Avec le plan « Fit for 55 » et le Pacte vert pour l'Europe, la Commission européenne s'est fixé pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % d'ici 2030 et d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Afin d'orienter les entreprises européennes vers la transition vers une économie à faible intensité de carbone, l'UE a introduit en 2005 un mécanisme économique de tarification du carbone basé sur un système d'échange de quotas d'émission. Ce système impose un plafond aux émissions des entreprises européennes grandes consommatrices de combustibles fossiles, en particulier celles actives dans des secteurs tels que l'aviation, la fourniture d'électricité et la fabrication de produits chimiques et de métaux. Il encourage la réduction des émissions en abaissant chaque année le plafond et en fixant un prix pour les émissions négociables. Les entreprises soumises à ce mécanisme de plafonnement et d'échange ont besoin d'un financement adéquat pour adopter des technologies propres et réduire leurs émissions sans entraver leur activité économique. Le Pacte vert pour l'Europe de 2019 reconnaît que le financement est essentiel pour parvenir à réduire les émissions. En particulier, les entreprises européennes soumises à un plafond d'émissions sont pour la plupart non cotées en bourse et dépendent fortement du financement par emprunt. Par conséquent, le développement des marchés de la dette et la compréhension du lien entre dette et émissions sont essentiels pour atteindre efficacement la neutralité carbone.
Nous nous appuyons sur les données d'un échantillon d'environ 2 400 entreprises soumises au système d'échange de quotas d'émission de l'UE (SEQE-UE), qui sont responsables de plus de 20 % des émissions totales de gaz à effet de serre de l'UE, pour étudier le lien entre le financement par emprunt des entreprises européennes et l'évolution des émissions. Nos conclusions indiquent une relation en U inversé entre le niveau d'endettement des entreprises et leurs performances en matière de transition. Les entreprises dont le ratio d'endettement (dette/actifs) est supérieur à 40 % sont associées à des émissions plus élevées et à une moins bonne efficacité en matière d'émissions. Plus précisément, nous constatons qu'une augmentation d'un écart-type du levier financier – soit une hausse de 21 points de pourcentage – à partir de ce seuil entraîne une baisse de 10 % de l'efficacité en matière d'émissions (barre bleue) et une augmentation de 5,5 % des émissions absolues (barre jaune). Ces effets économiquement significatifs, en particulier lorsqu'on les compare à la réduction annuelle moyenne de 2 % du plafond d'émissions imposé par le SCEQE (barre rouge), indiquent que les contraintes liées à la structure du capital peuvent entraver considérablement les efforts de transition des entreprises. Ces conclusions sont conformes aux modèles théoriques montrant qu'un endettement élevé limite la capacité des entreprises à saisir des opportunités d'investissement rentables – et, dans notre cas, écologiques.
Nous étudions en particulier la réaction des entreprises à un choc réglementaire quasi exogène qui a imposé un plafond plus strict sur les émissions. Nous constatons que les entreprises fortement endettées n'ont pas réduit leurs émissions, même lorsqu'elles ont été exposées à cette contrainte croissante, alors que d'autres entreprises y sont parvenues. Cette étude met en lumière l'existence d'un groupe d'entreprises européennes trop endettées pour opérer la transition. Alors que le coût futur plus élevé des émissions après l'adoption officielle de la réforme aurait fortement incité toutes les entreprises à investir dans des technologies à faible émission de carbone, éventuellement en s'endettant davantage, les entreprises fortement endettées souffrant d'un excès de dette ont peut-être trouvé difficile ou coûteux d'accéder aux financements supplémentaires nécessaires.
Nos conclusions soulignent les implications politiques importantes pour permettre aux entreprises relevant du système communautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE) de passer à des activités à faible intensité de carbone tout en conservant leur viabilité économique. Elles confirment que le financement par emprunt est un mécanisme viable pour soutenir cette transition. Cependant, le SCEQE pourrait ne pas atteindre son plein potentiel en matière de réduction des émissions des entreprises fortement endettées.
Pour les entreprises fortement endettées dont les perspectives de croissance sont limitées, la sortie du marché au profit de concurrents plus efficaces en matière d'émissions pourrait être inévitable. En revanche, les entreprises fortement endettées mais dotées d'un fort potentiel de croissance pourraient bénéficier de solutions de financement de transition sur mesure pour réduire plus efficacement leurs émissions. Cela souligne l'importance de développer les marchés des obligations vertes et des prêts verts grâce à des mesures telles que l'amélioration de la transparence, la mise en place de normes internationales ou des incitations fiscales limitées à la dette verte.
La demande des investisseurs pour les obligations vertes est forte et en pleine croissance. Les instruments de dette verts peuvent permettre aux entreprises fortement endettées d'obtenir des financements à des primes raisonnables, à condition qu'elles s'engagent à investir les fonds levés dans des technologies à faible émission de carbone et qu'elles démontrent des avantages environnementaux mesurables. Les prêteurs peuvent considérer ce type de financement comme un moyen d'améliorer la rentabilité et la résilience à moyen terme des entreprises, même si celles-ci rencontrent des difficultés pour obtenir des financements classiques
Mots-clés : transition à faible émission de carbone ; changement climatique ; financement par la dette ; effet de levier ; investissement vert ; EU ETS.
Codes JEL : C58, E58, G32, Q51, Q56, Q58