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Situation sanitaire et conséquences socio‑économiques de la crise en Afrique

Mise en ligne le 27 Octobre 2021
Auteurs : Melchior Clerc, Luc Jacolin, Thibault Lemaire, Nathan Viltard

À première vue, l’Afrique apparaît moins touchée par la pandémie de Covid‑19 que les pays émergents ou avancés du fait d’une moindre prévalence épidémique. Ce constat, largement partagé, doit être significativement nuancé, du fait de vagues épidémiques début 2021, de la persistance de risques sanitaires élevés compte tenu de la faiblesse des systèmes de santé, de fortes incertitudes pesant sur les statistiques de santé et de la lenteur de la vaccination.

En dépit de cette faible prévalence, les conséquences économiques de la pandémie en Afrique sont importantes et proviennent essentiellement d’effets externes. La forte baisse des prix des matières premières en 2020, en particulier du pétrole, a touché les pays africains exportateurs nets, tandis que les mesures de distanciation physique ont tari les flux touristiques. Dans le même temps, les investissements directs et de portefeuille de l’étranger ont fortement reculé, sans que les transferts de migrants ou l’aide publique au développement (APD) prennent le relais. Les déséquilibres budgétaires et extérieurs sont très inquiétants dans des pays ne disposant que de faibles marges de manœuvre budgétaires et, pour beaucoup, en situation de risque élevé de surendettement.

Le faible développement économique et humain en Afrique amplifie les conséquences de la crise. Toutes choses égales par ailleurs, les retards de croissance, ou le recul de la richesse par habitant se traduisent par une montée de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire, ou des pertes d’accès aux services sanitaires et éducatifs. Ainsi, les progrès réalisés dans l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD) risquent d’être remis en cause. Si les choix de stratégies de sortie de crise et de financement du développement relèvent avant tout des responsabilités de chaque pays, la question de la solidarité internationale se pose pleinement face à la crise et aussi à moyen terme.

1. Une diffusion plus faible et en décalage de la pandémie, associée à d’importants risques sanitaires en 2021

Les risques sanitaires engendrés par la pandémie apparaissent particulièrement élevés en Afrique

L’Afrique a fait face à de nouvelles vagues épidémiques en 2021, en début d’année sous l’effet de la diffusion du variant Bêta (surnommé « sud-africain ») et surtout, depuis juin 2021, du variant Delta (cf. graphique infra). La prévalence est ainsi passée de 7 nouveaux cas hebdomadaires par million d’habitants en Afrique, début mars 2021, à 24 fin juin, contre environ 67 en Europe, 37 aux États‑Unis et plus de 310 en Amérique du Sud (OMS, sources nationales). À fin juin 2021, la prévalence de la pandémie en CEMAC et en UEMOA demeurait proche en moyenne de l’ensemble du continent, avec toutefois de fortes différences selon les pays (entre 0,06 et 5 nouveaux cas hebdomadaires par million d’habitants en CEMAC et entre 0,25 et 3,12 en UEMOA).

Si le différentiel entre l’Afrique et le reste du monde s’est ainsi quelque peu réduit, la diffusion du virus y demeure néanmoins plus faible. Ce différentiel relève de facteurs économiques, démographiques et climatiques, ainsi que d’une moindre urbanisation. Il résulterait également du faible nombre de tests menés (moins de 80 pour mille habitants en Afrique, contre environ 600 en Europe à fin mars – OMS, sources nationales) et du faible accès aux services sanitaires.

La vaccination monte en puissance en Afrique depuis mai 2021. Elle reste toutefois trop faible pour espérer une couverture vaccinale suffisante à court terme : 2,6% de la population africaine a reçu au moins une dose à fin juin, contre 41,4% en Europe. À l’exception de la Guinée équatoriale (10,7%), la couverture vaccinale de l’ensemble des États de la CEMAC demeurait infé‑ rieure à celle du continent africain à fin juin (de 0,09% à 2,1%). Si les taux de vaccination sont supérieurs à la moyenne du continent au Togo (3,5%), Sénégal (3,1%) et Côte d’Ivoire (2,8%), ils demeurent inférieurs à 1% dans les autres pays membres de l’UEMOA.

Image Évolution hebdomadaire de la pandémie en Afrique  et en Afrique subsaharienne
Évolution hebdomadaire de la pandémie en Afrique et en Afrique subsaharienne
Sources : OMS, Our World in Data (à partir de sources officielles).
Image Fardeau épidémique en Afrique subsaharienne
Fardeau épidémique en Afrique subsaharienne
Note : Concernant Ebola, échantillon réduit aux pays touchés (Guinée, Sierra Leone, Libéria et République démocratique du Congo).
Sources : OMS, Our World in Data (à partir de sources officielles). Projections sur fond tramé.

Le décalage apparent de la diffusion épidémique va de pair avec d’importants risques sanitaires persistants. Le contrôle des épidémies déjà présentes mobilise une part importante des ressources médicales et financières disponibles, sans possibilité de reporter de quelques mois les traitements nécessaires. La crise pourrait déboucher sur une hausse de la mortalité liée à plusieurs épidémies concomitantes (cf. graphique infra), de 10 % dans le cas du VIH (sida) d’ici à 2025, de 20 % et 36 % pour la tuberculose et la malaria (Hogan et al., 2020). Par ailleurs, la République démocratique du Congo et la Guinée ont affronté de nouvelles flambées du virus Ebola début 2021, illustrant les risques de résurgence épidémique de Covid‑19 en l’absence d’une vaccination suffisante pour atteindre l’immunité collective. Enfin, le réchauffement climatique pourrait accroître à moyen terme la pression des épidémies tropicales (Patz et al., 2003).

L’adhésion des populations aux directives de santé publique est une condition importante du succès des campagnes de vaccination. Selon une enquête du Centre africain pour le contrôle et la prévention des maladies (CACM), seules un quart des personnes interrogées considèrent les vaccins comme sans danger, contre 70 % en moyenne dans le monde. Plusieurs scandales (traitements Trovan en 1995 et Tenofovir en 2005) liés à des campagnes de tests menées en Afrique, ainsi que certaines positions gouvernementales anti‑vaccin alimentent les craintes. La forte contagiosité du virus suscite une inquiétude nouvelle lorsqu’il s’agit de se rendre dans les hôpitaux, avec des effets indirects sur la santé de populations généralement moins touchées par la Covid‑19, comme les enfants et les femmes en âge de procréer (Roberton et al., 2020). Ces effets reflètent en partie les carences de l’APD dans le secteur de la santé, qui se concentre principalement sur la lutte contre les maladies infectieuses et peu sur la résilience face aux crises (Debels‑Lamblin et Le Goff, 2020).

Les leçons de la gestion du VIH et du virus Ebola tendent à montrer qu’une réponse centrée sur les droits humains (accès égal aux soins, information partagée) et portée par les communautés (mise à contribution des autorités religieuses et locales) facilite l’adhésion populaire (Vega, 2016). Une communication ciblée de la part des autorités est également importante pour répondre à l’hétérogénéité des perceptions des populations, entre régions, groupes socio‑économiques et niveaux d’éducation notamment (Mathonnat et al.).

Les campagnes de vaccination, récemment lancées doivent être accélérées pour réduire les incertitudes

Des campagnes de vaccination ont été entamées, pour des volumes encore faibles du fait d’un accès limité aux différents vaccins, à l’exception notable du Maroc. À fin mai 2021, l’ensemble des pays en développement (PED) a commandé 460 millions de doses, soit presque autant que les seules commandes américaines (480 millions de doses) et nettement moins que celles des économies émergentes ou développées (cf. graphique).

Ces stratégies de vaccination nationales sont appuyées par d’importants engagements internationaux, qui demeurent toutefois sous‑financés. Au cœur de ces engagements, le programme Covax1, piloté notamment par Gavi, l’Alliance du Vaccin, est en cours de mise en œuvre. Sur les 237 millions de doses annoncées par le programme au premier round de vaccination début 2021 aux 142 pays bénéficiaires, dont 92 en développement et 40 africains, moins de 10 millions ont été livrées à fin mars. Le mécanisme Covax comporte deux composantes : l’une (Advanced Market CommitmentAMC Covax) finance par dons les achats de vaccins des pays en développement (c’est‑à‑dire 92 pays éligibles à l’aide de l’Association internationale de développement [IDA], au PIB par tête inférieur à 4 000 dollars US) ; l’autre centralise les commandes des autres pays adhérents (98 pays).

Image Commandes cumulées de doses de vaccins
Commandes cumulées de doses de vaccins
Notes : Commandes fermes prises en compte, commandes optionnelles non incluses.
Covax, ou COVID‑19 Vaccines Global Access, compte 190 pays participants.
Source : Duke Global Health Innovation Center.

Les engagements de dons à l’AMC Covax s’élèvent à 9,6 milliards de dollars début mars 2020, et émanent majoritairement de fonds publics. Les contributions de l’Union européenne (2,8 milliards), ainsi que des autres États membres du G7 (dont les États‑Unis, 3,5 milliards) représentent 91 % du financement du programme (cf. graphique infra). La Fondation Gates (membre fondateur de Gavi en 1999) a promis une subvention de 206 millions. Néanmoins, ces fonds ne seront débloqués que graduellement entre 2021 et 2025, alors qu’AMC Covax a besoin de 5 milliards sur la seule année 2021 pour respecter ses objectifs annuels.

Image Engagements de dons à l’AMC Covax sur 2021‑2025
Engagements de dons à l’AMC Covax sur 2021‑2025
Note : AMC Covax (Covid‑19 Vaccines Advance Market Commitment), garantie de marché
pour les vaccins contre la Covid‑19.
Source : Gavi.

Les déboursements à l’AMC Covax ont atteint 3,4 milliards de dollars à mars 2021 (cf. graphique infra), notamment grâce à la Facilité de financement internationale pour la vaccination (International Finance Facility for Immunisation – IFFIm), organisation émettant des « obligations vaccinales » depuis 2006 (3 milliards levés pour la Gavi). De nouvelles obligations ont été émises le 29 octobre 2020, à 0,375 % sur trois ans, pour un montant de 500 millions de dollars, dont 400 à destination du programme Covax. Ce mécanisme financier vise à convertir des engagements de dons de long terme en liquidités mobilisables immédiatement, en proposant aux investisseurs des obligations courant jusqu’au terme des engagements des donateurs.

En parallèle, dans les 92 pays éligibles à l’AMC, un programme encore inédit offre une indemnisation aux personnes qui ont subi un préjudice lié au vaccin, sans avoir à recourir aux tribunaux, grâce à une faible somme prélevée sur chaque dose subventionnée par le système de garantie de marché Covax de Gavi. Un tel mécanisme n’existe pas dans les pays extérieurs à l’AMC, les laboratoires demandant par exemple aux pays de l’Union européenne de prendre en charge les éventuelles victimes d’effets indésirables.

Image Déboursements à l’AMC Covax
Déboursements à l’AMC Covax
Notes : AMC Covax (Covid‑19 Vaccines Advance Market Commitment), garantie de marché pour les vaccins contre la Covid‑19.
IFFIm, International Finance Facility for Immunisation, ou Facilité de financement internationale pour la vaccination.
Source : Gavi.

D’autres programmes de financement multilatéraux soutiennent l’accès à la vaccination :

  • L’Union africaine, par l’initiative Avatt (African Vaccine Acquisition Task Team), a passé commande de 670 millions de doses pour 2021, dont 50 en avril‑juin (selon Africa CDC). L’objectif affiché est de vacciner 60% de la population (1,5 milliard de doses nécessaires, d’un coût estimé entre 7 et 10 milliards de dollars). Les doses commandées par l’Avatt, subventionnées par l’Afreximbank, sont disponibles à bas prix (de 3 à 10 dollars par dose selon les vaccins, niveau équivalent aux achats par Covax);
     
  • La Banque mondiale finance également la vaccination de certains pays à faible revenu (PFR) dans le cadre de son large programme de riposte initiale à la pandémie de Covid‑19. Son volet sanitaire (évalué à 12 milliards de dollars) peut financer à la fois des achats liés aux campagnes de vaccination et des investissements visant à renforcer les systèmes sani‑ taires sur plusieurs années (équipements, formation, assistance technique);
     
  • Les demandes de suspension des brevets de propriété intellectuelle peuvent aussi faciliter l’accès aux vaccins.

Face à l’accélération de l’épidémie, et dans un contexte de course internationale à la vaccination, certains pays africains s’approvisionnent en recourant à des accords bilatéraux. À début mars 2021, de nombreux dons ou ventes de doses à tarif préférentiel (entre le prix de marché et les tarifs proposés par Covax) émanant de la Chine (Sinovac, Sinopharm – 3,15 millions de doses destinées à 53 pays, dont 19 africains), de la Russie (Spoutnik‑V – 100000 doses fournies à trois pays africains) et de l’Inde (Astra Zeneca – 500 000 doses réparties sur huit pays du continent) ont parfois constitué les premiers arrivages dans les pays en développement (PED). En dépit de leur volume limité, ils ont produit un effet médiatique assez fort, mais momentané par rapport au programme Covax (cf. Bondaz, 2020).

Le principal objectif : renforcer durablement les systèmes sanitaires et les capacités locales de production de vaccins et autres produits pharmaceutiques

La crise sanitaire constitue ainsi un double défi pour le continent africain. À court terme, alors que les progrès des campagnes de vaccination dans les pays avancés se traduisent par un déconfinement et une reprise de l’activité économique, l’accélération des campagnes vaccinales semble plus que jamais nécessaire pour que le continent puisse profiter de la reprise attendue. Ainsi, face à une répartition internationale inégale des doses disponibles et au sous‑financement des programmes de vaccination nationaux comme internationaux, plusieurs leviers peuvent être mobilisés rapidement et en parallèle, avec notamment : une intensification des exportations de vaccins, un renforcement des financements disponibles, et le partage des brevets. Une action coordonnée de la communauté internationale, notamment à travers le FMI et la Banque mondiale, pourrait permettre une mise en place rapide de ces mesures.

À moyen et long terme, le principal objectif est de renforcer durablement les systèmes sanitaires et les capacités locales de production de vaccins et autres produits pharmaceutiques, dans la perspective de campagnes de vaccination annuelles ou de crises sanitaires et climatiques plus fréquentes (Fondation Mo Ibrahim, 2021). Ceci suppose pour les pays africains d’importants efforts de mobilisation des ressources internes et une amélioration de l’efficacité des investissements publics en faveur des Objectifs de développement durable. La pandémie pose plus généralement la question des priorités à définir dans l’atteinte des ODD à l’horizon 2030 et du rôle des partenaires internationaux du développement du continent.

2. Les conséquences socio‑économiques de la crise en Afrique, particulièrement graves dans les pays les plus vulnérables, compliquent à moyen terme l’atteinte des Objectifs de développement durable

L’impact macroéconomique de la crise sur les pays africains risque de perdurer

Indépendamment des risques sanitaires, les pays africains sont particulièrement vulnérables aux effets de contagion économique provenant des pays avancés. La récession mondiale de 2020 s’est avant tout transmise aux pays africains par une chute du tourisme et des exportations, en lien avec la forte baisse des prix des matières premières, notamment du pétrole. L’activité économique a ainsi fortement reculé de 1,5% en Afrique du Nord et de 1,7 % en Afrique subsaharienne en 2020, conjointement à un creusement des déséquilibres budgétaires et extérieurs.

Cette dégradation fait planer la menace d’un effet de ciseau avec les autres pays (great divergence), hypothèse développée notamment par le FMI (Gopinath, 2021). Si en 2020 l’activité économique a été relativement moins touchée dans les PFR que dans les pays avancés et émergents, le rebond attendu y est également moindre. Les conséquences de la crise pourraient y être plus marquées en raison d’une croissance démographique plus forte, de la pauvreté (contrainte de subsistance), et d’effets socio‑économiques à plus long terme (long‑term scarring).

Image Évolution moyenne du PIB par tête
Évolution moyenne du PIB par tête par région et en Afrique subsaharienne
Notes : ASS, Afrique subsaharienne ; CEMAC, Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale ; EMDE, Emerging Market and Developing Economies, ou marché émergent et économies en développement ; UEMOA, Union économique et monétaire ouest africaine.
Source : FMI, Perspectives économiques régionales, avril 2021.

Le retour d’un PIB par tête en ASS sur les niveaux d’avant‑crise pourrait être long. Selon le FMI (octobre 2021), le recul de 4,3 points de pourcentage du PIB par tête en ASS en 2020 (– 3,4 et – 4,9 points dans les pays émergents et avancés) serait suivi par une légère hausse en 2021 (+ 1,2 point, contre + 5,1 et + 5,0 points dans les pays émergents et avancés). Cet effet net annuel de – 1,6 % sur deux ans ferait régresser le PIB par tête à son niveau de 2013. Celui‑ci ne retrouverait son niveau d’avant‑crise qu’en 2023, contre 2021 pour les pays émergents et avancés, à la faveur d’une reprise de la croissance mondiale.

L’impact de la pandémie sur le PIB par tête diffère fortement entre les pays à revenu moyen et les PFR (parmi lesquels les pays fragiles). À fin 2021, l’Afrique du Sud et le Nigéria, particulièrement touchés par la Covid‑19 et ayant mis en place des mesures de confinement strict, reviendraient respectivement à leur niveau de 2005 et 2010, selon les projections du FMI. Parmi les PFR, les pays fragiles ont été plus fortement affectés du fait de leur capacité fiscale limitée et des enjeux sécuritaires et politiques qui réduisent la confiance des ménages et des investisseurs (FMI, 2021).

En outre, les effets de la crise sont particulièrement forts dans les pays pétroliers (membres de la CEMAC – hors Centrafrique –, Nigéria), accentuant les effets déjà perceptibles du contre‑choc pétrolier de 2015‑2017. Comme le précise le FMI, ils seraient moins marqués dans les pays diversifiés (Kenya, Ghana) ou importateurs nets de pétrole (UEMOA). Dans tous les pays, l’accélération des pressions inflationnistes, liées principalement aux perturbations des circuits d’approvisionnement, augmenterait les pertes attendues de pouvoir d’achat, notamment pour les populations les plus vulnérables.

La crise peut entraver durablement la lutte contre la pauvreté

En l’absence de filets de sécurité sociale, la baisse du revenu par tête toucherait en particulier les populations les plus vulnérables, creusant ainsi les inégalités. Après trois décennies de baisse constante, l’Unicef (2020) prévoit une augmentation de 4 points de pourcentage du taux de pauvreté extrême en ASS, marquant une régression d’une dizaine d’années. En parallèle, le Pnud (2020) annonce une baisse générale de l’indice de développement humain en ASS, vers son niveau de 2014, principalement due à une diminution du PIB par habitant et aux fermetures d’écoles. La crise contribue ainsi à un creusement des pièges à pauvreté (Bonds et al., 2009).

Image Évolution de l’indice de développement humain (IDH)  et de la pauvreté extrême en Afrique subsaharienne
Évolution de l’indice de développement humain (IDH) et de la pauvreté extrême en Afrique subsaharienne
Sources : Nations unies (UNDP, Unicef), Banque mondiale (base PovcalNet pour les données de pauvreté avant 2018).
Image Perte d’heures travaillées et de revenu liée à la crise  de la Covid‑19 en 2020
Perte d’heures travaillées et de revenu liée à la crise de la Covid‑19 en 2020
Note : Les pertes de revenu liées au travail sont calculées avant d’éventuels mécanismes de redistribution.
Source : OIT.

La divergence de trajectoire des pays africains s’explique notamment par une forte baisse du nombre d’heures travaillées et du revenu lié au travail, affectant majoritairement les femmes et les jeunes dans le secteur informel. L’Organisation internationale du travail (OIT, 2021) prévoit une perte de 7,6% d’heures travaillées en Afrique en 2020 (contre 8,3% dans les pays à hauts revenus). Cette baisse résulte principalement d’une réduction des heures travaillées dans les pays à haut revenu, mais se traduit par davantage de pertes d’emplois en Afrique (notamment chez les jeunes qui se retrouvent inactifs). Par suite, les pertes de revenus liés au travail sont plus accentuées en Afrique que dans les pays à haut revenu.

L’apparition de crises alimentaires amplifierait les effets de ces pertes de revenu, surtout dans les PFR. La FAO (2021) prévoit une progression sensible des difficultés liées aux famines et à la sous‑alimentation (food problem) due aux impacts de la pandémie sur :

  1. le choc de revenu pour les populations ;
  2. La rupture des chaînes d’approvisionnement ;
  3. l’acheminement de l’aide humanitaire ;
  4. les difficultés de productions liées aux chocs climatiques et au manque de travailleurs ;
  5. l’apparition de tensions sociales.

En 2020, le nombre de personnes en situation de sous‑alimentation en Afrique augmenterait de 46 millions (soit une hausse de 3 points à l’échelle de la population, et particulièrement en ASS). Cette sous‑alimentation se traduit par une hausse de la mortalité infantile (66 000 décès supplémentaires en 2020 – Headey et al., 2020). La sous‑alimentation pourrait engendrer des effets à long terme sur la santé, le développement cognitif et la future rémunération des enfants (Galasso et al., 2017).

Les fermetures d’écoles ont eu des conséquences plus significatives et durables que dans les pays avancés

L’impact de la crise de la Covid‑19 est particulièrement sévère en matière d’accès à l’éducation. Bien que présentant des taux de contamination par la Covid‑19 plus faibles que dans le reste du monde, les PFR et pays de l’ASS ont fermé leurs écoles plus de deux fois plus longtemps que les pays avancés (cf. graphique infra). L’impact de ces fermetures est multiple et durable : perte de connaissances, décrochage scolaire accru, notamment pour les élèves des milieux les plus pauvres et vulnérables. L’interruption de scolarité s’explique notamment par :

  1. le manque de suivi durant et après la période de fermeture d’école;
  2. l’augmentation du travail infantile lié à la crise économique (OIT et Unicef, 2020) ;
  3. l’augmentation des grossesses précoces et des mariages infantiles, qui empêchera jusqu’à un million de filles en ASS de retourner à l’école après la pandémie, selon les estimations de World Vision International (Baker et al., 2020).

Un accès plus restreint aux solutions d’apprentissage à distance des pays de l’ASS nourrit le risque d’une accentuation de la divergence avec les pays avancés. Les inégalités d’accès aux médias traditionnels utilisés dans certains pays pour dispenser des cours, et surtout à Internet, limitent la prévention du décrochage scolaire, de la perte d’apprentissage, ainsi que la capacité des enseignants à proposer un suivi personnalisé à leurs élèves (Unicef, 2020). À l’image de l’ensemble des pays africains, la plupart des États membres de l’UEMOA (comme le programme ivoirien « Mon école à la maison ») et de la CEMAC ont ainsi proposé des solutions alterna‑ tives liant apprentissage en ligne et diffusion par la radio et la télévision de contenus éducatifs.

Image Fermetures d’écoles et accès aux solutions  d’apprentissage à distance
Fermetures d’écoles et accès aux solutions d’apprentissage à distance
Note : Un élève est à portée de solutions d’apprentissage à distance s’il a matériellement accès à au moins l’une d’entre elles : télévision, radio ou Internet.
Moyennes pondérées par la taille des populations d’élèves des pays concernés.
Sources : Unesco Unicef World Bank (Survey on National Education Responses to COVID 19 School Closures, 2021), Unicef (2020).

La crise met en lumière la nécessité de renforcer la résilience des pays pauvres, notamment par un engagement plus fort de la communauté internationale

La crise actuelle souligne les insuffisances du filet de sécurité financière des pays à faible revenu. D’après le FMI, les besoins de financement à moyen terme des PFR sont particulièrement élevés pour non seulement mettre en œuvre des stratégies de sortie de crise et reconstituer des coussins financiers (200 milliards de dollars), mais aussi mener les investissements nécessaires à l’atteinte des ODD à l’horizon 2030 (250 milliards). Ces besoins de financement apparaissent d’autant plus élevés que le changement climatique risque également d’exercer une pression croissante sur le développement de ces pays, déjà confrontés à l’aggravation de la pression épidémique des maladies infectieuses (Giec, 2018 ; Patz et al. [OMS], 2003).

A contrario, en amplifiant le mouvement de numérisation, la crise peut favoriser des effets de rattrapage technologique (leapfrogging effects) dans les pays en développement (BAfD, 2021). L’inclusion financière numérique ouvre la voie par exemple à des gains importants de productivité dans les entreprises (Cariolle et al., 2018) et de formalisation économique (Jacolin et al., 2020). Elle pourrait par ailleurs améliorer la résilience des pays africains face aux crises, notamment par la mise en place de mécanismes de protection sociale mieux ciblés ou de solutions d’apprentissage en ligne plus personnalisées, pourvu que les inégalités d’accès (digital divide) soient combattues. La numérisation pourrait également améliorer le ciblage des mécanismes de sécurité sociale en fournissant des données plus précises sur le niveau de vie des populations et en facilitant le transfert d’aides financières par virement bancaire.

En Afrique, les politiques publiques devraient pouvoir jouer un rôle central pour accroître la résilience de leur pays, notamment par la mobilisation des ressources internes, l’accroissement des investissements productifs et l’adaptation au changement climatique. Mais, du fait de leur vulnérabilité et de la faiblesse de leurs moyens financiers, ces pays peinent à mettre en place des plans de relance significatifs. La crise s’est en effet traduite sur le continent par un creusement des déficits publics, de 3,1 % en 2019 à 5,8 % en 2020 en moyenne (non pondérée par le poids économique des pays, et hors Libye). Les plans de relance ont ainsi été limités à 2‑3 % du PIB, contre 6‑8 % dans les pays émergents, d’après le FMI. Pourtant, l’accélération de l’endettement qui en résulte est manifeste dans les pays africains à faible revenu, avec 43 % des pays d’ASS en risque élevé de surendettement ou en crise de la dette (cf. carte infra).

Pour apporter des réponses amples et rapides à de telles crises, le rôle des institutions multilatérales demeure essentiel. Ainsi, grâce notamment à l’existence d’une facilité de crédit rapide (FCR) et au relèvement temporaire des plafonds d’accès, le FMI a pu répondre rapidement à la crise, touchant plus des deux tiers des pays éligibles à la facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC). En 2020, ses nouveaux engagements ont été multipliés par six, l’encours atteignant 12,5 milliards de DTS à fin décembre (cf. graphique infra). S’ajoutent notamment une Initiative du G20 de suspension du service de la dette (DSSI) aux créanciers publics bilatéraux jusqu’à fin 2021 et une forte augmentation des financements octroyés par les banques multilatérales de développement (Banque mondiale, Banque africaine de développement). Cet effort s’est pourtant avéré insuffisant pour répondre aux besoins de financement externes engendrés par la crise.

Image Variation des déficits budgétaires en Afrique  entre 2019 et 2020 et risques de surendettement
Variation des déficits budgétaires en Afrique entre 2019 et 2020 et risques de surendettement
Note : Seuls les pays à faible revenu (PFR) sont évalués.
Source : FMI, Perspectives de l’économie mondiale, avril 2021.

Le renforcement du filet de sécurité financière international pour les PFR apparaît nécessaire (Cabrillac et Jacolin, 2021). L’allocation de DTS de 650 milliards de dollars, dont 33 milliards pour l’Afrique, adoptée par le G20 en juillet 2021 ouvre des perspectives : une réallocation des pays riches pour alimenter les facilités concessionnelles du FMI en faveur des pays à faible revenu ne représenterait qu’une fraction minime de la nouvelle allocation aux pays du G7 (au plus 15 % compte tenu des contraintes de capacités d’absorption), mais comporterait des effets de levier importants, notamment pour l’Afrique.

Image Encours et flux cumulés des prêts au titre de la facilité  pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance  (FRPC) depuis 1999
Encours et flux cumulés des prêts au titre de la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC) depuis 1999
Source : FMI ( Financial Data Query, mai 2021).

1 COVID‑19 Vaccines Global Access : initiative mondiale qui vise à accélérer la production des vaccins contre la Covid‑19 et à assurer un accès équitable à la vaccination (190 pays participants).

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