alternative à l'augmentation de l'objectif d’inflation si l'engagement à rattraper l'inflation perdue pendant les épisodes d’ELB est suffisamment fort et crédible.

Mise à jour le 25 Juillet 2024