Bloc-notes Éco

Défaillances et productivité des entreprises post-crise sanitaire

Mise en ligne le 30 Mai 2025
Auteurs : Olivier Gonzalez

Billet de blog 405. Si moins d’entreprises sont entrées en cessation de paiement entre 2020 et 2022, les défaillances touchent toujours, en termes de médiane, des entreprises moins productives. Le processus de sélection des entreprises a cependant été atténué pendant la crise sanitaire, comme constaté par la baisse du niveau de productivité médian des entreprises qui ont fait défaillance. Ceci pourrait expliquer une partie de la baisse de la productivité observée pour l’ensemble des entreprises françaises. Cet effet serait limité et temporaire avec le rattrapage en cours des défaillances des entreprises qui auraient fait défaut en temps normal.

Graphique 1 : Productivité apparente du travail des entreprises défaillantes et des entreprises restées actives (médiane)
En milliers d’euros constants de 2020 / salarié

Image Graphique 1 : Productivité apparente du travail des entreprises défaillantes et des entreprises restées actives (médiane) Description Productivité apparente du travail des entreprises défaillantes et des entreprises restées actives (médiane) Thématique Entreprises Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Banque de France – Calculs de l’auteur et Insee pour les indices de prix de la valeur ajoutée.
Lecture : La productivité représentée ici est la productivité en euros constants (base 2020, indices de prix de la valeur ajoutée par branche comptes nationaux annuels 2023), corrigée de la taille et du secteur (résultat de la régression de la productivité sur la taille et le secteur).

Le nombre de défaillances observé entre 2020 et 2021, au plus fort de la crise sanitaire de la Covid-19, a été particulièrement faible. Alors que 51 145 ouvertures de procédures collectives (redressement ou liquidation judicaires) avaient été comptabilisées en 2019, l’année 2020 n’en a compté que 31 217, et 2021 seulement 27 582.

Les mesures de soutien aux entreprises qui ont rapidement été mises en place lors de la crise sanitaire ont permis le maintien en vie de nombreuses entreprises. Parmi elles, se trouvaient potentiellement des structures fragiles et peu productives indépendamment des circonstances de la crise sanitaire. Or par nature, la faible productivité, c’est-à-dire le faible rapport entre la production et les ressources mises en oeuvre pour l’obtenir – accroît le risque de défaillance. Le processus de sélection des entreprises, qui favorise en principe la sortie des entreprises les moins productives, aurait ainsi pu être perturbé.

Si cette hypothèse était avérée, elle pourrait expliquer en partie le décrochage de la productivité des entreprises françaises, observé au niveau macroéconomique.

Évolution de la productivité des entreprises françaises depuis la crise sanitaire

 

Les données de la base Fiben de la Banque de France permettent d’observer l’évolution de la distribution de la productivité des entreprises depuis la crise sanitaire. Afin de disposer d’une population homogène d’entreprises sur la période observée, nous avons exclu les microentreprises, pour lesquelles nous ne disposons pas de données sur une profondeur historique suffisante. La productivité observée ici est la productivité apparente du travail rapportant la valeur ajoutée, corrigée de l’inflation sectorielle, à l’effectif salarié de l’entreprise (productivité par tête).

La médiane de la productivité du travail des entreprises françaises connaît une chute nette en 2020 avec les confinements successifs et la baisse d’activité qui en découle et le maintien en emploi de l’essentiel des effectifs. Après s’être redressée en 2021, elle se stabilise en 2022, puis recule en 2023, pour s’établir à un niveau inférieur à 2019 (cf. Graphique 2). Le redressement observé en 2021 est en outre moins manifeste pour le premier quartile que pour le troisième.

Graphique 2 :  Évolution de la productivité apparente du travail des entreprises françaises
En milliers d’euros constants de 2020 par salarié
 

Image Graphique 2 : Évolution de la productivité apparente du travail des entreprises françaises Thématique Entreprises Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Banque de France - Calculs de l’auteur et Insee pour les indices de prix de la valeur ajoutée.
Note : Productivité apparente du travail rapportant la valeur ajoutée, corrigée de l’inflation sectorielle (base 2020, indices de prix de la valeur ajoutée par branche comptes nationaux annuels 2023), à l’effectif salarié de l’entreprise (productivité par tête).

Ces résultats sont cohérents avec les données macroéconomiques qui montrent une baisse de la productivité en volume après 2019. L’actualisation des travaux de Devulder et al. (2024) conduit à l’estimation d’une baisse de 2,8 % de la productivité des entreprises françaises en 2023 par rapport à 2019 (- 1,8 % à fin 2024). Les auteurs expliquent plus de la moitié de cette évolution par (i) des pertes durables liées à la recomposition de l’emploi, et (ii) des pertes temporaires dues à des rétentions de main d’œuvre au moment de la crise sanitaire, non encore éliminées en 2023.

Évolution de la productivité intrinsèque des entreprises : la marge intensive

La baisse de la productivité agrégée mesurée sur l’ensemble de la population d’entreprises peut être due à l’évolution de la composition de cette population (via les créations/disparitions) ou à des changements intrinsèques à population inchangée.

Pour mettre en évidence cette éventuelle composante intrinsèque de l’évolution de la productivité des entreprises françaises depuis la crise sanitaire (marge intensive, c’est-à-dire relative aux entreprises pérennes), nous travaillons tout d’abord sur une population cylindrée d’entreprises actives sur la période 2019-2023 (c’est-à-dire présentant des bilans sur les 5 exercices et sans événement de cessation de paiement, excluant donc les entreprises défaillantes sur cette période).

Au sein de cette population cylindrée, la productivité apparente du travail est corrigée de la taille et du secteur pour rendre comparables de ce point de vue des secteurs riches en emploi (services) et des secteurs plus intensifs en capital (industrie).
 
Pour cette sous-population des entreprises actives sur toute la période allant de 2019 à 2023, la productivité médiane connaît une forte baisse en 2020 (cf. Graphique 3) avant de se redresser en 2021. Elle recule légèrement en 2022 et 2023 sur quasiment toute la distribution, pour rester en-deçà des niveaux pré-crise Covid en 2023. Sur l’échantillon, l’évolution de la productivité intrinsèque s’explique par le fait que les effectifs des entreprises sont restés relativement stables entre 2019 et 2023 (variation médiane) alors que la valeur ajoutée a nettement baissé en 2020 pour se redresser en 2021 et reculer légèrement en 2022 et 2023.

Graphique 3 Répartition de la productivité apparente du travail des entreprises actives entre 2019 et 2023 corrigée de l’inflation, du secteur et de la taille 
En milliers d’euros constants de 2020 par salarié

Image Graphique 3 Répartition de la productivité apparente du travail des entreprises actives entre 2019 et 2023 corrigée de l’inflation, du secteur et de la taille Thématique Entreprises Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Banque de France – Calculs de l’auteur et Insee pour les indices de prix de la valeur ajoutée de la valeur ajoutée.
La productivité est ici la productivité corrigée de la taille et du secteur.

On peut également se demander si les moindres sorties du marché durant la période 2020-2023 ont pu, dans le même temps, contribuer à la baisse de la productivité agrégée, des entreprises peu productives étant demeurées actives grâce notamment aux soutiens publics.

Effet de la dynamique de défaillances sur la productivité globale

Afin de caractériser les entreprises défaillantes, nous observons leur productivité l’année précédant celle de la déclaration de cessation de paiement. Cette productivité est ensuite comparée à celles des entreprises qui n’ont pas fait défaillance au cours de l’exercice, en tenant compte de la taille et du secteur de l’entreprise.

Les distributions des mesures de productivité sur la période 2018-2023 pour les entreprises restées actives et pour les entreprises ayant fait défaillance chaque année sur cette période sont résumées par la position de leurs médianes respectives (cf. Graphique 1). De ce point de vue, les entreprises défaillantes apparaissent moins productives sur l’ensemble de la période. Au moment de la crise sanitaire et en dépit de la mise en place de mesures de soutien, ce sont donc toujours des entreprises moins productives qui ont fait défaillance, maintenant ainsi le processus de sélection des entreprises relativement plus performantes. Ce résultat est cohérent avec les travaux antérieurs de Cros et al. (2020) ou Maadini et Hadjibeyli (2022).

L’écart entre la valeur médiane de la productivité des entreprises défaillantes et celles des entreprises restées actives a toutefois augmenté en 2020 et 2021, et bondi en 2022 (cf. les écarts matérialisés par des flèches dans le Graphique 1). Ainsi, avec un nombre de défaillances particulièrement faible, il est probable que ce sont les entreprises les moins productives qui ont fait défaillance. Une partie des entreprises peu productives qui auraient disparu dans un contexte pré-covid, ont donc pu continuer leur activité. On observe en effet que le taux de défaillance des entreprises dont la productivité se situe dans le premier quartile des entreprises de la base Fiben a significativement baissé en 2020 et 2021 (de 1,26 % en 2019 à 1,05 % en 2020 et 0,78 % en 2021).

Cette moindre sélection des entreprises constitutive d’une population à plus faible productivité peut expliquer une partie du décrochage de la productivité observée au niveau agrégé (par un effet de « marge extensive », c’est-à-dire lié aux changements dans la population des entreprises). Mais son effet ne peut être durable que si ces entreprises « en sursis » continuent leur activité après l’arrêt des mesures de soutien. Or, on observe une réduction de l’écart entre la productivité des entreprises défaillantes et celle des entreprises actives en 2023 qui pourrait s’expliquer par la défaillance à retardement des moins productives. La hausse du nombre de défaillances (56 000 en 2023 et près de 66 000 en 2024) pourrait témoigner du fait que ce rattrapage est en cours, ne laissant persister que les causes intrinsèques des pertes de productivité.
 

Mise à jour le 30 Mai 2025