Publication

Développer et sécuriser le marché des euro-obligations : quelles possibilités pour l’Afrique ?

Mise en ligne le 17 Mars 2022
Auteurs : Vincent Fleuriet, Simon Laplace

On assiste, depuis les années 2000, à une croissance sensible de l’endettement extérieur des États africains, venant répondre à la fois à l’étroitesse des marchés de capitaux nationaux et au besoin de devises. Afin de diversifier les sources de financement, au‑delà des partenaires de développement (traditionnels ou émergents), les gouvernements ont notamment eu recours à l’émission d’euro‑obligations1, à partir des années 1990, puis de manière plus soutenue depuis 2010. En 2017, selon la Banque mondiale, leur encours représentait 6,6 % du revenu national brut des pays de l’Afrique subsaharienne (ASS), un volume comparable aux montants dus aux institutions multilatérales (6,5 %) ou aux créanciers bilatéraux (5,9 %)2.

Eu égard aux besoins de financement extérieurs des pays d’ASS sur la période 2020‑2023, le recours à des émissions d’euro‑obligations demeure une option utile. Ces besoins sont en effet très importants, estimés par le Fonds monétaire international (FMI) [Perspectives économiques régionales, octobre 2020] à 890 milliards de dollars US (environ 5 % du PIB de l’ASS de 2020), avec un déficit de financement de l’ordre de 290 milliards selon le scénario central. Le recours aux euro‑obligations est d’autant plus nécessaire que des contraintes pèsent sur la disponibilité de financements concessionnels publics. Ce recours n’est cependant envisageable que pour un nombre restreint de pays à revenu intermédiaire, disposant d’une notation de crédit suffisante.

Bien qu’utiles, les euro‑obligations demeurent coûteuses pour les émetteurs africains, d’autant qu’elles comportent souvent un niveau élevé de risque de change. Plusieurs facteurs expliquent ce coût, dont notamment un risque souverain jugé élevé par les investisseurs, la quasi‑absence de mécanismes de repo et l’atonie du marché secondaire, impliquant une forte prime de liquidité. La récente crise liée à la Covid‑19 a montré la grande vulnérabilité des pays à faible revenu en matière de financement en devises, les marchés pouvant se refermer brutalement avec un risque de roll‑over. La normalisation en cours des politiques monétaires aux États‑Unis et en Europe, qui entraîne une remontée générale des taux en dollars US et en euros, illustre à nouveau la vulnérabilité de ces pays dont le financement en devises renchérit fortement, poussant même certains États à renoncer à leur émission d’euro‑obligations, comme le Kenya ou le Nigéria mi‑2022. À la lumière de ces événements, de nouvelles solutions apparaissent nécessaires afin de réduire la vulnérabilité structurelle de ce financement externe.

1. Depuis plusieurs années, une forte dynamique de réendettement en Afrique subsaharienne, notamment extérieur en raison de taux d’intérêt bas

Le niveau global de dette publique en ASS avait nettement reculé au tournant des années 2000, grâce aux initiatives multilatérales d’annulation de dette3. La dynamique de réendettement observée a contrario ces dernières années parmi les pays d’ASS est générale (cf. tableau infra), notamment pour de nombreux pays exportateurs de matières premières durement touchés par la baisse des prix du pétrole de 2014‑2016. Cette tendance est particulièrement notable sur les marchés nationaux et plus encore pour la dette externe depuis 2005. Mi‑2022, parmi les pays d’ASS à faible revenu, 23 étaient en situation de risque élevé ou en crise de surendettement, contre 8 en 2015.

Dette publique de l’Afrique subsaharienne (en % du PIB)
Source : FMI (2022), Perspectives de l’économie mondiale, avril.
  2004-2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022a 2023a
Dette publique totale 30,5 26,7 25,6 27,9 27,8 29,9

31,9

37,7 42,2 44,7 47,2 50,0 57,4 56,9 55,1 54,3
Dette publique externe 17,7 12,8 11,1 11,0 11,9 12,8 13,6 15,6 19,1 22,0 21,4 22,9 26,6 25,1 24,0 23,4

a Prévisions.

La poussée de l’endettement extérieur a été alimentée par de nombreux facteurs. Il s’agit notamment, outre l’étroitesse des marchés de capitaux nationaux, du besoin d’un approvisionnement en monnaies fortes permettant de régler les importations induites par les investissements publics, ainsi que des limites inhérentes à l’endettement intérieur – potentiellement générateur d’expansion monétaire. Les émissions sur les marchés internationaux ont par ailleurs fait écho au moindre recours aux prêts des institutions multilatérales de la part de nombreux souverains, dans une optique de diversification des sources de financement (Calderón et Zeufack, 2020)4.

Initiées dès les années 1990 pour l’Afrique du Sud, puis en 2007 pour les pays pré‑émergents5, les émissions d’euro‑obligations de l’ASS ont progressé rapidement au cours des années 2010, pour atteindre 20,7 milliards de dollars US en 2018 et 13,7 milliards en 20196. Au total, 18 États ont eu recours aux émissions d’euro‑obligations depuis 2007, dont 9 ont émis sur la période 2018‑2019 (par ordre de grandeur décroissant : l’Afrique du Sud, l’Angola, le Nigéria, le Ghana, le Kenya, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Gabon), pour des maturités allant de 6 à 30 ans.

Ces émissions d’euro‑obligations ne sont toutefois pas sans risque pour les États émetteurs. Par de tels financements, ils se trouvent en effet exposés à un risque de change – en particulier les pays en régime de change flexible – et de liquidité, les conditions de refinancement de ces titres étant particulièrement sensibles à des facteurs exogènes, tels que la perception des investisseurs internationaux et les conditions de marchés dans les économies développées, deux facteurs souvent liés.

Les émissions africaines sur les marchés internationaux ont tiré parti d’un climat mondial globalement favorable jusqu’à la fin 2021, en raison de taux d’intérêt en monnaies fortes peu attractifs pour les investisseurs. Ce climat globalement favorable s’explique par des politiques monétaires accommodantes adoptées, en particulier face aux retombées des crises financières de 2008 et 2011, par la Réserve fédérale américaine (Fed), et par la Banque centrale européenne (BCE) et les autres banques centrales des pays développés, notamment avec la mise en œuvre de stratégies d’assouplissement quantitatif (quantitative easing). Cet environnement de taux bas et le phénomène de quête de rendement (search for yield) qui en découle ont accru l’attractivité des euro‑obligations africaines pour les investisseurs des pays développés, au cours de cette période. Cet environnement de taux bas a commencé à s’inverser fin 2021, faisant peser des risques sur les dettes d’ASS en devises, dans un contexte d’appréciation du dollar US. Avec la remontée de l’inflation mondiale dès fin 2021, les banques centrales émettrices de monnaies de réserve, et donc des devises des financements internationaux, ont décidé de normaliser leur politique monétaire. La Fed a ainsi progressivement relevé le taux de ses fonds fédéraux (federal funds) de 225 points de base (pb) entre le 17 mars et le 28 juillet 2022 et la BCE a augmenté ses taux directeurs le 27 juillet puis le 8 septembre 2022. Les anticipations de poursuite de remontée des taux par les deux banques centrales ont par ailleurs entraîné une pentification des courbes des taux en dollars US et en euros.

2. La crise de la Covid‑19 puis la normalisation des politiques monétaires en cours montrent la fragilité structurelle du financement extérieur des États africains sur les marchés

Des sources de financement extérieur structurellement vulnérables

Les vulnérabilités macroéconomiques des pays d’ASS, les difficultés liées à la gouvernance publique et l’incertitude sur les dynamiques d’endettement de certains d’entre eux entretiennent une appréciation relativement défavorable du risque de la part des investisseurs internationaux. La plupart des États sont ainsi classés en investissement spéculatif ou hautement spéculatif par les agences de notation Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s. Cela se traduit par de forts écarts de rendement : les bons à 10 ans émis fin 2019 par l’Angola et par l’Afrique du Sud présentaient ainsi un coupon de 8,00 % et 4,85 % respectivement, quand celui du bon à 10 ans du Trésor américain, émis à la même période, était de 1,75%.

Une baisse des sources de financement extérieur au début de la pandémie de Covid‑19

Au début de la pandémie, la réappréciation du niveau de risque, le durcissement des conditions de finance‑ ment et le besoin de liquidité des investisseurs des pays avancés ont conduit, au moins temporairement, à une recomposition des portefeuilles au détriment des titres africains. Les pays émetteurs d’ASS ont dû faire face à une sortie massive de capitaux et à un creusement sans précédent des écarts de rendement. Leur vulnérabilité est double : quantitative, quand les marchés financiers se ferment totalement (comme au début de la pandémie), et qualitative, quand les taux de rendement se tendent, en lien avec les conditions de financement internationales (ce qui est le cas actuellement).

L’écart de rendement entre les bons à 10 ans sud‑africain et allemand est, par exemple, passé de 848,6 points de base (pb) à 1176,1 pb entre fin décembre 2019 et fin mars 2020, avant de revenir à 986,0 pb début août 2020. Dans ces conditions, si le Gabon et le Ghana ont pu lever respectivement 1 milliard et 3 milliards de dollars US en janvier‑février 2020, les émissions d’euro‑obligations africaines ont ensuite été gelées la plus grande partie de l’année 2020, seule la Côte d’Ivoire étant revenue sur les marchés en fin d’année. Cette crise a ainsi illustré la fragilité du financement extérieur des États africains et le risque de roll‑over, en particulier sur les marchés financiers internationaux. Puis l’appétit des investisseurs internationaux pour les euro‑obligations africaines a été stimulé par des politiques monétaires très accommodantes de la Fed et de la BCE de mi‑2020 à fin 2021 – permettant une reprise des émissions, à des taux plus attractifs, en 2021 (cf. tableau infra).

La normalisation en cours des politiques monétaires et les tensions internationales réduisent les possibilités de financement en devises pour de nombreux pays d’ASS

Le même phénomène de tension sur les dettes en devises des pays de l’ASS que celui observé début 2020 se reproduit actuellement, avec la remontée de l’inflation mondiale et la guerre en Ukraine. La première entraîne une normalisation des politiques monétaires de la Fed et de la BCE, la seconde une remontée de l’aversion au risque. Ainsi, en juin 2022, le Kenya a dû renoncer à émettre une euro‑obligation d’un milliard de dollars US, ne recevant pas de propositions de refinancement inférieures à 12 %, alors que le pays pouvait se refinancer à 6 % un an plus tôt. On constate ainsi que les remontées des taux dans les principales devises de financement pour les États non émetteurs de ces devises, comme le dollar américain, sont beaucoup plus fortes que pour l’émetteur souverain de cette devise (le taux de rendement des titres d’État américains à 10 ans ne remontant que d’environ 150 points de base sur la même période). Le Nigéria a dû lui aussi renoncer le même mois à lever 950 millions de dollars US sur les marchés internationaux. Il existe en effet souvent un faible niveau de discrimination d’un pays à l’autre de la part des investisseurs internationaux, qui considèrent le plus souvent ces euro‑obligations comme une seule classe d’actifs. Ce phénomène n’est pas nouveau et a été largement documenté lors des crises des dettes d’Asie du Sud‑Est en 1997. Seuls trois pays d’ASS – l’Afrique du Sud, l’Angola et le Nigéria – ont émis de nouvelles euro‑obligations entre janvier et août 2022 (cf. tableau infra), avec un renchérissement notable des coupons. Les stratégies de portefeuille des investisseurs internationaux demeurent ainsi largement déterminées par les politiques monétaires des pays avancés et par les conditions du marché du crédit dans ces pays, rendant particulièrement vulnérables les États émetteurs d’ASS en devises.

Émissions d’euro‑obligations en Afrique subsaharienne entre 2019 et 2022

(montants en millions de dollars US, échéances en années, coupons en%) nd, non disponible. Sources : Banque mondiale, Bloomberg.
  Date d'émission Montant Échéance Coupon Notation (Fitch) au 1er août 2022
Afrique du Sud Septembre 2019 2 000 10 4,85 BB-
Septembre 2019 3 000 30 5,75
Avril 2022 1 400 10 5,875
Avril 2022 1 600 30 7,3
Angola Novembre 2019 1 750 10 8 B-
Novembre 2019 1 250 30 9,125
Avril 2022 1 750 10 8,75
Bénin Mars 2019 567 7 5,75 B+
Janvier 2021 852 11 4,875
Janvier 2021 365 31 6,875
Juillet 2021 590 13,5 4,95
Cameroun Juin 2021 816 11 5,95 B
Côte d'Ivoire Novembre 2020 1 700 12 4,785 BB-
Février 2021 726 11 4,3
Février 2021 302 27 5,75
Gabon Janvier 2020 1 000 11 6,625 B-
Novembre 2021 800 10 7
Ghana Mars 2019 750 7 7,875 B-
Mars 2019 1 250 12 8,125
Mars 2019 1 000 31 8,95
Février 2020 1 250 7 6,375
Février 2020 1 000 15 7,875
Février 2020 750 41 8,875
Mars 2021 1 000 7 7,75
Mars 2021 1 000 12 8,625
Mars 2021 500 20 8,875
Mars 2021 525 4 0
Kenya Mai 2019 900 7 7 B+
Mai 2019 1 200 12 8
Juin 2021 1 000 12 6,3
Nigéria Septembre 2021 1 500 12 7,375 B+
Septembre 2021 1 250 20 8,25
Mars 2022 1 250 7 8,375
Rwanda Août 2021 620 10 5,5 B
Sénégal Juin 2021 948 16 5,375 nd

3. Des financements multilatéraux indispensables pour réduire la vulnérabilité du financement extérieur des pays à bas revenu, mais insuffisants face à l’ampleur des besoins

Face à cette vulnérabilité des émetteurs de l’ASS en devises, le développement de marchés nationaux de capitaux en monnaie locale peut certainement être une réponse pérenne aux contraintes de financement des États et des grandes entreprises, mais prendra du temps. Il s’agit en effet d’une solution de long terme, nécessitant la construction d’un environnement technique, économique et réglementaire idoine, ainsi qu’une hausse de l’encours de l’épargne privée disponible. Des marchés nationaux de capitaux ne seraient en tout cas pas en mesure de répondre seuls à l’importance des besoins de financement, estimés par le FMI (Perspectives économiques régionales, octobre 2020) pour la période 2020‑2023 à 890 milliards de dollars US (environ 5 % du PIB régional de 2020). De plus, les titres en monnaie locale ne répondent pas aux besoins en devises, nécessaires pour le financement des importations induites par de nombreux plans d’investissement africains, sauf à ce que ces titres soient achetés par des non‑résidents (comme en Afrique du Sud). Ainsi, le recours à ces financements internationaux demeure utile pour de nombreux pays, sous réserve d’une notation de crédit suffisante. Il convient donc de réfléchir à des solutions qui permettent de les rendre moins vulnérables.

En période de crise, quand les marchés internationaux se ferment aux pays d’ASS, des initiatives multilatérales, telles que celles qui ont été initiées lors de la crise de la Covid‑19, demeurent sans aucun doute les plus efficaces. Celles‑ci sont en effet rapides, importantes et pertinentes en raison de leurs taux concessionnels ou des aménagements du remboursement de la dette. Ces initiatives multilatérales ont été rapidement mises en œuvre afin d’alléger les contraintes de financement des pays africains : le FMI a ainsi étendu ses apports de liquidités, par l’extension des programmes existants, le déblocage d’instruments d’urgence (facilité de crédit rapide, instrument de financement rapide) et le relèvement des limites d’accès. Cela a représenté 36,5 milliards de dollars US pour l’Afrique dans son ensemble. Adoptée le 15 avril 2020 dans le cadre du Club de Paris et du G20, l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) a permis à 73 pays, majoritairement africains, de bénéficier d’un moratoire sur le paiement des annuités à leurs créanciers publics bilatéraux entre mai et décembre 2021. Finalement, 48 pays ont effectivement demandé à bénéficier du dispositif, pour un montant total d’environ 5 milliards de dollars US. Si ces initiatives sont indispensables en temps de crise, elles ne constituent pas néanmoins, par nature, une solution de long terme.

4. Quelles pistes pour rendre plus soutenables les financements externes des économies africaines ?

Avec l’alourdissement du service de la dette des pays d’ASS, dans le sillage de l’actuelle remontée des taux d’intérêt et des primes de crédit et de liquidité à travers le monde, les propositions de solution pour rendre leur endettement plus soutenable se multiplient. Les enjeux de financement sont également structurels, pour des pays fortement confrontés au risque climatique, mais aussi à des besoins importants en matière de santé, d’éducation et d’infrastructure. La Banque africaine de développement (BAfD) estime, en mai 20227, que 1 600 milliards de dollars US seraient nécessaires entre 2022 et 2030 pour financer les seules contributions déterminées au niveau national (CDN, en anglais nationally determined contributions) de ces pays contre le changement climatique. Enfin, la récente allocation de droits de tirage spéciaux (DTS) par le FMI en août 2021 pour un total équivalent à 650 milliards de dollars US, mais dont seulement 23,4 milliards ont été alloués aux pays d’ASS8, stimule la recherche d’initiatives qui pourraient valoriser au mieux cette allocation. Il s’agit d’initiatives de marché ou institutionnelles qui s’ajouteraient à celle que le FMI a initiée en créant le 13 avril 2022 un fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité, afin d’aider les pays vulnérables9. De nombreuses pistes sont ainsi régulièrement proposées, mais nombre d’entre elles se heurtent à des difficultés institutionnelles, opérationnelles ou tout simplement financières. Des fonds dédiés aux euro‑obligations africaines Dans une logique comparable au Fonds obligataire asiatique (Asian Bond Fund – ABF –, cf. encadré), la BAfD a créé en 2008 l’Initiative des marchés financiers africains (IMFA), mais celle‑ci ne vise à ce stade que les marchés en monnaie locale. De plus, le Fonds des obligations domestiques africaines (African Domestic Bond Fund, ADBF) a des capacités réduites. À fin décembre 2021, il mobilisait ainsi environ 38,3 millions de dollars US d’actifs. L’objectif de cette initiative est de faciliter l’achat de titres souverains en monnaie locale, tout en inscrivant en réserves de change les parts de ce fonds : ce mécanisme aurait alors l’avantage d’apporter des devises aux pays émetteurs. Une autre solution serait un fonds dédié à des euro‑obligations africaines, sur le modèle du Fonds obligataire asiatique. S’il était soutenu par des banques centrales africaines ayant des réserves de change importantes, il pourrait faciliter l’accès des pays d’ASS à des devises.

Des fonds dédiés aux euro‑obligations africaines

Dans une logique comparable au Fonds obligataire asiatique (Asian Bond Fund – ABF –, cf. encadré), la BAfD a créé en 2008 l’Initiative des marchés financiers africains (IMFA), mais celle‑ci ne vise à ce stade que les marchés en monnaie locale. De plus, le Fonds des obligations domestiques africaines (African Domestic Bond Fund, ADBF) a des capacités réduites. À fin décembre 2021, il mobilisait ainsi environ 38,3 millions de dollars US d’actifs. L’objectif de cette initiative est de faciliter l’achat de titres souverains en monnaie locale, tout en inscrivant en réserves de change les parts de ce fonds : ce mécanisme aurait alors l’avantage d’apporter des devises aux pays émetteurs. Une autre solution serait un fonds dédié à des euro‑obligations africaines, sur le modèle du Fonds obligataire asiatique. S’il était soutenu par des banques centrales africaines ayant des réserves de change importantes, il pourrait faciliter l’accès des pays d’ASS à des devises.

Concrètement, des banques centrales africaines, possédant de larges réserves de change, sous réserve de leurs critères de risque en matière d’investissement, pourraient diversifier une partie de leurs ressources dans ce fonds de titres d’autres États africains. Cette stratégie de mutualisation partielle des réserves présente néanmoins de nombreuses limites. Les réserves de change disponibles sont généralement faibles, excepté pour quelques pays. Le traitement comptable de ces investissements pourrait de plus conduire à une réduction des encours de réserves de change, en raison des caractéristiques mêmes des titres concernés (faible liquidité et niveau de risque souvent élevé). Cela fragiliserait donc les banques centrales, en amoindrissant leurs possibilités d’intervention en cas de crise de change.

Le Fonds obligataire asiatique (Asian Bond Fund, ABF)

Le Fonds obligataire asiatique (Asian Bond Fund, ABF) a été créé en 2003, à l’initiative des onze banques centrales de l’Executives’ Meeting of East Asia‑Pacific Central Banks (EMEAP), avec un apport collectif initial d’1 milliard de dollars US. Il s’agit des banques centrales de la Chine, de Hong Kong, de l’Indonésie, de la Corée du Sud, de la Malaisie, des Philippines, de Singapour, de la Thaïlande, du Japon, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Cette création avait pour objectif de soutenir le développement des marchés obligataires dans la région Asie-Pacifique, en contribuant à l’amélioration de leur liquidité et de leur profondeur.

Le premier fonds (ABF1) investissait dans des titres souverains ou quasi souverains émis en dollars. Un second fonds (ABF2), dédié aux bons en monnaie locale et ouvert aux investisseurs privés, a été mis en place en 2005. En 2016, l’ABF1 a été clôturé et ses actifs réinvestis en monnaie locale dans l’ABF2. La Banque des règlements internationaux (BRI) a accompagné le dispositif, en tant que gérant puis administrateur des fonds.

Un fonds dédié au refinancement des euro‑obligations africaines

L’objectif d’un tel fonds dédié à des opérations de repo sur euro‑obligations africaines est double. Il s’agirait de réduire à la fois le coût de refinancement des titres africains, et donc les taux de rendement à l’émission de ces derniers, mais aussi de rendre les financements des États moins vulnérables face à la variabilité des flux de capitaux internationaux et donc le risque de roll‑over. Si l’intérêt d’un tel marché du repo est indéniable afin de permettre un financement durable de l’investissement en ASS, les solutions évoquées font encore face à de nombreux problèmes techniques. Ceux‑ci comprennent notamment la structure capitalistique du fonds et la gestion des risques actif‑passif, en matière tant de taux d’intérêt que de taux de change.

Face à un tel constat, Mme Vera Songwe, alors secrétaire exécutive de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (United Nations Economic Commission for Africa, UNECA), a proposé dès juin 2020 la mise en place d’un véhicule ad hoc destiné à stimuler le marché du repo en ASS10. En novembre 2021, à l’occasion de la COP26, l’UNECA a annoncé le projet de lancement d’une facilité de liquidité et de durabilité (en anglais liquidity and sustainability facility, LSF) répondant à cet objectif. Les promoteurs du projet estiment qu’il pourrait faire économiser environ 50 milliards de dollars US aux émetteurs africains sur une période de cinq ans (Cohen et al., 2022). La LSF offrirait des financements aux investisseurs privés, en échange d’un collatéral composé de titres souverains africains, avec une décote raisonnable. Plusieurs sociétés de gestion d’actifs auraient manifesté leur intérêt pour le projet 11. L’UNECA suggère par ailleurs qu’une partie des nouveaux DTS émis par le FMI en août 2021 soit mobilisée au service de la LSF – entre 3 et 30 milliards de dollars US sur les 650 milliards de l’émission, selon les promoteurs de l’initiative.

Cependant ce projet soulève toujours un certain nombre de difficultés, à la fois politiques et techniques. Parmi ces dernières, on peut notamment évoquer le risque de crédit auquel seraient soumis les prêteurs initiaux de la LSF, les modalités pratiques de fonctionnement du véhicule (régime juridique, gestion du risque actif‑passif, etc.) ou la pertinence d’une éventuelle intervention des banques centrales – un temps envisagée – au regard du caractère limité de leur mandat – uniquement orienté, s’agissant de la BCE, vers la stabilité des prix. Si ces difficultés étaient surmontées, un véhicule de ce type pourrait contribuer à stimuler le marché du repo en Afrique, donc à améliorer la liquidité des titres souverains des États du continent et, partant, à faciliter le financement de ces derniers.

Le fonctionnement de la pension livrée ou repo

La pension livrée ou sale and repurchase agreement (repo) est un contrat permettant aux institutions financières d’obtenir des liquidités, en échange d’un titre financier apporté temporairement en collatéral au prêteur. Il se matérialise simultanément :

  1. par la vente au comptant du titre par l’emprunteur au prêteur ;
  2. par l’accord des deux parties sur son rachat, à une date ultérieure et à un prix déterminé.

Ces opérations peuvent avoir lieu entre institutions privées, mais figurent également parmi les mécanismes d’intervention utilisés par les banques centrales dans la mise en œuvre de leur politique monétaire.

Le rôle du refinancement par les banques centrales est à cet égard bien connu sur le marché de la dette publique en monnaie nationale. Les conditions de refinancement définies par la Banque centrale sont en effet, pour les États emprunteurs, déterminantes pour le coût de leur dette. C’est en particulier le cas du niveau de la décote (ou « haircut ») fixé par la Banque centrale, c’est-à-dire le rabais appliqué à la valeur d’un actif accepté en collatéral d’une opération de refinancement. Une hausse de cette décote se traduira par exemple, toutes choses égales par ailleurs, par une hausse du taux de rendement de cet actif et par une baisse de sa valeur de marché : il faut en effet plus de dette en garantie pour accéder au même volume de refinancement. Inversement, des conditions de refinancement favorables – à l’instar de celles qui sont réservées par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) aux « bons Covid-19 » émis par les États de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) 1 – peuvent se traduire par une baisse importante des taux de rendement. La Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), dans le même but, a aussi fortement réduit ses décotes sur les titres d’État en 2020.a Par l’avis n° 006-04-2020 du 21 avril 2020, la BCEAO annonçait ainsi l’ouverture d’un guichet spécial de refinancement à trois mois, permettant aux banques de refinancer ces bons à un taux fixe de 2,50 %. La BCEAO était en outre chargée, avec l’agence UMOA-Titres, de la structuration et de la programmation desdits bons.

a Par l’avis n° 006-04-2020 du 21 avril 2020, la BCEAO annonçait ainsi l’ouverture d’un guichet spécial de refinancement à trois mois, permettant aux banques de refinancer ces bons à un taux fixe de 2,50 %. La BCEAO était en outre chargée, avec l’agence UMOA-Titres, de la structuration et de la programmation desdits bons.

Un mécanisme africain de stabilité financière

La BAfD plaide en faveur de la mise en place d’un mécanisme de stabilité financière panafricain, susceptible de réduire l’effet des chocs externes sur le financement des États de la région. Le président de la BAfD, M. Akinwumi Adesina, a suggéré la création d’un tel mécanisme en mars 2021, parallèlement aux discussions sur la restructuration des dettes publiques. Cette proposition a été inscrite dans le plan straté‑ gique 2023‑2032, adopté par la BAfD le 27 mai 2022 à Accra (Ghana). À l’instar du Mécanisme européen de stabilité (MES) créé en 2012 et d’autres dispositifs comparables12, ce mécanisme pourrait apporter, notamment en temps de crise, des liquidités à taux concessionnels aux États africains en difficulté.

Une réflexion est en cours quant à l’architecture du mécanisme et de son financement. Ce dernier pourrait par exemple s’appuyer, au travers de la BAfD, sur la réallocation d’une partie des DTS alloués à des pays avancés en août 2021, qui seraient utilisés pour ce mécanisme. Au‑delà des seuls financements souverains, la BAfD considère que cette nouvelle structure pourrait éventuellement être sollicitée pour recapitaliser des insti‑ tutions financières publiques africaines.

Un fonds de liquidité et de stabilité pour l’Afrique

Plusieurs économistes, dont M. Daniel Cohen, ont proposé en juin 2022 à Paris la création d’une facilité de financement pour protéger les économies africaines contre une fermeture des marchés internationaux en devises, mais aussi contre la volatilité des prix des matières premières. Elle devrait aussi permettre de faire face à des crises souveraines, grâce à des mécanismes de rehaussement de crédit et de restructuration de dette (Cohen et al., 2022).

Ce mécanisme africain de liquidité et de stabilité prendrait la forme d’un fonds fiduciaire hébergé par une institution panafricaine dotée du statut de créancier privilégié. Il serait financé par des fonds de pays africains, par la réallocation de DTS de pays avancés, et par des capitaux provenant de donateurs extérieurs. Il ne prêterait qu’à des pays qui ont des politiques budgétaires soutenables. Il comprendrait quatre instruments. Les deux premiers permettraient de faire face à un risque de liquidité. Les deux autres devraient faciliter la résolution de situations de surendettement d’émetteurs souverains :

  1. la liquidity and sustainability facility (LSF), telle que mentionnée plus haut ;
  2. une facilité de couverture contre la volatilité des prix des matières premières, proposée aux pays qui en exportent ;
  3. une facilité de rehaussement de crédit qui, en réduisant le risque de crédit des émetteurs, devrait les prémunir contre le risque de roll‑over ;
  4. une facilité de restructuration de la dette, qui faciliterait les négociations de restructuration de dette en rachetant une partie de la dette aux créanciers.
La crise Covid en 2020‑2021 a rappelé le rôle crucial des institutions financières multilatérales pour sécuriser le financement en devises des États à faible revenu.

La crise Covid en 2020‑2021 a rappelé le rôle crucial des institutions financières multilatérales, FMI en tête, pour sécuriser le financement en devises des États à faible revenu, en cas de fortes tensions sur les marchés internationaux. Elle a aussi, toutefois, favorisé l’émergence d’un débat transnational sur les moyens d’assurer à l’Afrique un financement pérenne et soutenable par ces marchés. La nécessité de solutions rapides et efficaces est d’autant plus actuelle que, d’une part, les niveaux d’endettement de nombreux pays africains ont considérablement crû, et que, d’autre part, la norma‑ lisation des politiques monétaires dans les économies avancées les expose à une hausse du service de leur dette, voire à un risque de roll‑over.

Parmi les solutions envisagées, la création de fonds dédiés ou celle d’un mécanisme permettant de favoriser l’émergence d’un marché d’euro‑obligations africaines sont intéressantes, mais rencontrent toujours un certain nombre d’obstacles opérationnels. En effet, de telles solutions de financement extérieur des États africains demeurent encore très largement tributaires d’initiatives multilatérales. De plus, face aux risques, de crédit ou de liquidité notamment, induits par leurs expositions aux États, la robustesse – financière mais aussi décisionnelle – de ces structures cibles sera clé. Elles pourront toutefois capitaliser utilement sur d’autres solutions mises en place notamment sur d’autres continents et ayant fait leurs preuves.

1 Obligations libellées dans une autre monnaie que celle du pays émetteur, principalement le dollar américain ou l’euro.
2 Calderón (C.) et Zeufack (A. G.) (2020), « Borrow with sorrow? The changing risk profile of Sub-Saharan Africa’s debt », Policy Research Working Papers, n° 9137, Banque mondiale, janvier.
3 À savoir l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE, en anglais Heavily Indebted Poor Countries – HIPC), lancée en 1998 par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, et l’initiative d’allégement de la dette multilatérale (IADM, en anglais Multilateral Debt Relief Initiative – MDRI), approuvée en 2005 par les ministres des Finances du G8. Parmi les 37 pays qui ont bénéficié de cette dernière, 31 étaient africains.
4 Cette diversification s’est également traduite par un recours croissant à des financements de créanciers bilatéraux, hors Club de Paris, notamment de la Chine.
5 Avec les premières émissions du Gabon (1 milliard de dollars US), du Ghana (750 millions) et de la République démocratique du Congo (454 millions).
6 Banque mondiale (2020), Debt report, avril.

7 Cf. Banque africaine de développement (2022), African Economic Outlook.
8 Les pays d’ASS devraient toutefois être les principaux bénéficiaires de la réallocation de DTS en préparation, dans le cadre du Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (en anglais Poverty Reduction and Growth Trust, PRGT).
9 Cf. FMI (2022), communiqué de presse, avril.

10 Vera Songwe (2020), « Africa needs its own “repo” market », Financial Times, 25 juin.
11 Tommy Stubbington (2021), « UN launches African repo market in bid to lower borrowing costs », Financial Times, 3 novembre.
12 Tels que l’ASEAN+3, le Fonds monétaire arabe ou le Fonds de réserve latino-américain.

Consulter les autres articles