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Politique monétaire et verdissement de l’économie : quels enjeux pour l’Afrique ?

Mise en ligne le 27 Octobre 2021
Auteurs : Émilie Debels-Lamblin, Vincent Fleuriet

Le changement climatique constitue le plus grand défi du XXIe siècle. Le continent africain est exposé à de nombreuses vulnérabilités climatiques, mais il demeure peu armé pour les affronter. Les besoins de financement sont tels que l’aide internationale actuellement envisagée est, et sera, insuffisante pour financer la transition vers une économie bas‑carbone et l’adaptation au changement climatique. La diversification des financements apparaît capitale et le secteur financier a un rôle important à jouer, que les banques centrales peuvent renforcer.

Si le rôle des banques centrales dans la lutte contre le changement climatique n’est pas explicite dans leur mandat, il est légitime et de plus en plus attendu, comme le montre le plan d’action 2021‑2025 de la Banque mondiale sur le changement climatique. Celui-ci influence les variables économiques telles que l’inflation, la productivité, l’investissement, l’écart de production, mais aussi le commerce international et l’emploi et donc les équilibres macroéconomiques et la stabilité financière (Network for Greening the Financial System – NGFS, 2020).

Dans la mesure où le changement climatique est source de risques économiques et financiers, le rôle et l’action des banques centrales se sont accrus ces dernières années, notamment dans les pays à faible revenu et en Afrique, grâce à la multiplication d’initiatives leur permettant de développer divers instruments en faveur de la transition économique vers une économie verte et bas‑carbone.

1. Le changement climatique, source de risques économiques et financiers pour l’Afrique

Des vulnérabilités climatiques en Afrique particulièrement importantes

Le Rapport sur l’état du climat en Afrique (Organisation météorologique mondiale – OMM, 2019) alerte sur l’impact du changement climatique sur la santé humaine, la sécurité alimentaire, l’approvisionnement en eau et le développement socio‑économique en Afrique. Le changement climatique1, par la hausse tendancielle des températures et la multiplication des événements climatiques et environnementaux extrêmes, accroît l’insécurité alimentaire du continent, les déplacements de populations et la pression sur les ressources en eau. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – Giec (2021) met en garde également contre les effets plus rapides qu’attendu du changement climatique, qui se feront ressentir bien avant 2050. Le niveau d’exposition aux événements climatiques extrêmes, ainsi qu’aux catastrophes naturelles, varie d’une région africaine à une autre. Le Sahel est particulièrement exposé à la désertification, aux sécheresses et aux inondations ; l’Afrique de l’Ouest à l’érosion des côtes, à la hausse des températures et à une baisse de la pluviométrie ; l’Afrique centrale à une hausse des températures menaçant les forêts ; et l’Afrique australe à la sécheresse et aux cyclones, tels Idai et Kenneth en 2019 et Éloïse, en 2021.

La carte infra illustre l’ampleur des vulnérabilités du continent face au changement climatique, ainsi que les différences assez marquées entre les pays. Les onze pays les plus à risque dans le monde se situent en Afrique, selon ND‑GAIN2 : le Niger, la Somalie et le Tchad étant les trois pays les plus vulnérables. Cette vulnérabilité, plus forte sur le continent africain, s’explique notamment par la faiblesse de la capacité agricole, la dépendance aux précipitations (notamment pour l’agriculture) et aux revenus tirés des exportations de matières premières, la démographie croissante ainsi que l’insuffisance des filets de sécurité sociale et des services publics.

Image Vulnérabilité au changement climatique (2019)
Vulnérabilité au changement climatique (2019)
Note : La vulnérabilité climatique mesure l’exposition, la sensibilité et la capacité d’un pays à s’adapter à l’impact négatif du changement climatique, elle va du vert au rouge, le rouge illustrant la plus grande vulnérabilité climatique et le vert, la vulnérabilité la moins forte.
Sources : Notre Dame Global Adaptation Initiative (ND GAIN), carte élaborée par les auteurs.

L’intensification des catastrophes naturelles, telles que les inondations ou les ouragans, due au changement climatique3, engendre une détérioration des moyens de subsistance et des biens physiques des populations. En septembre 2020, des inondations au Sahel ont entraîné la mort de centaines de personnes et détruit des milliers d’hectares de cultures. Ces événements climatiques s’accompagnent de défis pour l’agriculture, principal moyen de subsistance et source de près de 53 % des emplois en Afrique subsaharienne en 2019 (Organisation internationale du travail – OIT, 2019). D’autres études montrent que les prix alimentaires ont tendance à augmenter à la suite d’une catastrophe naturelle ou d’événements climatiques extrêmes dans les pays en développement (Parker 2018; Heinen et al., 2019). Ce fut notamment le cas aux Comores en 2019, à la suite du passage du cyclone Kenneth.

De plus, le changement climatique, avec la hausse des températures et la baisse des ressources en eau, a un impact négatif sur les rendements agricoles. Selon le rapport de l’OMM, le rendement moyen baisserait de 13% en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale d’ici 2050, d’après le scénario le plus pessimiste4 du Giec, ce qui affecterait les prix et les niveaux de vie des populations. Ainsi, le changement climatique impacte directement l’activité économique et accroît la pauvreté. Selon le Centre africain pour la politique en matière de climat, une augmentation de la température entre 1 et 4 °C engendrerait une diminution du PIB du continent de 2,2 % à 12,1 % et une baisse du PIB par habitant de 15 % en Afrique de l’Ouest et de l’Est d’ici 2050, selon la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (Uneca)5. Similairement, le Fonds monétaire international (FMI) a estimé qu’une hausse des températures de 1 °C dans les pays à faible revenu diminue le PIB de 1,2 % la même année (FMI, 2017 ; voir aussi de Bandt et al., 2021 pour des résultats proches6 ).

Le changement climatique, un risque économique et financier, notamment en Afrique

Le Rapport Green Swan (2020), publié par la Banque des règlements internationaux (BRI) avec la Banque de France, a mis en exergue la menace que représente le changement climatique pour la stabilité des prix et la stabilité financière. Selon ce rapport, cette menace est liée tant aux risques physiques (pertes économiques et financières d’actifs) que de transition (pertes économiques et financières liées à une transition rapide vers une économie bas‑carbone)7. Les effets de tels risques se matérialisent à travers plusieurs canaux : la détérioration des portefeuilles de crédit, une hausse du risque perçu par les marchés, une baisse de la liquidité bancaire, mais aussi une augmentation des sinistres pour les assureurs et réassureurs, même si les expositions de ces derniers sont plutôt concentrées dans les pays développés8. En revanche, la hausse de la fréquence et du montant des sinistres peut conduire à une remontée des tarifs d’assurance, pesant sur la demande d’assurance, réduisant la couverture des pays en développement et renforçant les phénomènes de trappe à développement. En conséquence, les événements climatiques peuvent impacter le niveau des prix par le biais des chocs d’offre (destruction des cultures, entraînant des pressions inflationnistes) ou de demande (baisse du niveau de vie des ménages, avec des effets déflationnistes). À plus long terme, le changement climatique, en raison de ses effets sur la productivité et la croissance, peut influencer le niveau du taux d’intérêt réel (Brainard, 2019). Plus encore, selon ce même rapport de la BRI, comme les impacts des événements climatiques sur la stabilité des prix sont complexes à établir (les effets de demande ou d’offre pouvant être contraires), le changement climatique constitue une source d’instabilité financière. De même, le FMI met en garde contre les effets de l’intensification de ces risques sur la volatilité des prix (FMI, 2021). Au‑delà du risque économique, le changement climatique peut également représenter une menace directe pour les finances publiques de certains États. De nombreux pays exportateurs de pétrole notamment en Afrique (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale – CEMAC, Nigéria, Angola ou Algérie) sont très dépendants des revenus pétroliers. En CEMAC, les recettes pétrolières représentent 46,6 % des recettes publiques en moyenne entre 2016 et 2020. Ces pays sont exposés à des risques de transition, caractérisés par une perte de valeur de leurs actifs, en particulier pétroliers (stranded assets), et/ou à une baisse de leurs revenus, en lien avec la mise en œuvre de réglementations limitant les financements carbonés et favorisant la transition vers une économie bas‑carbone, conformément aux objectifs de l’Accord de Paris. La transition vers une économie bas‑carbone, très coûteuse pour les pays dont les activités dépendent des exportations pétrolières, nécessitera des mesures publiques d’accompagnement (FMI, 2020 ; rapport de l’Institut Rousseau, 2021).

Au‑delà du risque économique, le changement climatique peut également représenter une menace directe pour les finances publiques de certains États. De nombreux pays exportateurs de pétrole notamment en Afrique (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale – CEMAC, Nigéria, Angola ou Algérie) sont très dépendants des revenus pétroliers. En CEMAC, les recettes pétrolières représentent 46,6% des recettes publiques en moyenne entre 2016 et 2020. Ces pays sont exposés à des risques de transition, caractérisés par une perte de valeur de leurs actifs, en particulier pétroliers (stranded assets), et/ou à une baisse de leurs revenus, en lien avec la mise en œuvre de réglementations limitant les financements carbonés et favorisant la transition vers une économie bas‑carbone, conformément aux objectifs de l’Accord de Paris. La transition vers une économie bas‑carbone, très coûteuse pour les pays dont les activités dépendent des exportations pétrolières, nécessitera des mesures publiques d’accompagnement (FMI, 2020 ; rapport de l’Institut Rousseau, 2021).

2. L’implication des banques centrales dans la prévention des risques économiques et financiers liés au changement climatique

Si les États jouent un rôle prépondérant dans la lutte contre le changement climatique, l’action des banques centrales apparaît complémentaire. Le fait que le changement climatique représente non seulement une source de risques économiques, mais aussi financiers (NGFS, 2019), en Afrique comme dans le reste du monde, justifie pleinement l’implication récente des banques centrales. Leur efficacité d’action en la matière repose notamment sur leur indépendance, l’importance du secteur financier qu’elles supervisent et sur les liens entre changement climatique et stabilité monétaire et financière. L’horizon temporel d’action des politiques prudentielles est plus favorable aux mesures de long terme, nécessaires dans la prévention des risques économiques et financiers liés au changement climatique.

L’activité croissante des banques centrales dans la lutte contre le changement climatique s’illustre notamment par la multiplication des publications analysant l’impact du changement climatique sur le secteur financier. La publication de rapports (Green Swan et ceux du FMI et du NGFS notamment) ou récemment le discours de Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), révèlent aussi l’engagement des institutions internationales et du système financier dans la lutte contre le changement climatique. Lors de son discours en janvier 2021, Christine Lagarde reconnaît l’importance d’intégrer les considérations climatiques aux opérations de la BCE et a annoncé la création d’un « centre climatique » qui a pour objectif de coordonner et renforcer les travaux sur l’évaluation des risques climatiques pesant sur l’économie et le secteur financier. La Banque de France a quant à elle créé, en mars 2021, son Centre sur le changement climatique.

À l’échelle mondiale, le NGFS (cf. encadré) a émis quatre recommandations à l’attention des banques centrales et des superviseurs pour adopter les meilleures pratiques (NGFS, 2019). Il s’agit de :

  1. intégrer les risques climatiques dans la surveillance de la stabilité financière et la supervision microprudentielle ;
  2. intégrer des facteurs liés au développement durable dans la gestion des portefeuilles pour compte propre des banques centrales ;
  3. combler les manques de données relatives au risque climatique ;
  4. sensibiliser et renforcer les capacités d’analyse, et encourager l’assistance technique et le partage des connaissances.

Enfin, les banques centrales ont également la possibilité de faciliter la bonne distribution du crédit en faveur d’une activité économique bas‑carbone grâce au développement d’instruments et d’initiatives spécifiques (cf. tableau infra, partie IV). De son côté, le Conseil de stabilité financière a mis en place dès 2015, en réponse à une demande du G20, une Task Force on Climate‑related Financial Disclosures, afin d’élaborer un ensemble de recommandations de transparence volontaire à l’usage des entreprises sur les risques financiers liés au climat auxquels elles sont confrontées. Il a entrepris également une revue des approches réglementaires et prudentielles pour faire face aux risques climatiques dans les institutions financières.

En Afrique, la Bank Al‑Maghrib (BAM) est l’une des banques centrales les plus engagées dans la lutte contre le changement climatique, en raison de la forte exposition du pays aux variations climatiques (augmentation des températures, sécheresses, inondations, érosion et hausse du niveau de la mer). Une feuille de route a été établie en 2016 pour aligner le secteur financier sur les exigences de développement durable. La BAM souhaite, en tant que régulateur, inciter les acteurs du secteur financier à s’approprier les risques liés au climat et stimuler leurs initiatives en matière de finance verte. Dans ce contexte, elle a adopté en mars 2021 une directive relative à la gestion des risques financiers liés au changement climatique et à l’environnement, qui précise que les établissements bancaires doivent mettre en œuvre graduellement un dispositif de gestion des risques financiers et environnementaux. La BAM souhaite engager des actions supplémentaires, telles que la mise en œuvre d’une supervision prudentielle incluant le changement climatique ou encore l’établissement d’une taxonomie pour le secteur bancaire marocain.

Réseaux climatiques de banques centrales et superviseurs

Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier (Network For Greening The Financial System – NGFS)

La Banque de France, avec sept autres banques centrales et superviseurs, a fondé le NGFS en 2017. Au 14 juin 2021, il réunissait 92 membres et 14 observateurs répartis sur les cinq continents, dont cinq banques centrales africaines (Bank Al-Maghrib – BAM, South African Reserve Bank, Banque centrale de Tunisie, Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest et Financial Regulatory Authority of Egypt).

Le NGFS est un forum reposant sur le volontariat et le consensus. Son objectif est de partager les meilleures pratiques, de contribuer au développement de la gestion des risques liés au climat et à l’environnement dans le secteur financier, et de mobiliser la finance classique afin de soutenir la transition vers une économie durable.

Sustainable Banking Network (SBN)

Observateur au NGFS, le SBN est un groupement de régulateurs bancaires ou financiers et d’associations bancaires créé en 2012. Il est constitué de 61 organismes publics et privés issus de pays en développement et émergents, dont 12 Africains (BAM, Autorité marocaine des marchés de capitaux, Banque centrale d’Égypte, Fédération égyptienne des banques, Banque centrale de Tunisie, Banque centrale du Nigéria, Association bancaire kényane, Banque centrale du Ghana, Association des banques ghanéennes, Association bancaire sud-africaine, Autorité prudentielle sud-africaine et South African Reserve Bank). Son objectif est de faciliter la mise en place de cadres réglementaires intégrant les critères durables afin d’encourager un système bancaire soutenable pour la société et l’environnement.

Inclusive Green Finance(IGF) / Alliance for Financial Inclusion (AFI)

Le réseau IGF est un groupe de travail de l’AFI. L’IGF permet aux institutions financières de soutenir les financements verts dans les pays en développement et participe ainsi à la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD).

3. Un accroissement du rôle des banques centrales dans le verdissement de l’économie, avec ou sans mandat explicite

Des défis tels que la crise financière de 2008‑2009, ou plus récemment le changement climatique, ont incité les banques centrales à agir, dans le cadre de leur mandat, pour intégrer des critères de stabilité financière ou soutenir une croissance durable. En analysant le mandat de 135 banques centrales, Dikau et Volz (2021) ont montré que seuls 12 % des banques centrales de l’échantillon ont un mandat incluant explicitement un objectif de soutien à une croissance durable ou au développement. Les auteurs relèvent que, pour 15 banques centrales (5 africaines, dont la BCEAO), les mandats prévoient un objectif explicite de soutien à une croissance économique « soutenable » ou au développement. Toutefois, plus de la moitié des banques centrales de l’échantillon (principalement dans les pays émergents ou en développement) ont un mandat leur permettant d’encourager directement ou indirectement la « soutenabilité », notamment en accompagnant l’action du gouvernement, sans toutefois interférer avec l’objectif principal de stabilité des prix. Le lien inflation‑changement climatique, explicité dans plusieurs études (Villeroy de Galhau, 2019 ; Parker, 2018 ; Heinen et al., 2019), permet également à certaines banques centrales d’agir en matière de lutte contre le changement climatique. De telles actions peuvent ainsi s’inscrire dans les objectifs de stabilité financière et monétaire des banques centrales.

Certaines banques centrales entreprennent des actions pour le climat, sans avoir d’objectif explicite (Dikau et Volz, 2021), notamment les banques centrales du Bangladesh, de la Colombie, du Liban, du Nigéria, du Pakistan, du Sri Lanka ou encore de la Tunisie. Celles‑ci ont publié des articles de recherche économique sur le climat et les risques financiers, introduit des mesures favorisant l’octroi de prêts soutenant les activités vertes, ou encore publié des recommandations pour le financement soutenable. Dans une étude de 2017, Dikau et al., citent notamment le Bangladesh9 (mandat implicite, mais largement interprété en faveur des actions vertes) comme particulièrement actif dans ce domaine depuis 2011. Le pays a en effet eu recours au refinancement « vert » depuis 2009 et a créé des lignes de refinancement préférentielles pour les crédits verts dès 2014. Depuis 2016, les banques commerciales de ce pays doivent allouer 5 % de leurs crédits aux crédits verts (Bangladesh Bank Annual Report, 2020‑2021). Ainsi, le mandat, aussi strict soit‑il, ne limite pas l’action des banques centrales; à l’inverse, un mandat souple ne constitue pas une garantie d’action.

Ainsi, le mandat, aussi strict soit‑il, ne limite pas l’action des banques centrales; à l’inverse, un mandat souple ne constitue pas une garantie d’action.

4. Panorama des instruments de politique monétaire « verts »

Des mesures pour favoriser la transition économique vers une économie durable et bas‑carbone

De nombreuses mesures mises en place par les banques centrales favorisent la transition vers une économie moins carbonée et plus durable. L’impact de la politique monétaire varie selon le régime monétaire, le système financier et les spécificités économiques des pays. Les mesures relatives à la stabilité financière (exigences de fonds propres, stress tests, ratios de levier différenciés par secteur, identification des institutions financières systémiques), à la politique monétaire (collatéral éligible aux opérations de refinancement, niveaux de réserves obligatoires différenciés, quotas d’encours de titres selon les secteurs d’activité) et aux choix d’investissement pour compte propre (obligations vertes, fonds verts) semblent les plus répandues (cf. tableau).

Principales mesures de politique monétaire ou prudentielle

Sources : Dikau et al., 2017 ; auteurs.
Types de mesures Exemples de mesures
Politique monétaire Lignes de refinancement ciblées (Bangladesh), réserves obligatoires différenciées (Chine et pays émergents principalement), quotas d’encours de titres minimaux pour certains secteurs (Japon ou Asie de l’Est dans les années 1980) ou maximaux (pays avancés), priorisation des crédits vers les secteurs clés (Inde), assistance des banques centrales aux banques de développement (Brésil), obligations vertes acceptées en collatéral (Union européenne, UE).
Analyse économique Prévisions et modèles d’évaluation des risques environnementaux (UE), recherche sur le risque environnemental et introduction du climat dans les modèles macroéconomiques utilisés par les banques centrales.
Portefeuilles d'investissement pour compte propre Programmes d’achats d’actifs pour compte propre : obligations vertes (green bonds); fonds verts; achat d’actifs soutenables.
Stabilité financière Instruments micro et macroprudentiels « verts » : stress tests (UE), capital buffers contracycliques, ratios de levier différenciés par secteur, identification des institutions financières systémiques, restrictions aux expositions importantes par secteur, contrepartie ou zone géographique.
Autres mesures Développement de « guidelines vertes » (UEMOA, Chine, Maroc, Kenya, etc.) pour le système financier ou l’émission d’obligations; développement des marchés des obligations vertes (monde entier et récemment en Afrique) ou travaux d’analyse et de recherche dans le cadre de la participation à des réseaux (NGFS, SBN, etc.).

Des mesures réglementaires en soutien au développement des marchés financiers verts viennent compléter les actions des banques centrales en matière de verdissement de l’économie. En Afrique, il faut notamment citer les guidelines de 2019 du Conseil régional de l’épargne publique des marchés financiers (CREPMF) en Union économique et monétaire ouest‑africaine (UEMOA) et le « Green Bonds Programme » au Kenya, qui visent à favoriser le développement de ces marchés.

Des mesures spécifiques aux pays à faible revenu et en développement en Afrique

Étant donné la faible profondeur financière des pays à faible revenu, voire en développement, les banques centrales de ces pays privilégient des mesures plus ciblées. Elles consistent notamment à faciliter l’accès aux crédits verts ou à mettre à disposition des lignes de crédit à faible taux d’intérêt destinées aux énergies renouvelables (Bangladesh). Au Brésil, la Banque centrale a mis en place un refinancement privilégié de la Banque nationale de développement économique et social (BNDES) qui soutient activement l’économie verte.

En Afrique, la plupart des banques centrales privilégient à ce stade deux canaux pour soutenir ce verdissement de l’économie : les obligations vertes et la participation à des réseaux climatiques de banques centrales et superviseurs. Comme déjà évoqué, certaines ont publié des « guidelines vertes » à destination de l’industrie et du secteur financier (UEMOA, Ghana, Kenya). D’autres ont rejoint des réseaux transversaux de banques centrales tels que le NGFS (Maroc, Afrique du Sud, UEMOA) ou le Sustainable Banking Network – SBN (Ghana, Nigéria, Kenya, Afrique du Sud, Maroc, Tunisie) qui soutiennent le développement d’un système financier responsable et moins carboné.

Depuis quelques années, les émissions d’obligations vertes (green bonds), soutenues par les banques centrales, ont connu un essor important en Afrique. Si, selon le Climate Bonds Initiative, elles sont encore très marginales par rapport au volume mondial (moins de 1% des obligations vertes émises dans le monde en 2020 sont africaines), la hausse de leurs émissions en Afrique est rapide : passant de 200 millions de dollars en 2018 à 1,2 milliard en 2020. Le volume cumulé des obligations vertes sur le continent africain atteint 4 milliards de dollars depuis 2014. L’Afrique du Sud est le premier émetteur africain avec 2,6 milliards de dollars d’émissions vertes sur la période. Le Maroc et l’Égypte sont également des émetteurs importants avec respectivement 800 et 400 millions de dollars. L’émission d’obligations vertes constitue désormais un instrument incontournable pour renforcer la mobilisation du capital en Afrique pour un développement « vert » et soutenable. Ainsi, le Bénin a émis en juillet 2021 une euro‑obligation de 500 millions d’euros pour financer des investissements dédiés à des ODD : une première en Afrique.

Mandat des principales banques centrales en Afrique

Sources : Dikau et Volz, 2021 ; auteurs.
Banques centrales Mandat explicite ou implicitea, « élargi » aux problématiques de développement durable
Afrique du Sud Section 224 of the Constitution (1996) of the South Africa states the mandate of the South African Reserve Bank: 1. « The primary objective of the Bank shall be to protect the value of the currency of the Republic in the interest of balanced and sustainable economic growth in the Republic. »
CEMAC Article 1er des statuts : « La Banque centrale émet la monnaie de I’Union monétaire et en garantit la stabilité. Sans préjudice de cet objectif, elle apporte son soutien aux politiques économiques générales élaborées dans I’Union monétaire. »
Congo Congo Loi n° 005/2002 du 7 mai 2002 relative à la constitution, à l’organisation et au fonctionnement de la Banque centrale du Congo, chapitre 3, article 3 « Sans préjudice de l’objectif principal de stabilité du niveau général des prix, la banque soutient la politique économique générale du Gouvernement ».
Gambie Central Bank of The Gambia Act, (2018), Part II, Article 5(d) « encourage and promote sustainable economic development and the efficient utilization of the resources of the Gambia through the effective and efficient operation of a financial system ».
Ghana Bank of Ghana Act (2002), Section 3 (1) « Without prejudice to the subsection (1) the Bank shall support the general economic policy of the Government and promote economic growth and effective and efficient operation of banking and credit systems in the country, independent of instructions from the government or any other authority ».
Kenya Central bank of Kenya Act (1966, incl. amendments to 2014), Part II, Article 4 (3) « Subject to subsections (1) and (2), the bank shall support the economic policy of the Government including its objectives for growth and employment ».
Libéria National bank of Liberia Act (1999), revised Part II, § 3, (2) « c. encourage and mobilization of domestic and foreign savings and their efficient allocation for productive economic activities; […] e. foster monetary, credit and financial conditions conducive to orderly, balanced and sustained economic growth and development ».
Madagascar Loi n° 2016-004 portant statuts de la Banque centrale de Madagascar, article 5 « Sans préjudice des objectifs précités et dans le cadre des attributions décrites ci-dessous, la Banque centrale soutient la politique économique générale du Gouvernement. »
Malawi Reserve Bank of Malawi Act (1989) Part III, (2) « In pursuing, or in performing any functions in the pursuit of, its principal objectives, the Bank shall act with due regard to the interest of the national economy and to the economic policies of the Government ».
Mauritanie Loi n° 2018-034 portant statuts de la Banque centrale de Mauritanie, titre II, chapitre premier, article 48 : […] « Sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, la Banque centrale poursuit la stabilité du système financier et contribue à la mise en œuvre des politiques économiques générales définies par le Gouvernement. »
Maroc Loi n° 40-17 portant statut de Bank Al-Maghrib (2019), chapitre II, section I, article 6, […] « La Banque définit et conduit en toute transparence, la politique monétaire dans le cadre de la politique économique et financière du Gouvernement. »
Namibie Bank of Namibia Act (2020), Chapter 2, Article 4. « The object of the Bank is to promote monetary stability and to contribute towards financial stability conducive to the sustainable economic development of Namibia ».
Tanzanie The Bank of Tanzania Act (2006), Act supplement, Part II, Article 7(1) « The primary objective of the Bank shall be to formulate, define and implement monetary policy directed to the economic objective of maintaining domestic price stability conducive to a balanced and sustainable growth of the national economy. (2) Without prejudice to subsection (1), the Bank shall ensure the integrity of the financial system and support the general economic policy of the Government and promote sound monetary, credit and banking conditions conducive to the development of the national economy. »
UEMOA Statuts de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (2010), section I, article 8 « […] Sans préjudice de cet objectif, la Banque centrale apporte son soutien aux politiques économiques de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), en vue d’une croissance saine et durable. »
Union des Comores Article 6 des statuts de la Banque centrale : « La Banque garantit la stabilité de la monnaie de I’Union des Comores. Sans préjudice de cet objectif, elle apporte son soutien à la politique économique de I’Union des Comores. »
Zimbabwe Zimbabwe’s Constitution of 2013, Part, 6, Article 317(b) « To protect the currency of Zimbabwe in the interest of balanced and sustainable economic growth ».

a Les textes surlignés font référence à des mandats explicites et ceux en gras noir à des mandats implicites.

1 L’article 1.2 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), définit les changements climatiques comme des « changements de climat qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables ».
2 ND-GAIN (Notre Dame Global Adaptation Initiative) est un programme de recherche rattaché à l’université de Notre-Dame (Indiana, États-Unis) dont l’objectif, grâce à la construction de l’indice, est d’aider à la prise de décisions publique et privée. L’indice est construit sur la base de 45 indicateurs de vulnérabilité et de préparation au changement climatique.
3 Human cost of disasters, an overview of the last 20 years, UNDRR – United Nations Office for disaster risk reduction, 2020.
4 Scénario RCP 8.5 (Representative Concentration Pathway) du Giec, impliquant une hausse moyenne des températures de 2 °C entre 2046 et 2065 et de 3,7 °C entre 2081 et 2100.
5 Nations unies, 2017, Effets des changements climatiques sur la croissance économique de l’Afrique.
6 Selon de Bandt et al., 2021, une augmentation prolongée de la température de 1 °C fait baisser la croissance annuelle du PIB réel par habitant de 0,74 à 1,52 point de pourcentage dans les pays en développement.
7 Cf. aussi Gollier (2019) pour les risques de transition liés à la hausse du coût des énergies.
8 Selon un rapport de l’UNDRR (2020), les pertes financières dues aux catastrophes naturelles s’élèvent à 2970 milliards de dollars entre 2000 et 2019, dont 1 % seulement concerne l’Afrique.
9 Le mandat de la Banque centrale du Bangladesh comprend la stabilité des prix, mais aussi la croissance économique et le développement. L’ancien gouverneur Atiur Rahman a élargi son interprétation au soutien à l’éradication de la pauvreté, à la création d’emplois et à la stabilité environnementale (A. Barkawi and P. Monnin, 2015).

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