Dans les économies émergentes, la chute de la demande externe, en particulier celle des matières premières qu’elles exportent, se double d’importantes sorties de capitaux
Une forte correction boursière est intervenue en février-mars du fait de l’ampleur du choc, reflétant la forte incertitude sur les perspectives de croissance et de profits. L’arrêt brutal de l’activité s’est traduit par une demande de liquidité élevée qui a conduit les entreprises à renégocier à la hausse et à utiliser leurs lignes de crédit, et certains intermédiaires financiers à vendre des actifs financiers les plus liquides. Les conditions d’émission de dettes sur les marchés primaires ont été tendues pendant quelques semaines, mais depuis cet épisode, l’action des banques centrales pour injecter des liquidités a permis un fonctionnement des marchés financiers globalement satisfaisant malgré une forte volatilité et une hausse des spreads de crédit.
Les gouvernements ont mis en œuvre des mesures d’urgence qui ont visé prioritairement à protéger la trésorerie des entreprises et les revenus des ménages mais aussi à faciliter l’accès au crédit bancaire, via l’octroi de garanties publiques, afin de préserver le potentiel de production et d’assurer les conditions d’un redémarrage rapide de l’économie à l’issue de la crise sanitaire.
En zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) a adopté un nouveau programme d’achats de titres publics et privés visant à maintenir des conditions de financement favorables dans l’ensemble de la zone euro, nécessaires à l’atteinte de son objectif d’inflation et afin d’assurer la bonne transmission de la politique monétaire dans tous les pays de la zone euro. Ce nouveau programme d’achats de titres a permis de réduire les tensions sur les marchés de capitaux et notamment sur celui de la dette des entreprises. En complément, les programmes d’injection de liquidités et l’assouplissement des conditions de refinancement des banques commerciales auprès de l’Eurosystème ont permis le maintien de leur capacité de prêt à l’économie réelle, déterminant dans le contexte de la crise actuelle.
En matière prudentielle, les autorités ont décidé de permettre aux banques d’utiliser les coussins de capital et de liquidité disponibles pour absorber le choc en leur donnant la capacité de prêter davantage à l’économie : les coussins contracycliques ont été relâchés par les autorités nationales tandis que la BCE, agissant comme superviseur unique du secteur bancaire au sein de la zone euro, a autorisé les banques à opérer temporairement en deçà du niveau global de fonds propres réglementaires requis (recommandations au titre du pilier 2, coussin de conservation des fonds propres) et à utiliser les réserves d’actifs liquides pour répondre de façon réactive aux besoins de financement de l’économie réelle. Par ailleurs, le régulateur bancaire européen a adopté des mesures transitoires relatives au traitement comptable et prudentiel des créances restructurées dans le cadre de moratoires, qui ont été mis en place par les banques pour alléger transitoirement les charges financières de leurs débiteurs.
Les risques pour le système financier français
Ce début de crise témoigne de la solidité de l‘intermédiation financière en France, résultat des réformes engagées dans le cadre international depuis 2009 et dans le contexte européen à la suite de la crise de la zone euro. Les banques françaises abordent la récession économique dans une situation financière (niveau des fonds propres, situation de liquidité) nettement plus robuste qu’en 2007-2008, au moment de la crise financière. Cette solidité leur a permis jusqu’à présent de faire face efficacement au besoin de financement supplémentaire de l’économie et leur confère une forte capacité d’absorption de la montée des risques, en particulier de crédit.
La crise exacerbe cependant des risques déjà identifiés en lien avec la hausse tendancielle de l’endettement privé (ménages et entreprises) en France ou certaines fragilités dans les financements de marché et la gestion d’actifs.
Les entreprises, confrontées à une forte tension sur leur trésorerie, sont pour beaucoup d’entre elles contraintes de solliciter un endettement supplémentaire. Les mesures prises par le gouvernement français et d’autres gouvernements européens – notamment les prêts garantis par l’État - ont permis de répondre rapidement à ces besoins de financement. L’ampleur de ce choc de liquidité reste incertaine et sa résorption conditionnée par le rythme de la reprise de l’activité économique. L’augmentation de l’endettement des entreprises est susceptible de dégrader la solvabilité de nombre d’entre elles, ce risque étant accentué dans le cas d’une reprise atone et d’une dégradation de leurs notes de crédit. Une hausse marquée des défaillances d’entreprises pourrait à son tour induire une augmentation des créances douteuses au bilan des banques, freinant la dynamique du crédit, nécessaire à la reprise économique.
À ce stade la solvabilité des ménages français demeure largement intacte compte tenu des mesures de soutien public. En revanche, une augmentation importante du chômage est susceptible d’accroître le poids du remboursement des crédits, ce qui se traduirait par un risque de crédit accru et/ou un moindre dynamisme de la consommation. Parallèlement, l’ampleur des stabilisateurs automatiques budgétaires et la mise en œuvre massive de mesures de soutien public conduisent à une forte hausse des dettes publiques en France comme dans l’ensemble des pays de l’Union européenne.
Au-delà des mesures d’urgence indispensables, la préservation de la solvabilité des entreprises viables est prioritaire pour favoriser la reprise. Plus globalement, la maîtrise de l’endettement des entreprises, des ménages, comme des finances publiques, constituera un objectif déterminant, aussi bien au plan macroéconomique que pour la stabilité financière.
Enfin, le stress de liquidité sur les marchés financiers et la remontée du risque de crédit ont mis en lumière des tensions entre les comportements individuellement justifiés et leurs conséquences collectivement sous-optimales : par exemple, certains investisseurs ou fonds de gestion – en renforçant leur position de liquidité par prudence – ont pu être amenés à augmenter les problèmes au niveau global, créant des tensions de liquidité pour d'autres parties prenantes, notamment les entreprises non financières. L’absence d’une approche macroprudentielle pour les fonds d’investissement, qui contribuent pour une large part au financement désintermédié de l’économie réelle, comme la fragilité de la finance à effet de levier constituent également deux points d’attention pour les autorités françaises.
À plus long terme, les risques associés à une prise en compte insuffisante des grandes transitions structurelles en cours augmentent. Le recours massif au télétravail ou aux prestations de service à distance laisse présager une accélération de la transformation digitale de l’ensemble de l’économie et en particulier du secteur financier, qui nécessitera des investissements importants afin d’améliorer la rentabilité de ses modèles d’affaire. Les établissements financiers, qu’il s’agisse des banques ou des assurances, devront également renforcer leur mobilisation afin d’inciter l’ensemble des acteurs à basculer vers une économie à bas carbone. Le plan de relance européen actuellement en discussion sera certainement appelé à jouer un rôle crucial de soutien à la transition énergétique.
Face à chacun de ces risques, les autorités françaises en charge de la stabilité financière se tiennent prêtes, qu’il s’agisse de réagir face à des développements défavorables ou de chercher à atténuer les risques ex ante.