Document de travail

Unions monétaires fragmentées

Mise en ligne le 23 Décembre 2024
Auteurs : Luca Fornaro , Christoph Grosse Steffen

Document de travail n°978. Nous proposons une théorie de la fragmentation financière dans les unions monétaires. Notre principale idée est que les unions monétaires peuvent connaître des ruptures endogènes engendrant de l’asymétrie, c'est-à-dire des épisodes au cours desquels des pays identiques réagissent différemment lorsqu'ils sont exposés au même choc. Lors de ces événements, une partie de l'union subit une fuite de capitaux, tandis que le reste sert de refuge et reçoit des entrées de capitaux. La banque centrale est alors confrontée à un arbitrage difficile entre la maîtrise du chômage dans les pays avec des fuites de capitaux et les pressions inflationnistes dans les pays refuges. En contrant les flux de capitaux privés par des flux publics, les programmes monétaires anti-fragmentation atténuent l'impact de la fragmentation financière sur l'emploi et l'inflation, aidant ainsi la banque centrale à remplir son mandat de stabilité des prix.

Figure 1. Financial fragmentation acts as shifter of the union-wide Phillips curve
Image WP978
Note: The diagram denotes labor on the x-axis and inflation on the y-axis. The PC_sym schedule refers to the union-wide Phillips curve when the equilibrium is symmetric, while the PC_frag schedule shows the union-wide Phillips curve under financial fragmentation. The central bank can no longer simultaneously achieve full employment and the inflation target in case of fragmentation. For illustration, a dovish central bank targets full employment in all countries of the monetary union, while a hawkish central bank achieves the inflation target, standardized to zero inflation, in the capital-receiving country. Optimal monetary policy will have to trade-off the two competing objectives along the PC_frag schedule..

La fragmentation financière est un sujet récurrent dans la zone euro depuis la crise de la dette européenne de 2010/12. Bien que le concept de fragmentation ne soit pas facile à cerner, les décideurs politiques le définissent comme des épisodes au cours desquels les conditions de financement et les flux de capitaux divergent entre les pays membres en raison d'une dynamique de marché auto-réalisatrice qui découple les résultats macroéconomiques des fondamentaux. En conséquence, la transmission de la politique monétaire est entravée, menaçant ainsi la stabilité des prix puisqu'une politique monétaire unique n'est pas adaptée pour gérer les asymétries qui en découlent parmi des pays membres de l’union.

Cet article propose une théorie de la fragmentation financière dans les unions monétaires qui combine le rôle des « esprits animaux » dans la détermination de la dynamique des flux de capitaux et des conditions de financement dans les unions monétaires avec des implications pour les prix, l'emploi et la conduite de la politique monétaire. Notre principale idée est que les unions monétaires peuvent connaître des ruptures de symétrie endogènes, c'est-à-dire des épisodes dans lesquels des pays identiques réagissent différemment lorsqu'ils sont exposés au même choc, uniquement en raison de forces intrinsèques. Nous constatons que la forme de l'équilibre au niveau de l'union est déterminée par les fondamentaux. Alors que de bons fondamentaux conduisent à des résultats symétriques, la situation change radicalement lorsque les fondamentaux sont mauvais.

Lorsque les fondamentaux sont mauvais, les « esprits animaux » conduisent à des épisodes de fragmentation dans lesquels certaines régions de l'union subissent une fuite des capitaux, entraînant une baisse de l'investissement et de l'emploi, tandis que d’autres régions servent de refuge et reçoivent des entrées de capitaux. La fragmentation financière agit donc comme un choc asymétrique de la demande. Il en résulte une combinaison de faible emploi et d'inflation supérieure à la cible d’inflation au niveau de l'union. En d'autres termes, l'union monétaire subit un choc de coûts. Étant donné que la banque centrale ne peut faire face à une inflation plus élevée qu'en faisant baisser la demande dans les deux pays qui réduit d’avantage l’emploi, les décideurs politiques sont confrontés à un arbitrage inflation-emploi plus défavorable que dans le cas d'une union symétrique (figure 1). Il s'agit d'une menace importante pour la stabilité des prix, car il est plus difficile pour la banque centrale de remplir son mandat.

Deux éléments importants sont à souligner dans le mécanisme de notre modèle. Premièrement, on suppose que l'intégration financière est imparfaite, de sorte que le retour sur investissement peut différer entre les pays de l'union. Deuxièmement, la politique budgétaire joue un rôle important, en particulier en l'absence d'union budgétaire. Lorsque l'on s'attend à ce qu'un pays entre dans une crise budgétaire, les agents commencent à anticiper que le gouvernement devra taxer les revenus du capital, ce qui déclenche des croyances selon lesquelles les rendements du capital divergent d'un pays à l'autre. Avec l'intégration financière, un mécanisme d'amplification se met en place par le biais de la fuite des capitaux qui érode l'assiette fiscale nationale, ce qui alimente encore davantage les croyances de rendements du capital plus faibles en raison de taux d'imposition plus élevés.

Nous utilisons ce cadre pour analyser les politiques anti-fragmentation sous la forme d'une allocation flexible du revenu monétaire entre les gouvernements nationaux. En contrebalançant les flux de capitaux privés par des flux publics, une banque centrale peut atténuer les effets de la fragmentation. Les flux publics augmentent les flux privés selon un effet de crowding in, ce qui accroît l'efficacité de l'outil. Deux cas sont présentés. Premièrement, avec un soutien budgétaire total et un engagement de la part des banques centrales à prévenir la fragmentation, la dynamique négative auto-réalisatrice disparaît complètement et l'union est stabilisée sur l'équilibre symétrique. Deuxièmement, en l'absence d'un soutien budgétaire total, les outils anti-fragmentation atténuent encore la hausse de l'inflation et du chômage causée par la fragmentation financière. Cependant, les transferts impliqués rendent la coopération internationale essentielle pour une mise en œuvre réussie. Dans l'ensemble, nous constatons que les outils monétaires conventionnels et anti-fragmentation se complètent pour maintenir la stabilité des prix au sein de l'union monétaire.


Mots-clés : unions monétaires, zone euro, fragmentation, politique monétaire optimale dans les économies ouvertes, flux de capitaux, crises budgétaires, politique anti-fragmentation, inflation, rupture endogène de symétrie, zones monétaires optimales

JEL classification: E31, E52, F32, F41, F42, F45
 

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Mise à jour le 23 Décembre 2024