Publication

Vulnérabilité au réchauffement climatique en Afrique et flux migratoires

Mise en ligne le 27 Octobre 2021

Les migrations sont amenées à évoluer en Afrique en réponse au changement climatique, le continent étant particulièrement touché par ce phénomène mondial du fait de ses caractéristiques géophysiques et socio‑économiques. Les températures moyennes en Afrique sont les plus élevées au monde, et leur hausse y est comparable à celle constatée sur les autres continents, posant des défis uniques en matière d’adaptation, notamment pour le secteur agricole. Ces bouleversements s’opèrent alors même que la résilience du continent est en jeu&nbsp: son développement humain est relativement bas, son agriculture peu productive et son revenu par habitant faible. Dans ce contexte, la migration (décidée ou forcée, interne, vers les pays frontaliers ou vers d’autres continents) peut apparaître comme une option attrayante de gain économique ou de diversification du risque, mais son évolution en réponse au changement climatique est incertaine. Si la perspective d’une amélioration du niveau de vie compte, le coût associé à la migration peut être trop important lorsque les revenus sont faibles, notamment pour les migrations intercontinentales plus coûteuses. En revanche, pour une partie de la population dont la survie est menacée par la montée du niveau des océans, les désastres naturels et les conflits pour le contrôle de ressources qui se raréfient, l’émigration peut représenter la dernière option possible.

1.&nbspLe réchauffement climatique affecte l’émigration au départ des pays en développement à travers plusieurs canaux

En modifiant les perspectives des agents économiques, le réchauffement climatique peut avoir un effet direct sur leur décision d’émigrer (Coniglio et Pesce, 2015), tandis que des effets indirects importants et nombreux ont également été mis en évidence par la littérature.

En réduisant les revenus et la richesse des ménages, le réchauffement climatique peut inciter les individus en quête de conditions de vie meilleures à émigrer. De Bandt, Jacolin et Lemaire (2021) trouvent qu’une hausse de 1&nbsp°C des températures entraîne une perte de croissance de PIB par habitant dans les pays en développement (PED) comprise entre 0,74 et 1,52 point de pourcentage. Or, le différentiel de revenu potentiel entre pays d’origine et pays d’accueil constitue l’un des déterminants principaux des migrations internationales. Le changement climatique et la hausse de la fréquence des désastres naturels peuvent également conduire les ménages à envisager la migration comme une méthode de diversification du risque1 , d’autant plus dans les pays où les systèmes d’assurance formels sont quasi inexistants (cf. section 2). L’émigration représente alors une stratégie possible d’adaptation au changement climatique (McLeman et Smit, 2006).

Cet effet négatif sur le revenu est en partie lié à la baisse de la productivité et des rendements agricoles engendrée par le réchauffement climatique et les désastres naturels. Ortiz-Bobea et al. (2021) trouvent par exemple que le changement climatique a diminué de 26 à 34&nbsp% la productivité agricole en Afrique (contre 21&nbsp% au niveau mondial, soit sept ans de gains de productivité perdus). Leurs résultats montrent en outre que la vulnérabilité du secteur agricole au changement climatique ne diminue pas sur le continent. Pour l’Afrique de l’Ouest, Sultan et al. (2019) estiment que le changement climatique a entraîné entre 2000 et 2009 des pertes de rendement annuel de 10 à 20&nbsp% pour le millet et de 5 à 15&nbsp% pour le sorgho. L’élevage peut également souffrir de la désertification et de la multiplication des sécheresses. La baisse des rendements et de la productivité des activités agricoles et d’élevage est susceptible de réduire le revenu des ménages dépendant directement ou indirectement de cette production, et d’augmenter le taux de pauvreté et les inégalités, déterminants de l’émigration. Des tensions sur les ressources alimentaires et leurs prix, ainsi que des difficultés d’accès à l’eau potable peuvent également émerger et encourager le départ des individus. Falco et al. (2019) ont ainsi établi que l’impact du changement climatique sur les migrations internationales au départ des pays pauvres passait essentiellement par son effet néfaste sur la productivité agricole.

Jusqu’au milieu du siècle, le changement climatique influera sur la santé humaine principalement en aggravant les problèmes de santé existants (degré de confiance très élevé).
Giec, 2014

En pesant sur la disponibilité des ressources, le changement climatique provoque probablement aussi des conflits et encourage l’émigration. Plusieurs travaux montrent que le changement climatique accroît le nombre de conflits (cf. revue de Burke et al., 2015), qui constituent un motif significatif à l’émigration des populations. Abel et al. (2019) mettent en évidence un effet significatif des sécheresses (mesurées par l’indice d’évapotranspiration) sur les migrations forcées (mesurées par les flux de demandeurs d’asile) à travers l’occurrence des conflits. Se concentrant sur l’Afrique subsaharienne (ASS), Naudé (2009) établit également que les désastres naturels encouragent les migrations internationales directement, et indirectement par le biais de la multiplication des conflits. Par ailleurs, un cercle vicieux peut alors s’instaurer puisque les flux migratoires provoqués par le réchauffement climatique constituent eux-mêmes une source de conflits (Abel et al., 2019).

Le changement climatique a également un impact sur l’émigration s’il favorise l’apparition ou la diffusion de certaines maladies. Selon le Giec2, il fait peu de doutes que le changement climatique est dommageable pour la santé des populations, en particulier dans les PED. Selon ce groupe d’experts3, « Jusqu’au milieu du siècle, le changement climatique influera sur la santé humaine principalement en aggravant les problèmes de santé existants (degré de confiance très élevé). Pendant toute la durée du XXIe siècle, il devrait provoquer une détérioration de l’état de santé dans de nombreuses régions, en particulier dans les pays en développement à faible revenu, comparativement à une situation de référence sans changement climatique (degré de confiance élevé) ». Cet effet néfaste sur la santé s’expliquerait notamment par les décès liés à l’augmentation de la fréquence des vagues de chaleur et par la diffusion de maladies à transmission vectorielle à des zones non infectées jusqu’à présent. Si la littérature s’est plutôt intéressée à l’effet du réchauffement climatique sur la diffusion des maladies infectieuses à travers les mouvements de populations (MacMichael, 2020), la détérioration des conditions sanitaires peut également jouer un rôle dans la décision d’émigrer.

Image Effets directs et indirects du réchauffement  climatique sur les flux migratoires
Effets directs et indirects du réchauffement climatique sur les flux migratoires
Sources : Schéma inspiré de Coniglio et Pesce (2015), complété par les auteurs. Il demeure simplifié car des relations existent aussi entre les canaux, par exemple entre les conflits et le niveau de revenu.

2. Les effets pourraient être démultipliés en Afrique en raison de l’intensité du changement climatique, de la vulnérabilité des populations et des caractéristiques démographiques et institutionnelles

L’Afrique représente l’une des régions les plus touchées par le réchauffement climatique

La hausse des températures et les variations des précipitations par rapport à leurs normes historiques, déjà engagées, vont continuer à affecter fortement les économies africaines. Les températures augmentent sur l’ensemble des continents depuis les années 1960 ou 1970 et atteignent actuellement un niveau supérieur d’environ 1 °C par rapport à leurs normes historiques4. Cette dynamique affecte cependant particulièrement l’Afrique puisque les températures y sont plus élevées que dans d’autres régions (cf. graphique de gauche, infra), malgré une forte hétérogénéité entre les pays (cf. carte infra). Ainsi, entre 2001 et 2017, sept pays africains ont connu des températures entre 1,2 °C et 1,6 °C plus élevées en moyenne qu’entre 1900 et 1950, tandis que cette différence était comprise entre 0 °C et 0,4 °C dans seulement sept pays. Dans ces conditions, le réchauffement climatique représente un défi considérable en matière d’adaptation. En l’absence de mesures d’atténuation au niveau mondial (scénario RCP8.55), les projections de Xu et al. (2020) indiquent qu’en 2070 le climat de 19 % du globe correspondra à celui de zones historiquement inhabitables (contre 0,8 % actuellement). 42,2 % de ces zones se trouveront en Afrique (soit 37,5 % de la superficie du continent) et affecteront 1,15 milliard de personnes en l’absence de migration (33% du total mondial).

Image Températures annuelles moyennes et tendance,  par région
Températures annuelles moyennes et tendance, par région
Note : Tendance obtenue à partir du filtre Hodrick-Prescott (paramètre λ = 1600).
Sources : Université du Delaware ; élaboration par les auteurs.
Image Déviation des températures annuelles moyennes (2001-2017) par rapport à leur norme historique
Déviation des températures annuelles moyennes (2001-2017) par rapport à leur norme historique
Note : La norme historique correspond à 1900-1950.
Sources : Université du Delaware ; élaboration par les auteurs.

L’Afrique fait face chaque année à un nombre élevé de catastrophes naturelles liées au climat, accroissant la pression à l’émigration. L’occurrence de ces évènements extrêmes8 progresse depuis les années 1970, malgré un palier observable depuis 2010 environ (cf. graphique). Ainsi, entre 2000 et 2018, près de 50 catastrophes naturelles liées au climat ont frappé l’Afrique chaque année, plaçant le continent en troisième position au niveau mondial, tant en chiffre absolu qu’en pondérant par la population. En de nombreux endroits cependant, les dommages humains et matériels provoqués par ces catastrophes sont particulièrement difficiles à évaluer et potentiellement sous-estimés. 30 % des Africains subsahariens ne possèdent pas de documents d’identité (Banque mondiale), ce qui complique le recensement des victimes. En outre, beaucoup d’actifs ne sont pas assurables car ils relèvent de l’économie informelle et ne sont donc pas référencés dans les coûts associés aux désastres naturels. Si la relation entre catastrophes naturelles liées au climat et migrations a fait l’objet d’une vaste littérature empirique (cf. section 3), les modèles climatiques ont actuellement une capacité encore limitée à établir des projections globales pour de nombreux évènements climatiques extrêmes, tels les ouragans (Hsiang et Kopp, 2018).

Image Nombre de catastrophes naturelles liées au climat  (tendance du nombre d’occurrences)
Nombre de catastrophes naturelles liées au climat (tendance du nombre d’occurrences)
Note : Tendance obtenue à partir du filtre Hodrick-Prescott (paramètre λ=1600). Le recensement pouvant ne pas être exhaustif sur les données historiques, seule la période 1970-2018 est retenue. Sources : EM-DAT ; élaboration par les auteurs.

Les caractéristiques économiques des pays d’Afrique subsaharienne pourraient amplifier les effets du changement climatique sur les migrations

La forte prévalence de la pauvreté, conjuguée à l’absence de filets sociaux formels et à l’ampleur du secteur informel, constitue un puissant moteur à l’émigration. Les trois quarts des pays à faible revenu sont concentrés en ASS, dont le PIB par tête moyen est le plus bas au monde (1 599 dollars par habitant en 2019, d’après la Banque mondiale). En outre le taux de pauvreté atteint un niveau très élevé en Afrique, surtout dans les zones rurales (41 % en 2015, dont 82 % vivent en zone rurale) qui sont particulièrement affectées par les effets du réchauffement climatique. Parallèlement, le manque d’accès aux filets sociaux formels, qui ne couvrent en moyenne qu’environ 10 % de la population africaine, réduit la résilience des populations vulnérables au changement climatique. Des filets sociaux informels existent, mais ils se limitent souvent aux membres d’une même famille ou à des personnes proches géographiquement. Ainsi, s’ils jouent un rôle face aux aléas affectant un individu, ils apparaissent peu efficaces en cas de chocs climatiques, dont les effets plus larges touchent potentiellement l’ensemble du groupe. L’étendue de l’économie informelle restreint également les possibilités de recourir à des mécanismes assurantiels pour limiter les pertes en cas de choc climatique, y compris dans le secteur agricole, ce qui participe ainsi à la vulnérabilité de la population au changement climatique en Afrique.

La forte dépendance des économies africaines à l’agriculture pourrait également renforcer l’effet du réchauffement climatique sur les migrations. Le secteur agricole concentre 55 % des emplois en ASS, une proportion bien plus importante que dans le reste du monde (cf. graphique). De même, en ce qui concerne la part de la valeur ajoutée agricole dans le PIB (17 %) et la part de la population rurale (60 %), l’ASS se classe respectivement au premier et deuxième rang mondial. En Afrique du Nord, ces chiffres demeurent également plus élevés que la moyenne et révèlent la dépendance forte et directe de la population à l’agriculture, l’un des secteurs les plus touchés par le changement climatique. Or, selon Coniglio et Pesce (2015), l’effet de la variabilité de la pluviométrie sur les flux migratoires vers les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dépend de la part du secteur agricole dans les économies d’origine. Cai et al. (2016) mettent même en évidence un effet positif de la hausse des températures sur l’émigration uniquement dans les pays fortement dépendants du secteur agricole. L’effet semble également d’autant plus important que les anomalies climatiques ont lieu durant la saison agricole (Coniglio et Pesce, 2015  Nawrotzki et Bakhtsiyarava, 2017).

Le faible taux d’irrigation de l’agriculture en ASS constitue un «&nbspfacteur aggravant&nbsp» supplémentaire. Au contraire de l’Asie du Sud et de l’Afrique du Nord, la vulnérabilité du secteur agricole en ASS est amplifiée par le faible taux d’équipement des terres agricoles pour l’irrigation (2,2&nbsp%, contre 29&nbsp% en Asie du Sud), limitant la résilience de la production aux aléas climatiques, dont la fréquence et l’intensité seront affectées par le changement climatique. Or, Benonnier et al. (2019) montrent que l’effet du réchauffement climatique sur l’émigration dans les pays pauvres se renforce avec la part des terres agricoles non irriguées. Les facteurs démographiques et institutionnels pourraient également accentuer l’effet incitatif du réchauffement climatique sur les migrations Les effets néfastes du réchauffement climatique sur la population pourraient être amplifiés par la forte croissance démographique du continent. L’Afrique comptera 2,5 milliards d’habitants en 2050 selon les projections de l’Organisation des Nations unies&nbsp– ONU (soit 25,6&nbsp% de la population mondiale), contre 1,3 milliard d’habitants en 2020 (17,2&nbsp% de la population mondiale). Cet accroissement rapide de la population augmentera les tensions sur la production alimentaire et sa répartition.

Image Dépendance à l’agriculture selon les régions
Dépendance à l’agriculture selon les régions
Sources : Banque mondiale (WDI), FAO, OIT et ONU ; élaboration par les auteurs.

Les facteurs démographiques et institutionnels pourraient également accentuer l’effet incitatif du réchauffement climatique sur les migrations

Les effets néfastes du réchauffement climatique sur la population pourraient être amplifiés par la forte croissance démographique du continent. L’Afrique comptera 2,5 milliards d’habitants en 2050 selon les projections de l’Organisation des Nations unies – ONU (soit 25,6 % de la population mondiale), contre 1,3 milliard d’habitants en 2020 (17,2 % de la population mondiale). Cet accroissement rapide de la population augmentera les tensions sur la production alimentaire et sa répartition. L’Afrique représente en outre le continent le moins urbanisé, avec seulement 40 % de citadins. L’exode rural étant au cœur du processus de développement et de hausse de la productivité (Lewis, 1954), l’extension des villes africaines, et de leurs quartiers informels pour une part importante des nouveaux arrivants, augmentera la vulnérabilité des habitants aux effets du changement climatique, notamment aux vagues de chaleur et à la montée du niveau de la mer.

Indicateurs de vulnérabilité et de préparation au changement climatique (0-100)
Sources : Ferdi et université de Notre-Dame ; élaboration par les auteurs.
  Ferdi ND-GAIN
  PVCCI Vulnérabilité Préparation
Afrique subsaharienne 55,0 53,3 29,8
Afrique du Nord 61,1 39,8 35,9
Asie du Sud 55,3 51,1 36,7
Asie de l'Est-Pacifique 53,4 45,3 45,8
Asie occidentale et centrale 57,1 39,1 41,0
Amérique latine et Caraïbes 52,8 41,6 38,9
Amérique du Nord 53,5 30,8 69,2
Europe 45,9 32,8 57,6

Note : Les indicateurs de vulnérabilité et de préparation au changement climatique sont les deux composantes de l’indice ND-GAIN. PVCCI : Indicateur de vulnérabilité physique au changement climatique.

La faible qualité des institutions pourrait entraver la mise en place de réponses d’adaptation au changement climatique et accroître davantage le risque de conflits. Les indicateurs de gouvernance mondiaux (Banque mondiale) montrent que l’Afrique arrive en dernière position en matière de qualité des institutions, rendant plus difficile la réalisation des investissements massifs nécessaires à la mise en place des politiques d’adaptation au changement climatique. En outre, la littérature a mis en évidence plusieurs liens entre la qualité des institutions et les conflits (cf. par exemple Wig et Tollefsen, 2016). Ainsi, cette faible qualité des institutions rend la situation sécuritaire en Afrique plus sensible encore au changement climatique.

Ainsi, les principaux indicateurs synthétiques placent l’Afrique parmi les régions les plus vulnérables et les moins préparées au changement climatique. L’indicateur PVCCI de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)9 mesure pour chaque pays la vulnérabilité physique au changement climatique, excluant toute variable socio-économique affectant la capacité d’adaptation pour se concentrer sur les caractéristiques géophysiques. L’indicateur de vulnérabilité de l’université de Notre-Dame prend en compte, outre l’exposition de l’économie, sa sensibilité et ses capacités d’adaptation au changement climatique, détériorant davantage la position relative de l’ASS par rapport aux autres régions. La combinaison de ces deux indicateurs, des dimensions géophysiques et socio-économiques, indique que l’Afrique du Nord et l’ASS font partie, avec l’Asie du Sud, des régions les plus vulnérables au changement climatique. L’indicateur de préparation mesure quant à lui la capacité, économique, institutionnelle et sociale, à investir dans l’adaptation au changement climatique. Selon cet indicateur, l’Afrique du Nord et l’ASS représentent les deux zones les moins préparées.

3. Le changement climatique en Afrique devrait surtout renforcer les flux migratoires internes et intrarégionaux avec d’importants risques de déstabilisation au sein de la région

La contrainte de revenu, renforcée par le réchauffe‑ ment climatique, est telle qu’elle limite les départs vers l’international. La possibilité d’une hausse de revenu constitue une forte motivation pour émigrer, mais un revenu initial trop faible rend le départ difficile en raison des coûts importants associés à l’émigration. Comme l’expliquent notamment Findley (1994), ainsi que Henry et al. (2004), les difficultés économiques causées par le changement climatique peuvent ainsi limiter les migrations vers l’international qui sont plus coûteuses. Ainsi, Nawrotzki et Bakhtsiyarava (2017) mettent en évidence un effet « inhibiteur » des vagues de chaleur sur les migrations internationales au départ du Burkina Faso. Au niveau macroéconomique, Beine et Parsons (2015) ne trouvent pas d’effet significatif direct du réchauffement climatique ni des désastres naturels sur les migrations internationales. En outre, des travaux de recherche récents montrent que l’effet positif du réchauffement climatique sur les migrations internationales devient négatif dans les pays pauvres (Cattaneao et Peri, 2016).

En revanche, le réchauffement climatique en Afrique pourrait accentuer les flux migratoires internes, intrarégionaux et circulaires. Henry et al. (2004) montrent qu’au Burkina Faso, si les anomalies pluviométriques freinent les départs à l’étranger en raison de leur effet négatif sur les revenus, elles tendent à encourager les migrations internes. De plus, Findley (1994) met en évidence la dimension souvent temporaire des migrations liées au climat, les sécheresses au Mali encourageant les migrations circulaires. Enfin, même en cas d’extrême pauvreté, l’émigration constitue parfois la solution de dernier recours (Penning-Rowsell et al., 2013) pour la survie de l’individu et celle de sa famille : on parle alors de « déplacés internes » ou de réfugiés climatiques (cf. encadré).

Les mobilités contraintes liées au climat

S’il n’existe pas de données sur les migrations internationales pour motifs climatiques, des informations chiffrées sur les déplacés climatiques internes sont disponibles. Les déplacés internes font référence aux « personnes ou groupes de personnes qui ont été forcés ou contraints de fuir ou de quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituelle, notamment en raison d’un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l’homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme ou pour en éviter les effets, et qui n’ont pas franchi les frontières internationalement reconnues d’un État » (Organisation internationale des migrations). Selon l’International Displacement Monitoring Centre (IDMC), il y aurait eu 40,5 millions de déplacés internes supplémentaires en 2020, dont les trois quarts l’auraient été en raison d’évènements climatiques (tempêtes, températures extrêmes, inondations, etc., cf. graphique de gauche). Cependant, en Afrique subsaharienne, les nouveaux déplacés en 2020 seraient davantage le résultat des conflits (6,8 millions) que des aléas climatiques (4,3 millions, dont 1 million en Somalie et près de 700 000 en Éthiopie). Toutefois, la quasi-totalité des déplacés à la suite d’un conflit dans le monde vit dans des pays très vulnérables au changement climatiquea , étant donné les liens existants entre ces deux phénomènes (cf. section 1). Par ailleurs, si le nombre de déplacés pour des raisons climatiques en Afrique est aujourd’hui bien inférieur à ce que l’on observe en Asie de l’Est-Pacifique et en Asie du Sud (cf. graphique de droite), leur nombre tend à augmenter. D’ailleurs, d’après son scénario le plus pessimiste, la Banque mondialeb estime que le réchauffement climatique pourrait causer 86 millions de déplacés internes en Afrique d’ici 2050, contre 40 millions en Asie du Sud et 17 millions en Amérique latine.

Image
Répartition des nouveaux déplacés internes  par motif en 2020 et Déplacés internes climatiques  par région

Les individus contraints de quitter leur pays pour des raisons liées au climat sont appelés les réfugiés climatiques. Cette expression est toutefois trompeuse puisque les individus fuyant leur pays en raison des conséquences du changement climatique n’ont aujourd’hui pas les mêmes droits que les réfugiés politiques ou de guerre. En effet, selon la Convention de Genève relative aux réfugiés (1951), seule une personne « persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » ou fuyant un conflit armé, peut bénéficier du statut officiel de réfugié et demander l’asile au pays d’accueil sans craindre d’être renvoyée dans son pays d’origine (principe de non-refoulement). Le Comité des droits de l’homme a cependant admis début 2020 que le principe de non-refoulement devrait s’appliquer aux individus fuyant leur pays en raison du réchauffement climatique si leurs droits fondamentaux sont menacés.

a Selon l’Internal Displacement Monitoring Centre (IDMC, 2021), 95% des nouveaux déplacés pour cause de conflit dans le monde, en 2020, vivaient aussi dans des pays ayant une forte vulnérabilité au changement climatique mesurée par l’indice ND-GAIN.
b Banque mondiale (2018), Groundswell : preparing for internal climate migration.

La hausse du nombre de migrants et de déplacés climatiques, internes ou au sein de l’Afrique, constitue une menace pour la stabilité de la région et le bien-être des populations. McGuirk et Nunn (2020) montrent comment le réchauffement climatique déstabilise la traditionnelle coopération entre éleveurs transhumants et agriculteurs en Afrique, conduisant à des conflits internes très violents (en témoignent les cas du Nigéria10 et du Soudan, et plus généralement de la zone sahélienne). Par ailleurs, le réchauffement climatique peut encourager la désertion des zones rurales au profit de villes africaines déjà surpeuplées et parfois menacées par la montée du niveau de la mer et les inondations de plus en plus fréquentes (comme à Lagos au Nigéria11).

Les effets du changement climatique sur les migrations en Afrique restent toutefois difficiles à anticiper tant ils dépendent des phénomènes climatiques à l’œuvre et des populations affectées. Coniglio et Pesce (2015) établissent notamment que l’effet des variations de la pluviométrie sur l’émigration est plus important dans le cas des inondations que des sécheresses. En outre, l’effet semble dépendre de l’intensité du choc climatique, avec des conséquences parfois plus importantes en cas de chocs de faible ampleur (Gray et Mueller, 2012b). Enfin, selon la revue de littérature de Kaczan et Orgill Meyer (2020), les phénomènes climatiques de long terme (hausse des températures, désertification, montée du niveau de la mer, etc.) produiraient des effets plus importants sur les flux migratoires que les aléas ponctuels (sécheresses, inondations, etc.). Des différences apparaissent aussi selon le genre des individus (Gray et Mueller, 2012a) et leur niveau de qualification (Drabo et Mbaye, 2015).

Face à la complexité de ces dynamiques et aux risques de déstabilisation, une hausse des financements extérieurs apparaît nécessaire. Les financements climatiques à destination des PED progressent, mais demeurent inférieurs à l’engagement pris par plusieurs pays développés de mobiliser 100 milliards de dollars par an pour le climat. Par ailleurs, les montants de l’aide au développement (0,3 % du revenu national brut – RNB des pays du Comité d’aide au développement) demeurent inférieurs à l’objectif de 0,7 % confirmé lors de la conférence d’Addis-Abeba en 2015, et seulement 5,5 % de cette aide au développement est destinée au secteur de l’agriculture (données OCDE pour l’année 2019).

Conclusion

Étant donné le taux de pauvreté élevé en ASS et la grande dépendance de la population à un secteur agricole particulièrement vulnérable au réchauffement climatique, ce phénomène risque d’intensifier les déplacements de populations, avant tout au sein des pays et entre les pays du continent. La complexité du réchauffement climatique, la quasi-absence de données sur les migrations climatiques et les multiples effets indirects rendent l’analyse de la relation climat-migrations particulièrement ardue. En outre, si le changement climatique peut avoir un effet incitateur sur les migrations, à certaines conditions, il a la particularité de donner lieu à des flux migratoires très variés : internes, régionaux, internationaux, « volontaires » individuels (stratégie de diversification des risques répondant à un processus climatique de long terme ou à la répétition d’aléas) ou encore « forcés » de masse (stratégie de survie en cas de choc climatique imprévisible de grande ampleur).

En raison de cette complexité, il est important que les travaux de recherche analysant la problématique climat-migrations, et les politiques publiques qui essaient d’y apporter des réponses, tiennent compte de la diversité des flux migratoires concernés. Il semble également nécessaire que les financements extérieurs à destination de l’Afrique augmentent, dans le cadre des engagements déjà pris, et que ceux-ci soient partiellement réorientés vers les efforts d’adaptation et, dans une moindre mesure, d’atténuation du changement climatique.

1 Cf. notamment Kniveton et al. (2012).
2 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
3 Giec, 2014.
4 Les travaux du Giec (2014) considèrent la période 1850-1900, dite période préindustrielle, comme période de référence. Les données utilisées ne nous permettent de remonter que jusqu’à 1900.
5 Le scénario d’émissions de gaz à effet de serre RCP8.5 est le plus pessimiste. Il se fonde sur une concentration croissante de dioxyde de carbone dans l’atmosphère à horizon 2100.
6 Seuls le Soudan, la Tanzanie, la Tunisie, et la Zambie ont vu leurs précipitations modérément progresser par rapport au début du XXe siècle, selon les données de l’université du Delaware. Voir de Bandt, Jacolin et Lemaire (2021).
7 Une diminution de cet indice indique des conditions climatiques plus sèches.
8 Sont retenus ici les inondations, sécheresses, températures extrêmes, invasions d’insectes, glissements de terrain et autres mouvements de masse, tempêtes et incendies.
9 Feindouno et al., 2020.
10 Selon Amnesty International (2018), les violences entre agriculteurs et éleveurs (qui appartiennent à des groupes ethniques différents) pour les ressources auraient causé plus de 3600 décès entre janvier 2016 et octobre 2018.
11 Lucas (2021).

Consulter les autres articles