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Sud-Ouest : « Notre destin économique est entre nos mains »
Intervenant

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 26 Août 2025

Entretien du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, au journal Sud-Ouest du 26 août 2025
Pourquoi cette visite aujourd’hui, à Bordeaux et demain à Mont-de-Marsan ?
L’ancrage de la Banque de France dans la réalité économique passe par son réseau. Nous sommes la Banque de France, et pas la Banque de Paris ! C’est pourquoi je rencontre régulièrement nos équipes partout sur le terrain. Elles s’impliquent sur les sujets comme le surendettement des ménages, la cotation des entreprises, etc. Elles apportent ainsi des repères essentiels, surtout dans la conjoncture incertaine qui est la nôtre.
Vous parlez de réalité économique de la France, qu’en est-il aujourd’hui ?
Il y a une bonne nouvelle et demie, mais aussi des problèmes sérieux. La bonne nouvelle assurée, c’est la victoire contre l’inflation. Celle-ci est très faible en France, à 1 %, donc le pouvoir d’achat progresse désormais. La demi-bonne nouvelle, c’est la résistance de notre économie. Certains analystes prévoyaient une récession en 2025, la Banque de France anticipait elle une croissance certes ralentie, mais positive. C’est le cas. Au deuxième trimestre, la croissance a été de + 0,3 % ; les résultats de notre enquête mensuelle de conjoncture publiée début août montrent que nous pourrions connaître au troisième trimestre une croissance au même niveau.
Quant aux problèmes sérieux, vous parlez de la dette ?
Bien sûr : les problèmes de la dette publique et des déficits doivent absolument être traités. Sinon les intérêts à payer étoufferont de plus en plus nos capacités budgétaires, et nous léguerons à nos enfants une charge insupportable.
Faire travailler plus c’est le programme de François Bayrou. Il se heurte, notamment sur la suppression de jours fériés, à une forte opposition de la part des Français…
La Banque de France est indépendante des gouvernements, des forces politiques et des intérêts privés. Il ne lui appartient pas de décider sur telle ou telle mesure. Notre responsabilité est de gérer l’inflation et les taux d’intérêt, et de donner les prévisions et l’expertise économiques les plus fiables.
Les Français, tous les sondages le montrent, ont cependant très largement conscience de la gravité de la dette. Il doit y avoir un vrai débat public sur les mesures à prendre, mais nous ne pourrons pas sortir sans effort de cette situation difficile. L’important, c’est que cet effort soit le plus juste et partagé possible.
L’observateur que vous êtes redoute-t-il le vote du 8 septembre et l’appel à la grève du 10 septembre ?
La Banque de France n’a pas à se prononcer sur un vote politique, ni sur un mouvement social. Elle peut juste rappeler une réalité économique au regard de l’intérêt national : on parle légitimement des problèmes – réels – créés par M. Trump, mais la solution à nos divers défis passe d’abord par notre travail et sa qualité. Au fond, cela veut dire que notre destin économique est entre nos mains.
Les incertitudes économiques reposent aussi sur la géopolitique, notamment la bataille des droits de douane entre Europe et États-Unis, que vous inspire-t-elle ?
Le protectionnisme américain ne va faire que des perdants, y compris aux États-Unis, qui vont connaître plus d’inflation et moins de croissance. Cela mettra du temps à se produire parce que l’économie américaine était florissante jusque-là, mais cela y jouera négativement. Cela pèsera aussi sur la croissance des pays européens. L’Europe a signé un accord qui était peut-être inévitable mais ne peut être considéré comme positif. Quand on compare l’Europe au reste du monde, elle ne s’en sort pas trop mal... Mais ces droits de douane très accrus restent une mauvaise nouvelle.
Comment l’Europe peut-elle faire face à cette situation désormais ?
De la même manière que nous Français avons notre destin en main dans la bataille de la réduction de la dette et du déficit budgétaire, l’Europe a aussi les clés permettant de diminuer l’effet du protectionnisme américain. On ne peut pas changer la politique américaine, par contre on peut initier une forte mobilisation européenne. L’Europe a énormément de ressources, un marché de consommateurs équivalent à celui des États-Unis, des talents qualifiés, des ressources financières importantes liées à l’épargne des Européens. C’est l’heure pour l’Europe de mobiliser enfin ces ressources, de compter sur ses propres forces. C’est cela la bonne réponse à Donald Trump. Je trouve que cette mobilisation européenne tarde trop. Il y a 25 ans, l’Europe a su conquérir sa souveraineté monétaire en adoptant l’euro. Elle doit aujourd’hui gagner sa souveraineté économique et financière. Elle doit plus dépendre de l’épargne des Européens et moins de la finance américaine !
À propos des États-Unis, vous êtes à la tête d’une banque centrale, indépendante par définition des gouvernements... Comment jugez-vous la pression mise par Donald Trump sur le patron de la FED, la banque centrale de son pays, pour faire baisser, notamment, les taux d’intérêts bancaires ?
C’est inquiétant car l’indépendance de la FED est inscrite dans la loi américaine. L’indépendance des banques centrales, ce sont les démocraties qui l’ont voulue. Revenir sur cela, c’est jouer avec la démocratie. En outre, une banque centrale indépendante c’est l’assurance d’une lutte plus efficace contre l’inflation. Un banquier central, c’est quelqu’un qui doit dire la vérité sur la situation économique et assurer la stabilité des prix. Le patron de la FED, Jay Powell, est un banquier central qui fait admirablement ce travail. M. Trump ferait mieux de le laisser agir.
Pas de risque, selon vous, en Europe de voir cette indépendance des banques centrales remise en compte ?
Non : en Europe, l’indépendance fait partie des traités. Elle est bien acceptée par les gouvernements et par l’opinion publique, notamment parce qu’avec la BCE nous avons été efficaces pour ramener vite l’inflation à l’objectif de 2 %.
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Mise à jour le 26 Août 2025