Bloc-notes Éco

Améliorer l'occupation des sols et l’assurance pour limiter les catastrophes naturelles

Mise en ligne le 10 Juin 2022
Auteurs : Céline Grislain-Letrémy, Bertrand Villeneuve

Billet n°273. Au cours des dernières décennies, l’augmentation des coûts liés aux catastrophes naturelles a été largement imputable à l’urbanisation dans les zones exposées, phénomène que des restrictions d’usage des sols et les polices d’assurance peuvent limiter. Des politiques simples et fréquemment observées, basées sur la délimitation d’une zone rouge interdisant toute construction et d’une zone sans différenciation tarifaire de l’assurance, s’avèrent relativement efficaces. La redéfinition des zones rouges pour refléter le changement climatique ou la pression démographique est un enjeu majeur.

Image Figure 1 : La Nouvelle-Orléans Source : pixabay.com
Figure 1 : La Nouvelle-Orléans
Source : pixabay.com

L’urbanisation dans les zones exposées et les solutions fournies par les politiques d’aménagement du territoire et d’assurance

Le coût économique global des catastrophes naturelles a considérablement augmenté au cours des dernières décennies, atteignant 190 milliards de dollars en 2020, contre 1,3 milliard de dollars (2020) en 1970 (Sigma, 2021). Outre le poids croissant du changement climatique, cette tendance s’explique dans une large mesure par l’augmentation du nombre de personnes et d’entreprises dans les zones exposées et de la valeur de leurs actifs (Hallegatte, 2012). En Floride, en 2012, 80 % (2 900 milliards de dollars) des actifs assurés étaient situés près des côtes. En Chine, en 2004, 8 % du territoire à proximité ou en aval des sept principaux fleuves concentrait 50 % de la population et les deux tiers de la production agricole et industrielle du pays.

Cette urbanisation croissante dans les zones exposées résulte en partie des aménités liées au risque : les rives sont attrayantes. Des biais de perception, comme la sous-estimation des risques ou le défaut de mémoire des événements passés, entrent en jeu. Les autorités publiques locales peuvent également s’abstenir de communiquer sur les risques réels par crainte d’une influence défavorable sur l’attractivité du site ou sur la valeur des actifs immobiliers. Les incitations économiques jouent un rôle important : le fait pour les ménages s’installant dans des zones exposées de ne pas avoir à en supporter l’intégralité du coût du risque favorise également l’urbanisation. Comme notre article (Grislain-Letrémy et Villeneuve, 2019), ce billet de blog porte principalement sur ce type de comportement de passager clandestin (free-riding). Nous limitons notre analyse aux pertes matérielles liées à ces catastrophes.

Les solutions pour maîtriser l’urbanisation dans les zones exposées combinent politiques publiques d’aménagement du territoire et politiques publiques d’assurance. Les politiques d’aménagement du territoire entraînent parfois une action forte comme, par exemple, l’acquisition par l’Agence fédérale américaine de gestion des urgences de près de 4 500 maisons en zone inondable dans le Missouri après la grande inondation de 1993. Les politiques publiques d’assurance peuvent également limiter le comportement de passager clandestin en obligeant les ménages et les entreprises situés dans des zones exposées à payer pour le risque qu’ils prennent. Par exemple, les primes d’assurance contre les tremblements de terre au Japon ou les primes d’assurance contre les inondations aux États-Unis augmentent avec l’exposition au risque. Même dans ces cas, l’augmentation de la prime est réglementée.

La capitalisation des risques dans le calcul des valeurs immobilières et l’impact des primes d’assurance

La valeur des actifs devrait refléter les différences de risque. Ainsi, un bien en zone inondable est déprécié sur le marché immobilier. S’il peut être assuré, la capitalisation négative provient des primes d’assurance. Des études empiriques basées sur la méthode des prix hédoniques confirment que les marchés immobiliers valorisent le flux capitalisé des primes d’assurance contre les catastrophes naturelles (Bin et al., 2008Harrison et al., 2001MacDonald et al., 1990). L’expérience montre que les prix de l’immobilier réagissent davantage aux révisions des primes d’assurance qu’à d’autres révélations du risque (Skantz et Strickland, 1987).

L’assurance est souvent uniforme. Le premier type d’assurance uniforme est l’assistance de l’État en cas de catastrophe (en Australie, en Chine et dans de nombreux pays européens), l’assurance privée étant soit inexistante soit souscrite par peu de ménages ou entreprises. Le second type est la tarification d’assurance légalement non discriminatoire (comme au Danemark, en France, en Espagne ou en Suisse). Dans la plupart des pays, cette tarification inefficace de l’un ou l’autre des deux types d’indemnisation s’accompagne d’une interdiction de construire.

Dans le cadre d’une assurance uniforme – et en supposant qu’elle soit complète – tous les biens sont alors artificiellement équivalents, d’où une surexploitation des zones les plus risquées. En pratique, cet effet négatif est légèrement atténué par le fait que l’assurance est en réalité incomplète.

Un résultat typique de l’analyse économique est que l’approche par les primes d’assurance (incitations par les prix) et l’approche par le zonage (régulation par les quantités) sont également performantes. En fait, les prix et le zonage sont même substituts à n’importe quelle échelle. Sur un territoire traité de manière uniforme par l’assurance, le zonage peut faire gagner des degrés d’efficacité ; des différenciations tarifaires peuvent suppléer à l’imperfection du zonage.

Examen de l’efficacité des politiques de zone rouge

Nous examinons en détail les politiques les plus couramment observées, avec une zone rouge interdisant toute construction, et une zone de construction ne présentant pas de différenciation tarifaire de l’assurance.

Image Figure 2 : Zone rouge Source : Grislain-Letrémy et Villeneuve (2019)
Figure 2 : Zone rouge
Source : Grislain-Letrémy et Villeneuve (2019)

Nos simulations montrent que la politique de zone rouge est relativement efficace. Les primes uniformes entraînent une utilisation uniforme de l’ensemble de l’espace autorisé (figure 3, ligne en trait plein) ; une assurance actuarielle incite les ménages à se concentrer dans des zones moins risquées (ligne en pointillés). Dans le cadre d’une assurance actuarielle, les zones les plus risquées sont spontanément désertées. Cette zone n’est que légèrement plus petite que la zone rouge optimale.

Image Figure 3 : Équilibres : primes d’assurance actuarielles vs primes d’assurance uniformes et zone rouge optimale Source : Grislain-Letrémy et Villeneuve (2019)
Figure 3 : Équilibres : primes d’assurance actuarielles vs primes d’assurance uniformes et zone rouge optimale
Source : Grislain-Letrémy et Villeneuve (2019)

Que se passe-t-il lorsque le risque évolue ?

La mise à jour du zonage au fur et à mesure que le risque évolue est cruciale. Le changement climatique accentuera l’intensité et la fréquence des catastrophes naturelles. Les dommages causés par les inondations dans les grandes villes côtières devraient être multipliés par huit entre 2005 et 2050, selon des projections fondées uniquement sur l’augmentation de la population et de la valeur immobilière. En tenant compte du changement climatique et des affaissements de terrain, les dommages causés par les inondations dans les grandes villes côtières pourraient être multipliés par 19 et coûter 1 000 milliards de dollars par an en l’absence d’amélioration de la prévention (Hallegatte et al., 2013).

Nous déterminons l’impact du changement climatique et de la pression démographique sur les zones rouges optimales. Comme prévu, l’extension de la zone rouge au fur et à mesure que la fréquence ou la gravité des catastrophes augmente limite l’impact final. En revanche, une augmentation de la population accroît le risque et en même temps la demande de terrain. Les zones rouges optimales peuvent rétrécir ou croître avec l’augmentation de la population.

La difficile gestion de l’existant

Comment gérer les personnes et les actifs déjà situés dans des zones fortement exposées ? La logique d’incitation connaît ici un écueil : il est tentant d’exonérer les habitations existantes d’une révision défavorable de l’exposition au risque. La clause du grand père (grand-father rights), largement invoquée, mène à des pertes à répétition. Il faudrait plutôt une mise à jour claire des risques, accompagnée d’une évolution de l’indemnisation de l’assurance vers le principe d’indemnités consacrées non plus à la reconstruction, mais au déménagement en zones moins exposées.

Ce billet de blog provient d’une colonne VoxEU, publiée le 27 avril 2022.