Discours

Dix ans après l'Accord de Paris : l’heure est à la célébration, mais aussi à la lutte

Mise en ligne le 16 Décembre 2025

François Villeroy de Galhau – Interventions

Green Finance Research Advances Conference – Paris, 16 décembre 2025
Discours de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
 

Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux de vous accueillir à la dixième édition de la Green Finance Research Advances Conference. Depuis maintenant une décennie, la Banque de France est fière de co-animer cet événement avec l’Institut Louis Bachelier. Aujourd’hui, je voudrais rendre hommage à Jean-Michel Beacco, directeur général de l’Institut, disparu tragiquement en septembre dernier : cette conférence fait partie de l’héritage qu’il nous laisse durablement.

La toute première édition a eu lieu dans le sillage de l’Accord de Paris. Exactement dix ans plus tard, il est temps de célébrer cet accord avec fierté, et cela malgré les bruits récents nous venant des « négationnistes » : oui, l’Accord de Paris a constitué une avancée décisive sous la présidence française de la COP21. Oui, le monde se porterait moins bien sans l'Accord de Paris et les progrès qu'il a enclenchés, bien qu'ils restent insuffisants. Mais cet anniversaire est aussi un moment de réflexion et de planification pour l’avenir ; nous nous trouvons dans la posture de Janus, dieu romain des transitions : un visage tourné vers le chemin que nous avons parcouru, l'autre vers la route devant nous. Dans cet esprit, je voudrais faire le point sur la situation dix ans après l’Accord de Paris (I) et partager les convictions qui guideront notre action dans les années à venir (II). L’heure est à la célébration, mais aussi à la lutte.

I. Dix ans après l'Accord de Paris, nous avons réalisé des progrès significatifs, tant sur le plan des chiffres que sur le fond

A. Les tendances quantitatives montrent des signaux positifs, mais nous ne devons pas perdre de vue ce qui reste à accomplir

L’Accord de Paris a incontestablement créé une dynamique en faveur de l’action climatique. Les projections relatives au réchauffement climatique ont été revues à la baisse par rapport à 2015 : avant l'accord, le monde se dirigeait vers un réchauffement atteignant 3,5°C en 2100 ; aujourd'hui, les politiques actuelles font état d’un réchauffement d'environ 2,8°C, et la mise en œuvre complète des engagements nationaux pourrait ramener ce chiffre à 2,3°Ci

Au-delà de la nécessité d’appréhender les risques macroéconomiques et financiers, les arguments économiques en faveur de la transition énergétique gagnent du terrain.

 

image Image FALLING COSTS FOR RENEWABLES BUILD THE ECONOMIC CASE FOR THE ENERGY TRANSITION Thématique Climate Catégorie Speech
Falling costs for renewables build the economic case for the energy transition

Les énergies renouvelables sont désormais la source de nouvelle production d’électricité la plus compétitive au monde en termes de coûts : en 2024, 91 % des nouveaux projets d’énergies renouvelables mis en service ont fourni une énergie moins chère que l’alternative fossile la moins coûteuse, le coût actualisé de l’énergie solaire photovoltaïque et de l’énergie éolienne terrestre étant respectivement 41 % et 53 % moins élevéii. Les énergies renouvelables dominent donc les nouvelles capacités : 92,5 % de l’expansion mondiale de l’électricité en 2024 provenaient d’énergies renouvelables, ce qui porte la capacité installée totale en énergies renouvelables à plus de la moitié de la capacité mondiale de production d’électricitéiii.

C’est un progrès, mais on reste encore loin de l’objectif de Paris d’une hausse des températures « bien en deçà de 2°C » et, dans l’idéal, de 1,5°C. 2024 a été la première année où les températures moyennes mondiales ont dépassé le seuil de 1,5°C sur toute une année civile, jusqu’à 1,6°C au-dessus du niveau préindustrieliv. Les scientifiques nous avertissent qu’un dépassement temporaire est désormais inévitable, et que, sans réductions rapides des temporaire est désormais inévitable, et que, sans réductions rapides des émissions, nous nous dirigeons vers un niveau de réchauffement qui entrainerait des conséquences graves et irréversibles.

Malgré ces avertissements, et malgré la dynamique sur les énergies renouvelables, les investissements dans les projets liés aux combustibles fossiles restent obstinément élevés. En 2024, les dépenses mondiales en pétrole, gaz et charbon ont encore atteint 1 100 milliards de dollars, contre 2 200 milliards de dollars pour les énergies décarbonéesv. Notre expérience sur cette dernière décennie démontre que ces investissements sont non seulement dangereux sur le plan écologique, mais aussi financièrement irresponsables, exposant les investisseurs à des actifs échoués et à des risques de transition. 

B. Nous pouvons être fiers des progrès déjà réalisés dans notre approche du changement climatique

En tant que superviseurs financiers et banques centrales, nous avons adapté nos outils et intégré le changement climatique selon deux axes principaux et sur quatre domaines clés. Ces efforts ne sont pas cosmétiques, ni « activistes » ; ils font partie intégrante de nos missions fondamentales de stabilité des prix et de stabilité financière dans un monde où les chocs climatiques façonnent de plus en plus les conditions macroéconomiques.

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Progress in our approach to climate

En tant que superviseurs, nous avons désormais une bien meilleure compréhension des risques liés au climat et de leurs canaux de transmission au système financier. Les publications d’informations et les rapports ont joué un rôle déterminant : ils fournissent un aperçu des expositions d’une institution, permettant aux superviseurs d’identifier les vulnérabilités. Fin 2024, plus de 80% des banques de la zone euro ont reconnu être exposées de manière significative aux risques de transitionvi. Nous devons relever le défi d’une simplification du reporting sans en sacrifier la qualité. Entre-temps, nous avons introduit deux nouveaux outils majeurs : des stress-tests climatiques pour prévoir les risques futurs – utopiques il y a encore dix ans – et de nouveaux plans de transition prudentiels obligatoires (que les banques devront soumettre d’ici 2026) pour réduire ces risques. 

Concernant la politique monétaire, l’Eurosystème a pris des mesures pionnières depuis sa revue de la stratégie monétaire de 2021. Il ne s’agit pas ici de « verdir » la politique monétaire en tant que telle ; mais de préserver la résilience de notre bilan et les opérations de refinancement face aux chocs liés au climat. Le jalon le plus récent a été franchi en juillet 2025, avec l’annonce par la BCE de l’introduction d’un « facteur climatique » dans son dispositif de garantiesvii. À partir de 2026, la valeur des actifs d’entreprises remis en garantie sera ajustée en fonction de leur exposition aux risques de transition climatique. Les actifs à forte intensité carbone seront soumis à des décotes plus élevées. 

Enfin, la Banque de France est également un investisseur, et à ce titre nous avons le devoir de donner l'exemple. C’est la raison pour laquelle nous avons adopté en 2018 une approche d’investissement responsable, qui couvre aujourd’hui des portefeuilles d’une valeur de 130 milliards d’euros. Nous avons aligné nos portefeuilles d’actions pour compte propre sur une trajectoire de réchauffement de 1,5°C en 2023 et appliqué des seuils d’exclusion des énergies fossiles alignés sur l’Accord de Paris pour le pétrole et le gaz à l’ensemble de nos portefeuilles pour compte propre en 2024. 

Je tiens à souligner un moteur essentiel de ces progrès : le Réseau pour le Verdissement du système financier (the Network for Greening the Financial System - NGFS), dont nous sommes fiers d'héberger le secrétariat à la Banque de France. De 8 membres fondateurs en 2017, le réseau est passé aujourd’hui à 148 membres dans 91 pays et a publié plus de 50 documents qui éclairent les politiques publiques à travers le monde. Nous regrettons le retrait de la plupart des institutions américaines du NGFS, mais cela ne nous empêche pas, et ne nous empêchera pas, de poursuivre nos efforts. Dans un contexte où les progrès dans les forums internationaux traditionnels sont bloqués pour des raisons politiques américaines unilatérales, le NGFS démontre la valeur d'une « coalition des volontaires » : c'est un modèle qui pourrait inspirer la coopération sur d'autres questions d’intérêt mondial et de biens communs, tels que le libre-échange ou la fiscalité équitable. 

Grâce à toutes ces réalisations, la Banque de France a été reconnue par les ONG comme la banque centrale la plus verte du G20, pour la troisième année consécutiveviii. Mais nous ne nous reposerons pas sur nos lauriers.

image Image BANQUE DE FRANCE REMAINS THE GREENEST CENTRAL BANK AMONG G20 COUNTRIES Thématique Climate Catégorie Speech
Banque de France remains the greenest central bank among G20 countries

II. Pour contrer l’affaiblissement des ambitions climatiques, nous devons combattre certaines idées fausses

Pour l’avenir, comme les questions liées au climat sont malheureusement de plus en plus politisées, permettez-moi de rappeler une évidence : la réalité du changement climatique va perdurer. On ne fait pas descendre la fièvre en cassant le thermomètre. Le déni n’élimine pas le risque, il l’amplifie. Dans le même temps, nous devons rejeter le discours fallacieux selon lequel la transition n’est qu’un fardeau pour l’économie. Certes, la transition sera coûteuse à court terme. Mais elle représente également une opportunité historique pour l’Europe : pouvoir moderniser notre économie, renforcer notre compétitivité et assurer notre prospérité à long terme. La transition est essentielle pour garantir une stabilité à la fois environnementale et macrofinancière, qui sont les fondements de la croissance économique. Cette conviction doit guider notre action dans les années à venir.

A. Premièrement, la transition énergétique est compatible avec la rationalité économique

Les scénarios climatiques du NGFS constituent une ressource clé pour informer les décideurs politiques et ancrer le débat sur des éléments scientifiques plutôt que sur des perceptions. Élaborés conjointement avec la communauté scientifique, ils quantifient à la fois les risques de transition et les risques physiques et évaluent leurs implications macroéconomiques et financières. Nous améliorons en permanence les aspects sectoriels et régionaux, et publierons des scénarios actualisés d’ici fin 2026.

image Image EVIDENCE FOR EARLY ACTION: NGFS SHORT-TERM CLIMATE SCENARIOS Thématique Climate Catégorie Speech
Evidence for early action: NGFS short-term climate scenarios

Ce que nos travaux montrent déjà très clairement, c’est qu’au niveau mondial, investir dans la transition est rationnel sur le plan économique. Une action climatique rapide et ambitieuse réduirait les pertes macroéconomiques à long terme en limitant les dommages physiques et en évitant des ajustements brutaux et désordonnés par la suite. En parallèle, les scénarios à court terme du NGFS montrent qu’une action rapide pourrait réduire de moitié le coût de la transition d’ici 2030, à 0,5 % du PIB mondial contre 1,3 % en cas de délai supplémentaire de trois ans.

Nous devons toutefois être pragmatiques. Le paysage politique mondial est hétérogène et tous les pays n’avancent pas au même rythme. Cela appelle à une répartition plus stratégique des efforts d’atténuation. Soutenir les investissements à faible émission de carbone dans les économies émergentes et en développement peut constituer à la fois une question de responsabilité internationale et d’efficacité économique, car un même euro investi dans les économies émergentes et en développement peut souvent permettre de réduire davantage les émissions que dans les économies avancéesxi. Il ne s’agit pas d’un arbitrage, mais d’un moyen de maximiser l’impact mondial sur le changement climatique et de maintenir la cible de 1,5 °C en vue pour 2100.

 

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The cost of climate events is rising

Toutefois, le dépassement probable de la cible climatique et les effets déjà tangibles du changement climatique nous obligent à consacrer des ressources à l’adaptation de nos économies et de nos infrastructures pour faire face aux chocs climatiques. Le coût croissant des phénomènes météorologiques extrêmes en est déjà un signe clair. Depuis 1980, les phénomènes extrêmes, tels que les inondations, les vagues de chaleur, les incendies et les sécheresses, ont entraîné plus de 800 milliards d’euros de pertes en Europe, dont plus d’un quart au cours des seules dernières annéesx. À l’échelle mondiale, seuls 40 % environ des pertes liées aux catastrophes récentes sont assurées, ce qui laisse une part croissante des risques peser sur le budget des ménages, des entreprises et des administrations publiquesxi. Il y a deux ans, personne ne se souciait de cette question « d’assurabilité » ; aujourd’hui, elle est omniprésente dans les médias et dans l’esprit des décideurs.  Dans ce contexte, l’adaptation ne remplace pas l’atténuation, mais la complète de façon rationnelle : elle constitue une forme d’« assurance » économique face à des risques qui se matérialisent déjà.

B. Deuxièmement, la transition énergétique est compatible avec l’autonomie stratégique de l’UE

On entend trop souvent que l’accélération de la transition verte pourrait affaiblir la position de l’Europe sur les marchés mondiaux ou détourner des ressources au détriment d’autres priorités stratégiques. Au contraire, comme le souligne le rapport Draghi, les technologies propres et l’efficacité énergétique sont aussi bien des impératifs environnementaux que des opportunités industrielles. 

Réduire notre dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles importés renforce la sécurité énergétique et nous protège des chocs géopolitiques : après les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, et le choc lié à la Russie en 2022, nous avons reçu suffisamment d’avertissements et de signaux d’alerte précoces. La volatilité des prix des combustibles fossiles a pesé de façon répétée sur les budgets européens et dévoilé certaines vulnérabilités pendant les crises. Toutefois, rien qu’en 2024, les énergies renouvelables ont permis de réduire les coûts liés aux combustibles fossiles d’environ 467 milliards de dollars américains à l’échelle mondialexii.

Il est vrai que les besoins d’investissement sont importants : selon l’I4CE, le déficit actuel est estimé à 344 milliards d’euros par an dans l’UExiii.  Mais ces investissements renforcent la souveraineté et la compétitivité, le secteur privé jouant un rôle crucial dans l’atteinte de ces objectifs. Chaque année, l’Europe exporte environ 400 milliards d’euros de son abondante épargne, en termes nets, pour investir en dehors de l’Europe. C’est pourquoi notre Union de l’épargne et des investissements (UEI) doit jouer un rôle clé dans la mobilisation de fonds privés en faveur de cette transformation. 

 

Dix ans après l’Accord de Paris, nous pouvons nous féliciter, mais il nous faut poursuivre la lutte. À la Banque de France, nous continuerons à faire de la lutte contre le changement climatique une priorité, en renforçant notre compréhension d’un monde en mutation afin de mieux remplir nos mandats. Dans cet esprit, je voudrais conclure avec cinq engagements. 

Premièrement, s’agissant de nos portefeuilles pour compte propre, après avoir aligné l’ensemble de nos portefeuilles d’actions, nous nous engageons à poursuivre cet effort en alignant nos portefeuilles d’obligations d’entreprises avec une trajectoire de 1,5°C d’ici à fin 2026. 

Deuxièmement, nous travaillerons avec les banques françaises et européennes pour les aider à élaborer et à mettre en œuvre des plans de transition prudentiels crédibles et opérationnels à partir de l’année prochaine.

Troisièmement, en collaboration avec la BCE, nous intégrerons un facteur climatique dans le dispositif de garanties privées d’ici au second semestre 2026.

Quatrièmement, nous maintiendrons et renforcerons le secrétariat du NGFS à Paris, avec des publications du NGFS, qui continueront de clarifier « l’économie du climat », incluant un ensemble de notes sur les données relatives à la nature et sur la supervision en mars 2026, le guide actualisé à destination des superviseurs en juillet et la phase VI des scénarios à long terme du NGFS en novembre.

Cinquièmement, nous travaillerons avec le Conseil des gouverneurs de la BCE et les autorités européennes pour accélérer la mise en place de l’Union de l’épargne et des investissements, afin de mieux mobiliser l’épargne européenne en faveur de la transition énergétique.

La direction à prendre est claire, mais elle nécessite une volonté politique et une action collective. Il y a six ans, je citais ici à Paris lors d’une conférence NGFS fondatrice ces propos du philosophe politique Thomas Paine dans The American Crisis (vers 1776) : « S’il doit y avoir la guerre, qu’elle ait lieu de mon temps afin que mon enfant puisse connaître la paix. ». 

Je vous remercie et vous souhaite une conférence enrichissante. 
 

i PNUE (2025), Rapport sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions 2025 (Emissions Gap Report 2025)
ii IRENA (2025), Renewable Power Generation Costs in 2024
iii IRENA (2025), Renewable Capacity Statistics
iv Copernicus (2025), 2024 est la première année à dépasser 1,5°C par rapport au niveau préindustriel
v AIE (2025), World Energy Investment 2025
vi Frank Elderson, Billet de blog de la BCE (2024), « Failing to plan is planning to fail » - why transition planning is essential for banks.
vii BCE (2025), Communiqué de presse, La BCE adaptera son dispositif de garanties afin de faire face aux risques de transition liés au climat
viii Positive Money (2024), The Green Central Banking Scorecard: 2024 Edition
ix NBER (2023), Think Globally, Act Globally: Opportunities to Mitigate Greenhouse Gas Emissions in Low- and Middle-Income Countries
x Agence européenne pour l’environnement (2025), Economic losses from weather- and climate-related extremes in Europe
xi SwissRe, Sigma 1/2025, Natural catastrophes: insured losses on trend to USD 145 billion in 2025
xii https://www.irena.org/News/pressreleases/2025/Jul/91-Percent-of-New-Renewable-Projects-Now-Cheaper-Than-Fossil-Fuels-Alternatives
xiii I4CE (2025), The State of Europe’s Climate Investment

Mise à jour le 16 Décembre 2025