L'essor des technologies de l'information et de la communication (TIC) a considérablement réduit les prix hédoniques du matériel intensif en informatique et en capacité de calcul au cours des dernières décennies. L'adoption des TIC qui en a résulté a permis aux entreprises de mieux coordonner leurs activités et d'entreprendre des processus de production plus complexes.
Le rôle des TIC dans la croissance de la productivité globale a été si prononcé que l'on peut expliquer les différentes expériences récentes de croissance des économies avancées grâce à leur capacité à tirer parti des technologies de l'information. Cependant, la répartition des bénéfices de ces gains de productivité entre les travailleurs et les propriétaires du capital (et des entreprises) a été inégale.
En particulier, nous montrons qu'à partir de 1990, la France a connu une augmentation des niveaux de concentration sectorielle, et que tandis que la part du travail dans la valeur ajoutée de l'entreprise moyenne a augmenté, les parts de marché des entreprises à part du travail élevée ont diminué par rapport à celles à part du travail faible. De plus, nous montrons que les industries où la concentration a augmenté ont connu une plus forte diminution de leur part du travail agrégée.
Nous proposons un cadre théorique simple pour comprendre le rôle des TIC dans la formation de la productivité agrégée, dans la répartition des revenus des facteurs de productions et dans le niveau de concentration sectorielle. Nous distinguons les TIC des autres types de capital et autorisons le produit marginal des TIC relatif à celui des autres facteurs de production à varier avec la taille de l'entreprise. Nous motivons notre approche en montrant une forte corrélation positive entre l'intensité d’utilisation des TIC par les entreprises et leur taille, à tous les niveaux de la distribution (voir Figure 1), ce qui indique que la production est plus intensive en TIC pour les entreprises les plus grandes.
Nous montrons le rôle croissant des TIC dans le processus de production lorsque l'échelle à laquelle les entreprises opèrent augmente, ainsi qu’une forte complémentarité des TIC avec les autres facteurs de production. Nous expliquons ces faits par l'idée que la productivité d'une entreprise est fonction de deux dimensions complémentaires : 1/ le niveau de technologie et 2/ l'efficacité organisationnelle, cette dernière diminuant avec la taille de l'entreprise, mais augmentant avec l'intensité d’utilisation des TIC. Nous interprétons nos résultats comme la preuve que les TIC aident à atténuer les coûts plus élevés associés à l'échelle et à la complexité.
Il est important de noter que notre étude fournit une explication nouvelle à l'augmentation observée de la concentration et la réallocation des parts de marché vers les entreprises à faible part de marché: lorsque le prix relatif des TIC baisse, les grandes entreprises en bénéficient de façon disproportionnée car leur processus de production est initialement plus intensif en TIC. Elles peuvent ainsi diminuer leurs prix et gagner des parts de marché, ce qui accroît la concentration. En outre, comme ces grandes entreprises sont plus complexes, elles ont des rendements d'échelle plus faibles, et donc des parts des profit plus élevées et des parts du travail plus faibles : l'augmentation de la concentration a un effet négatif sur la part agrégée du travail dans la valeur ajoutée. Enfin, en raison de la complémentarité des TIC avec les autres facteurs de production, une baisse du prix des TIC a un effet positif sur la part du travail au niveau de l'entreprise.
Notre modèle montre ainsi que l'essor des TIC explique environ la moitié de l'augmentation de la concentration sectorielle en France, et que malgré une apparente stabilité de la part du travail agrégée, il explique la moitié de l'augmentation de la part du travail de l'entreprise moyenne et la moitié de la réallocation des parts de marché vers les entreprises à faible part du travail.