Bloc-notes Éco

Accès des femmes à la direction d’entreprise : des avancées mais les freins persistent

Mise en ligne le 7 Mars 2025

Billet de blog 394. La part des femmes parmi les dirigeants d’entreprises françaises progresse lentement pour atteindre 25 % en 2023. La sous-représentation des femmes s’explique en particulier par des contraintes familiales qui continuent de peser davantage sur leur vie professionnelle.

Graphique 1. Pourcentage de femmes parmi les dirigeants d’entreprise

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Source : Banque de France, FIBEN.

La féminisation de la fonction de dirigeant progresse mais le déséquilibre persiste

En 2023, les femmes représentent plus de la moitié de la population française (52 %), près de la moitié de la population active (49 %), mais seulement 25 % des dirigeant(e)s d’entreprises, définis ici comme les mandataires sociaux de l’entreprise (e.g. gérant d’une SARL ou directeur général d’une société anonyme). Ce dernier chiffre tombe même à 17 % pour les plus grandes structures (entreprises de tailles intermédiaire, ETI, et grandes entreprises, GE), contre 26 % pour les microentreprises et 19 % pour les autres PME (cf. graphique 1, et Berardi et Bureau, 2025, pour une présentation plus détaillée des éléments synthétisés dans ce billet de blog). 

La féminisation des postes de dirigeant a augmenté au cours des vingt dernières années, en particulier au sein des ETI-GE, où les femmes ne représentaient que 5 % environ au début du 21ème siècle. Mais cette progression reste relativement lente. À ce rythme, il faudrait encore de nombreuses années pour atteindre la parité.

Le déséquilibre femmes-hommes est encore plus marqué si l’on se concentre sur les grands groupes cotés en bourse. Les femmes n’occupent ainsi que 6,25 % des postes de numéro un des entreprises du CAC 40 en 2023 (contre 3,75 % en 2022 et 2,5 % en 2021). Le législateur a néanmoins cherché ces dernières années à encourager la féminisation des organes de gouvernance des grandes entreprises. La loi Copé-Zimmermann de 2011 impose ainsi des quotas de femmes au sein des organes de représentation des actionnaires, à savoir les conseils d’administration et de surveillance des ETI-GE (40 % depuis 2017). La loi Rixain de 2021 impose quant à elle des quotas de femmes au sein du comité exécutif (Comex, qui assiste le directeur général et comprend les principaux cadres dirigeants du groupe) des entreprises de plus de 1 000 salariés (30 % en 2026, 40 % en 2029). Ces lois ont manifestement participé ces dernières années à l’accélération de la féminisation des conseils d’administration et de surveillance (passée de 29 % à 46 % en moins de dix ans pour les entreprises du SBF 120), et des Comex (de 12 % à 29 %). 

Dans ce contexte, la France se classe en tête des pays de l’OCDE en matière de féminisation des conseils d’administration et de surveillance des groupes cotés (46 % en 2022, contre par exemple 43 % en Italie, 35 % en Allemagne, 32 % aux États-Unis, et 15 % au Japon ; cf. OCDE, 2023a). Elle se classe par ailleurs dans le premier tiers des pays de l’OCDE concernant la part des femmes « managers » (dans un sens plus large que le Comex, et pour des entreprises cotées ou non) : 38 % en 2021, contre 41 % aux États-Unis, 29 % en Allemagne et en Italie, et 13 % au Japon (cf. OCDE, 2023b). Si l’on ne dispose pas de données suffisamment fiables pour opérer le même type de comparaison pour les seuls dirigeants, tout porte à croire que la pénurie de dirigeantes évoquée plus haut est tout sauf une exception française.

La présence des femmes dirigeantes varie fortement d’un secteur d’activité à l’autre

Les secteurs les moins féminisés sont la construction et le transport, avec respectivement 4 % et 10 % d’entreprises dirigées majoritairement par des femmes (cf. graphique 2). À l’opposé, les secteurs les plus féminisés sont, d’une part, l’enseignement, la santé et l’action sociale (35 %) et, d’autre part, les « autres services » (46 %). Ce dernier correspond aux sous-secteurs NAF « R. Arts, spectacles et activités récréatives » et « S. Autres activités de services ».

Si l’on raisonne à un niveau sectoriel plus fin (NAF 4 chiffres), les résultats deviennent particulièrement genrés : les sous-secteurs les plus féminisés ont ainsi trait à la bijouterie, aux enfants, à la coiffure, aux soins de beauté, à la parfumerie, aux vêtements et aux fleurs. À l’opposé, les sous-secteurs les moins féminisés concernent l’électronique, l’électricité, la plomberie, la construction et les machines.

Graphique 2. Pourcentage d’entreprises dirigées par des femmes en 2023 – par secteur d’activité
 

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Note de lecture : en 2023, 10 % des entreprises du secteur des transports sont dirigées par des femmes. Entreprise dirigée par des femmes : entreprise mono-dirigeante dirigée par une femme, ou entreprise multi-dirigeant(e)s où la part de femmes dirigeantes est supérieure à 50 %.
Source : Banque de France, FIBEN.

Les contraintes familiales continuent de peser davantage sur la vie professionnelle des femmes

Pourquoi a-t-on si peu de femmes dirigeantes d’entreprise ? Les travaux de la prix Nobel d’économie 2023, Claudia Goldin, montrent que les inégalités sur le marché du travail – en termes de participation et de salaires – reflètent d’abord les inégalités au sein des ménages dans la répartition des efforts pour s’occuper des enfants et des personnes fragiles dans la famille. Dans ce contexte, au sein des couples (hétérosexuels), les femmes vont davantage se tourner vers des flexible jobs, moins payés mais qui laissent du temps pour s’occuper de leur famille. Les hommes vont quant à eux davantage s’investir dans ce que Claudia Goldin appelle des greedy jobs, ces emplois qui exigent de longues heures de travail, où la rémunération (par heure travaillée) augmente avec le nombre d’heures travaillées, et qui demandent une disponibilité importante (avec des sollicitations possibles les soirs, weekends, vacances, etc.). Les postes de chef d’entreprise, qui demandent souvent un investissement personnel majeur, se rapprochent de ces greedy jobs – modulo le fait, qu’en pratique, une rémunération élevée n’a rien de systématique (dans les PME notamment). Au-delà de la question des enfants et des proches dépendants, l’Insee (2022) indique que les inégalités de genre ne se réduisent que lentement en matière de travail domestique (tâches ménagères, préparation des repas, courses d’alimentation).

Dans cette veine, un rapport DGE-DGCS (2019) indique que les contraintes familiales sont désignées comme le frein principal à la création d’entreprises par les femmes et que, dans ce contexte, 40 % des femmes entrepreneures sont célibataires contre 21 % des hommes. Le graphique 3 montre une corrélation assez forte entre la part des entreprises dirigées par des femmes et la composition des ménages dans le territoire (même en raisonnant à un niveau assez agrégé – ici départemental). Ces corrélations sont présentées à titre illustratif et ne sauraient se substituer à une estimation causale, mais on vérifie toutefois qu’elles sont robustes, et ne s’expliquent pas, par exemple, par des facteurs tels que des différences de composition sectorielle, de tailles d’entreprises ou de taux d’urbanisation entre territoires. 

Graphique 3. Corrélation – au niveau départemental – entre % de célibataires et % d’entreprises dirigées par des femmes
 

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Note de lecture : en 2021, le département 92 (Hauts-de-Seine) compte 45 % de célibataires (parmi les personnes de 15 ans ou plus) et 21 % d’entreprises dirigées par des femmes. Pour faciliter la lecture et l’interprétation du graphique, Paris et la Corse sont exclus (voir Bulletin des mêmes auteurs).
Source : Banque de France-FIBEN (données sur les entreprises) et Insee (données sur les structures familiales).

La sous-représentation des femmes dirigeantes : un frein pour l’économie ?

L’inégalité femmes-hommes dans l’accès à la fonction de dirigeant soulève une question d’équité, dans la mesure où les opportunités entre hommes et femmes ne sont pas les mêmes. Mais elle soulève également une question d’efficacité économique. En effet, si l’on suppose que la distribution des talents est identique au sein de la population des femmes et au sein de la population des hommes (i.e., il y a la même proportion d’individus talentueux chez les hommes et chez les femmes), alors l’existence de barrières pour les femmes est de nature à priver l’économie françaises de dirigeantes talentueuses, tandis que dans le même temps, certains dirigeants masculins moins compétents exercent cette fonction (car des femmes plus compétentes n’ont pas eu l’opportunité de devenir dirigeantes, de les concurrencer et in fine de les évincer du marché). En théorie donc, ce mécanisme peut peser sur la productivité et la croissance.

Ce problème de mauvaise allocation des ressources dans l’économie n’est pas circonscrit à la question du genre des dirigeants. Il concerne également l’accès des minorités au marché du travail, ainsi que l’insuffisante mobilité sociale. Dans tous ces cas, des barrières freinent l’allocation optimale des talents. L’impact macroéconomique de cette mauvaise allocation des ressources est potentiellement majeur (Sestieri et Zignago, 2019). À titre illustratif, on peut par exemple citer les travaux de Hsieh et al. (2019) qui montrent que, sur la période 1960-2010, 30 % de la croissance économique aux États-Unis provient d’une meilleure allocation des talents des femmes et des minorités. 
 

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Mise à jour le 7 Mars 2025