Dans ce document, nous étudions comment les caractéristiques des banques qui financent les exportateurs influent sur les élasticités commerciales individuelles des entreprises. Nous supposons que certaines banques acquièrent au fil du temps une connaissance spécifique des conditions commerciales sur des marchés éloignés grâce à leurs interactions répétées avec des clients qui exportent vers ces marchés. Cela confère à ces banques un avantage informationnel, ou une spécialisation spécifique à la destination, qui peut bénéficier à d'autres clients à la recherche de financements pour de nouveaux projets d'exportation vers ces mêmes marchés. Le fait d'être connecté à une banque spécialisée ou non crée donc une source supplémentaire d'hétérogénéité entre les exportateurs ciblant un marché spécifique, au-delà de l'hétérogénéité du paramètre de productivité des entreprises qui est standard dans les modèles de commerce avec entreprises hétérogènes.
Pour tester notre hypothèse, nous commençons par proposer une motivation théorique basée sur un modèle de commerce standard avec des exportateurs en concurrence monopolistique. L'avantage informationnel fourni par la banque de l'exportateur (reflétant la spécialisation géographique de la banque) est représenté par un coût de distribution unitaire plus faible dans le pays de destination. Dans le modèle, une statistique suffisante - la part des coûts de distribution unitaires dans les coûts commerciaux totaux des entreprises - détermine la réaction des exportateurs à une modification des droits de douane, tant à la marge extensive qu'à la marge intensive. Suite à une réduction des droits de douane étrangers, les entreprises dont la part des coûts de distribution est plus faible sont plus susceptibles d'entrer sur le marché étranger, ou d'augmenter davantage leurs ventes lorsqu'elles sont déjà présentes sur ce marché.
Nous testons ensuite les prédictions de ce modèle pour les entreprises françaises en utilisant l'accord de libre-échange (ALE) de 2011 entre l'Union européenne et la République de Corée du Sud comme expérience quasi-naturelle. L'accord a été signé le 1er octobre 2010 et est entré en vigueur le 1er juillet 2011. Il s'agit d'une expérience tout à fait pertinente pour notre test, car les négociations ont été menées pour l'ensemble de l'Union européenne par la Commission européenne, et ne reflètent guère les intérêts particuliers des exportateurs français de notre échantillon. L'ALE lui-même était très ambitieux et global : 70 % des lignes tarifaires ont été ramenées à zéro dès le premier jour de mise en œuvre, tandis que les droits de douane devaient être démantelés en cinq ans pour des marchandises représentant 98,7 % de la valeur totale des importations sud-coréennes. Enfin, l'accord offre une variété de trajectoires tarifaires, une part importante des lignes de produits faisant l'objet de réductions échelonnées sur des périodes de 3 à 15 ans.
Nous estimons ensuite des régressions pour expliquer les flux d'exportations françaises vers la Corée sur les années 2007-2015 au niveau entreprise-produit, où nous exploitons deux sources de variance pour l'identification : (i) l'évolution des droits de douane dans le temps et entre les produits, et (ii) l'hétérogénéité au niveau des entreprises en fonction de la spécialisation de leurs banques sur le marché coréen avant l'ALE. Nous contrôlons par diverses combinaisons d'effets fixes au niveau entreprise, produit et temps afin d'éviter les biais potentiels associés à des facteurs de confusion évidents tels que les chocs de productivité au niveau de l'entreprise et les chocs de demande spécifiques au produit. Nous répartissons également notre échantillon d'exportateurs en deux groupes en fonction de leur productivité estimée, en évaluant la productivité d'une entreprise sur la base de ses performances à l'exportation sur deux marchés de référence pour les entreprises françaises (la Belgique et les États-Unis).
Nous trouvons comme attendu que les réductions tarifaires dans une destination étrangère induisent une réaction plus forte des exportateurs lorsqu'ils sont liés à des banques spécialisées dans cette destination, à la fois sur la marge extensive (c'est-à-dire la probabilité de commencer à exporter pour les nouveaux exportateurs) et sur la marge intensive (c'est-à-dire le taux de croissance des exportations pour les entreprises en place). L'impact sur la marge intensive n'est toutefois significatif que pour les entreprises moins productives.