Le système financier a connu des tensions importantes au premier semestre 2023, dans le sillage des faillites de banques régionales aux États-Unis et des difficultés de Crédit suisse. Les banques à l’origine de cette crise étaient individuellement exposées à des fragilités spécifiques dues à des modèles d’affaires non viables et à une gestion des risques défaillante. Les risques de contagion au système financier européen et en particulier français ont été évités, grâce aux fondamentaux solides de ces banques, soutenus par un cadre réglementaire renforcé depuis 2008 et un modèle de supervision exigeant.
Les perspectives économiques se sont plutôt améliorées depuis fin 2022, mais, à court terme, le contexte reste marqué par le ralentissement de la croissance et un niveau encore élevé d’inflation. Pour lutter contre le risque d’une inflation persistante, et ainsi préserver la stabilité du système financier, la Banque centrale européenne a relevé ses taux directeurs à huit reprises depuis juillet 2022.
Le système financier se montre résilient face au resserrement rapide des conditions de financement en cours et à l’évolution du contexte macroéconomique. Depuis fin 2022, la croissance des volumes de financement et celle des prix immobiliers a ralenti. Ce ralentissement, s’il reste ordonné, permettra de corriger à moyen terme des vulnérabilités liées au niveau d’endettement important des acteurs non financiers et à des prix immobiliers élevés. Le contexte d’incertitudes économiques et de hausse des coûts de financement reste toutefois porteur d’un risque de choc potentiellement déstabilisateur pour les acteurs les plus vulnérables.
Face à des risques qui restent élevés pour la stabilité financière, il est donc nécessaire de maintenir une stricte vigilance afin de préserver la résilience du système financier français. Les banques et les assureurs français peuvent s’appuyer sur leurs niveaux élevés de fonds propres et de liquidité pour gérer les risques liés à l’évolution des conditions macro-économiques et macrofinancières. Les tensions de marché se sont résorbées depuis leur pic récent en 2022, mais le risque d’une correction désordonnée persiste. De tels mouvements pourraient être alimentés par le comportement potentiellement procyclique des acteurs de l’intermédiation non bancaires les plus exposés au levier et au risque de liquidité. Enfin, un choc plus important que prévu sur la croissance économique ou sur les conditions de financement pourrait fragiliser les acteurs non financiers les plus endettés. Ces risques différenciés sont précisés dans les lignes qui suivent.
Le secteur bancaire français n’est pas exposé aux mêmes vulnérabilités que les banques à l’origine de la crise de mars 2023 et doit gérer l’augmentation de ses coûts de financement
Les turbulences bancaires de mars 2023 ont mis en exergue des fragilités spécifiques aux banques en crise, avec des situations préexistantes de mauvaise gestion des risques ou de modèles d’affaires non viables. Après un épisode de forte volatilité sur les marchés, les risques de contagion ont été rapidement contenus grâce aux faibles expositions directes du système financier français à l’égard de ces institutions et à la résilience des banques françaises. Cette solidité est soutenue par un cadre prudentiel et de supervision européen rigoureux, au sein de l’Union bancaire. Dans l’Union européenne, le cadre réglementaire défini au niveau international après la grande crise financière (Bâle III) s’applique à toutes les banques, même les plus petites, alors qu’aux États-Unis il ne s’applique qu’à 13 banques. Les banques régionales américaines étaient ainsi soumises à des exigences nettement moins strictes. Un cadre réglementaire robuste doit être accompagné d’une supervision forte. Le modèle de supervision actif de la zone euro, au sein du Mécanisme de surveillance unique (MSU), contribue à la solidité des banques françaises, avec une approche intrusive, adaptée aux caractéristiques des banques et complétée par des tests de résistance rigoureux et réguliers, y compris sur le risque de taux d’intérêt.
Les banques françaises continuent d’afficher des niveaux élevés de solvabilité et de liquidité. Elles sont soumises à un strict encadrement du risque de taux d’intérêt et peuvent s’appuyer sur une structure de financement diversifiée et solide, caractérisée par une base de dépôts stables. Elles sont donc bien positionnées pour s’adapter au resserrement de la politique monétaire et pour bénéficier de la remontée des taux d’intérêt. À court terme, elles doivent néanmoins faire face à une remontée de leurs coûts de financement, sous l’effet d’une hausse de la part des dépôts rémunérés dans le total des dépôts et du renouvellement de leur dette de marché à des taux plus élevés. Après de solides performances financières en 2022, cette hausse du coût des passifs et le ralentissement de l’activité de crédit pourraient réduire la rentabilité des banques françaises à court terme mais la hausse des taux d’intérêt leur bénéficiera dans la durée.
Les assureurs affichent une structure de bilan solide mais doivent continuer de s’adapter à un environnement de taux plus élevés
Les conséquences de l’inflation et de la hausse des taux d’intérêt sont variables selon les activités et les organismes. Pour les assureurs non-vie, l’inflation pèse sur le coût des prestations à servir car les activités sont exposées à une hausse des coûts des sinistres et des frais (sur certains risques longs, les primes encaissées par les assureurs peuvent servir à garantir des sinistres pouvant se produire plusieurs années après). Les assureurs vie doivent quant à eux faire face à un rendement de l’actif moyen inférieur aux taux de marché, ce qui engendre un risque d’augmentation des rachats, en particulier sur les fonds en euros. Les taux de rachats progressent mais restent contenus, grâce notamment à la revalorisation des contrats d’assurance intervenue en 2022. Par ailleurs, les dispositifs fiscaux et successoraux propres aux produits d’assurance-vie devraient continuer à inciter les assurés à limiter les sorties.
Le risque de correction désordonnée sur les marchés reste très élevé et pourrait déstabiliser les acteurs non bancaires les plus exposés au levier et au risque de liquidité
Les vulnérabilités des marchés financiers pourraient amplifier la transmission des chocs. La volatilité des taux d’intérêt se maintient à des niveaux historiquement élevés, en raison de l’incertitude sur le rythme de ralentissement de l’inflation ce qui contribue à dégrader la liquidité de marché. Dans le même temps, certains indicateurs de valorisation des actifs risqués, en particulier sur les marchés actions, suggèrent un excès d’optimisme et donc un risque de correction en cas de choc. Les valorisations restent vulnérables à une réappréciation soudaine et non anticipée des primes de risque. Les tensions de marchés survenues au cours des derniers mois (marchés de l’énergie, fonds de pension britanniques, faillites de banques régionales américaines) montrent que des vulnérabilités localisées peuvent rapidement avoir des répercussions généralisées sur les prix des actifs financiers, leur liquidité et leur volatilité.
Certaines catégories d’intermédiaires financiers non bancaires sont exposées à un risque de liquidité important qui pourrait les conduire à adopter des comportements procycliques, de nature à renforcer les dynamiques adverses sur les marchés. Selon le Conseil de stabilité financière (CSF), environ 14% des actifs financiers mondiaux sont gérés par des intermédiaires financiers non bancaires exposés à des risques semblables à ceux des banques. Ces acteurs pourraient connaître des besoins de financement importants en cas de choc de marché, par le biais d’appels de marges ou de demandes de rachats, et ainsi renforcer les dynamiques adverses de marchés à travers des ventes forcées d’actifs. Les acteurs dont le recours à l’effet de levier est élevé seraient particulièrement vulnérables à ces dynamiques. Il est donc essentiel de renforcer le cadre réglementaire qui leur est applicable.
Un chapitre thématique analyse ainsi les risques des fonds investis dans les actifs non cotés (actions et dette), dont la croissance a nettement ralenti depuis le second semestre 2022. Après plusieurs années de développement dynamique, ces fonds ont pris une part importante dans le financement de certains secteurs de l’économie (entreprises en croissance ou très endettées). Ils sont aujourd’hui exposés à des risques de valorisation et de crédit importants, qui doivent être bien compris de la part des investisseurs.
Les fragilités liées à l’endettement élevé de l’État d’une part, et de certaines grandes entreprises, d’autre part, appellent à la vigilance
Malgré un endettement élevé au regard des comparaisons européennes, les sociétés non financières (SNF) françaises se montrent résilientes. Elles bénéficient, d’une part, de la relative stabilité de leurs résultats et, d’autre part, d’une structure d’endettement majoritairement à taux fixe et avec des maturités relativement longues, qui les protège d’un choc de taux brutal. Depuis décembre 2022, le taux de croissance des financements aux SNF a ralenti, mais reste positif. Le nombre de défaillances d’entreprises poursuit sa normalisation depuis novembre 2021 en se rapprochant du niveau qui prévalait avant la pandémie. Les risques pour le secteur des entreprises, en particulier pour les plus endettées d’entre elles, restent néanmoins orientés à la hausse en raison de la transmission progressive de la remontée des taux aux coûts de financement et du contexte de ralentissement économique. Les vulnérabilités pourraient s’accroître en cas de durcissement des conditions d’octroi de crédit.
Les finances publiques se trouvent sur une trajectoire qu’il convient de maîtriser pour maintenir le caractère soutenable de la dette souveraine. Les mesures d’aide gouvernementale, au premier rang desquelles les boucliers tarifaires sur l’électricité et le gaz, ont protégé les ménages et les entreprises en absorbant une grande partie du choc énergétique. Ces mesures compensatoires ont contribué à maintenir la dette et le déficit budgétaire en 2022 à des niveaux beaucoup plus élevés que ce qui était projeté avant la crise énergétique. À politique inchangée, cette dette ne diminuerait pas au cours des prochaines années. Le renforcement des efforts en vue de réduire le niveau d’endettement public est une condition nécessaire pour maintenir l’attractivité de la dette publique française pour les investisseurs.
Le marché immobilier montre des signes de ralentissement, en particulier le marché de l’immobilier commercial qui connaît un net repli depuis le quatrième trimestre 2022
Face à la poursuite de la hausse des taux d’intérêt, la normalisation du crédit à l’habitat s’effectue de façon progressive et ordonnée en France, où la production de crédits reste plus dynamique que dans le reste de la zone euro. Cette normalisation s’explique par la remontée des taux d’intérêt, qui reste néanmoins moins marquée en France que chez nos voisins européens du fait notamment du taux de l’usure. Les prix immobiliers, qui réagissent avec un décalage aux hausses de taux d’intérêt, marquent un ralentissement, après plusieurs années de croissance particulièrement dynamique. Une correction modérée et ordonnée des prix de l’immobilier, telle qu’observée actuellement, devrait ainsi permettre de ramener le ratio prix/revenu des ménages vers les niveaux plus modérés de la période pré-Covid. Enfin, malgré un taux d’endettement élevé, la capacité de remboursement des ménages est protégée par le modèle français de financement de l’habitat, quasi exclusivement à taux fixe, et par l’assainissement des conditions d’octroi du crédit, depuis la mise en place de la mesure du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) fin 2020. Celle-ci fixe un taux d’effort maximal des emprunteurs à 35 % des revenus et une durée de prêt maximale à 25 ans pour le crédit à l’habitat, avec une flexibilité limitant à 20 % la part de la production de crédit non conforme à ces conditions. Les deux ajustements techniques afférents à cette marge de flexibilité apportés en juin 2023 par le HCSF ont préservé ces sécurités pour les emprunteurs en donnant un peu de souplesse pour les prêteurs. (cf. partie sur les mesures des autorités)
L’immobilier commercial marque un net repli depuis le quatrième trimestre 2022, après une décennie de forte croissance puis un ralentissement marqué depuis la crise de la Covid-19. Les prix de l’immobilier commercial pourraient être particulièrement sensibles à la remontée des coûts de financements en raison du recours important à l’endettement par les acteurs du marché, des risques de survalorisation et de la moindre attractivité de l’investissement locatif sur certains segments depuis la pandémie. La baisse des prix et des volumes de transactions est cependant hétérogène entre les secteurs et plus limitée que dans d’autres pays avancés. Pour les banques et les assurances, ces expositions restent modestes par rapport à leur total de bilan. Les fonds d’investissement immobilier ouverts sont exposés à un risque de liquidité, en cas de retrait des investisseurs, mais ces risques sont contrebalancés par la présence d’investisseurs aux comportements stables et la mise en place d’outils de gestion de la liquidité.
Toutes les institutions financières doivent accélérer leur adaptation aux risques structurels que font peser les menaces cyber et le changement climatique
Les risques climatiques continuent d’augmenter, comme le confirme le rapport de synthèse du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) publié le 20 mars 2023, et vont devenir de plus en plus difficiles à gérer pour les institutions financières. Dans ce contexte, les superviseurs financiers portent une attention croissante à l’évaluation et au suivi des risques de transition et des risques physiques associés au changement climatique, notamment à travers des tests de résistance. Par ailleurs, les exigences réglementaires en matière de gestion des risques climatiques et de publication d’informations extra-financières se renforcent.
Enfin, le système financier reste exposé à un niveau très élevé de risque de cyberattaques. La menace de cyberattaques est exacerbée par le contexte des tensions géopolitiques alors que le développement de l’intelligence artificielle pourrait rendre ces attaques plus faciles à mettre en oeuvre et plus sophistiquées.
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Mise à jour le 25 Juillet 2024