Mesurer la transmission des prix des matières premières à l’inflation : un exercice complexe
Diverses études ont entrepris de mesurer la transmission des prix des matières premières alimentaires et énergétiques aux indices des prix à la consommation (Bekkers et al., 2017, et Gelos et Ustyugova, 2017, entre autres). Les résultats impliquent généralement une transmission (pass-through) de l’ordre de 5 % à 15 %. Cette dernière est cependant susceptible d’être sous-estimée du fait du recours à des indices agrégés des prix des matières premières, qui utilisent une pondération représentative à l’échelle mondiale, et donc éloignée des réalités locales. Plus récemment, Okou et al., 2022 ont documenté une transmission quasi complète des prix mondiaux de certaines céréales à leur prix observés sur les marchés locaux d’Afrique subsaharienne. Une telle approche ne capture cependant pas les répercussions potentielles sur les prix des autres biens de consommation (alimentation transformée notamment). Enfin, les études existantes n’intègrent généralement pas les chocs sur les prix des engrais, qui peuvent affecter à long terme les productions locales.
Dans un article du Rapport annuel des Coopérations monétaires Afrique-France 2021, nous estimons, pays par pays, la transmission des prix mondiaux des matières premières aux prix à la consommation en Afrique, en considérant simultanément 17 matières premières parmi cinq catégories (céréales, huiles végétales, sucre, énergies, engrais).
L’utilisation d’indices de prix désagrégés permet de mieux capturer l’hétérogénéité des variations de prix mondiaux et les corrélations croisées, entre catégories de matières premières et entre biens au sein d’une catégorie. L’utilisation de ces indices dans des régressions estimées pays par pays permet en outre de mieux prendre en compte l’hétérogénéité de structure des paniers de consommation des pays africains. Enfin, les effets sont estimés nets des effets liés au change, des catastrophes naturelles, des conflits civils et des variations de taux d’intérêt. Ils ne prennent cependant pas en compte les mesures mises en place pour tenter de lutter contre la hausse des prix (subventions, blocages de prix, etc.) ni la prévalence relativement élevée d’autoconsommation sur le continent.
Une transmission importante et durable des prix des matières premières aux prix à la consommation
Le Graphique 1 représente, pour l’ensemble de l’Afrique, l’effet cumulé d’une hausse simultanée de 1 % des prix mondiaux de 17 matières premières sur les prix à la consommation, en agrégeant les résultats par catégories de matières premières et à l’échelle du continent (à l’aide des PIB à parité de pouvoir d’achat en 2021), et en ne considérant que les réactions positives et significatives au seuil de 10 %.
Une telle hausse de 1 % se traduit, en Afrique, par une augmentation rapide et durable des prix à la consommation d’environ 0,3 % en moyenne, soit un taux de transmission d’environ 30 %. La transmission aux prix domestiques est croissante au cours des sept mois suivant le choc et atteint ensuite un plateau. En conservant également les coefficients négatifs ou non-significatifs, le taux de transmission atteindrait 20 % à 25 %.
Les prix des céréales et des huiles végétales ont les effets les plus importants et se transmettent respectivement à hauteur de 11 % et 9 % en moyenne sur un an. Ces deux catégories représentent plus des deux tiers de l’effet total sur cette période. Les hausses des prix des matières premières énergétiques ont un effet limité sur les prix la consommation, et se répercutent à hauteur de 2 % en moyenne sur un an, ce qui pourrait s’expliquer par la forte prévalence de subventions aux prix des carburants. Enfin, les effets d’une hausse des prix des engrais sont modérés sur un an (3 % en moyenne), puis s’accroissent en fin d’horizon jusqu’à atteindre 6 % au bout de 18 mois, illustrant les conséquences que de telles hausses de prix peuvent avoir sur les récoltes successives.
Les résultats montrent une forte hétérogénéité entre pays, avec des taux de transmission proches de 10 % pour les économies du Maghreb et l’Afrique du Sud, mais supérieurs à 45 % pour de nombreux pays, notamment le Tchad, le Burundi, le Kenya et plusieurs économies insulaires.