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Taxe carbone : incidence comparée en France et dans le reste de l’Europe

Mise en ligne le 10 Février 2021

Billet n°203. Quel serait l’effet économique d’une taxe carbone européenne en France comparativement au reste de l’UE ? L’impact à moyen terme sur la valeur ajoutée y serait 20% moins fort que dans le reste de l’UE. Cet écart résulterait davantage de différences de structure sectorielle (poids des secteurs les plus touchés, flux intersectoriels) que de différences d’intensité carbone entre secteurs homologues.

Image Décomposition sectorielle de l’impact sur la valeur ajoutée réelle en France et dans le reste de l’UE
Graphique 1 : Décomposition sectorielle de l’impact sur la valeur ajoutée réelle en France et dans le reste de l’UE Source : Calcul des auteurs

Note : Impacts à moyen terme d’une hausse du prix du carbone de 50 euros/tonne, donnés en % de la valeur ajoutée dans la région considérée. L’écart est en points de pourcentage. APU : Administration publique.

La taxe carbone est considérée par les économistes comme un outil indispensable de la lutte contre le changement climatique, à même d’inciter les différents acteurs de l’économie, ménages ou entreprises, à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).

Ce billet s’intéresse aux effets économiques d’une taxe carbone dans le cas théorique où, afin d’atteindre les objectifs affichés par la Commission européenne (réduction des émissions de 55% en 2030 par rapport à 1990 et neutralité carbone en 2050), l’ensemble des pays de l’UE (Union Européenne) serait amené à généraliser une fiscalité commune sur le carbone dans les prochaines années. Il n’aborde pas la question de l’efficacité environnementale de la taxe ni celle des politiques d’accompagnement qui pourraient être menées en complément (politique de redistribution, soutien aux investissements verts etc.).

En nous appuyant sur un document de travail récent, nous montrons que l’impact sur l’économie française serait moindre que dans le reste de l’UE. Ceci s’explique principalement par des différences de structure sectorielle de production.

Un modèle sectoriel de taxation du carbone

Nous simulons l’impact à moyen terme d’une hausse forfaitaire du prix du carbone de 50 euros/tonne d’équivalent CO2 au sein de l’UE à l’aide d’un modèle multi-secteurs incluant trois blocs de pays : la France, le reste de l’UE et le reste du monde. Cette hausse consiste d’une part en une taxe sur la consommation d’énergies fossiles (pétrole, charbon), payée par les ménages et les entreprises, et d’autre part en une taxe payée par les entreprises sur les émissions de GES causées directement par leur activité, comme par exemple le méthane produit par l’élevage des bovins. Grâce à sa granularité sectorielle, ce modèle prend en compte l’hétérogénéité des surcoûts engendrés par la taxe selon les secteurs et les caractéristiques technologiques de ces derniers. Un secteur à l’intensité carbone – définie comme la quantité de GES émise par euro produit – plus forte fera ainsi face à un taux de taxe plus élevé par euro produit. La taxe payée par les entreprises représenterait 0,6% de la valeur ajoutée (VA) française (contre 0,9% dans le reste de l’UE), mais avec des taux sectoriels allant de 0,03% pour les activités financières, immobilières et spécialisées à 12,2% pour l’agriculture. La taxe payée par les ménages représenterait quant à elle 0,16% de la consommation en France contre 0,22% dans le reste de l’UE. Nous supposons que l’ensemble des recettes est redistribué à parts égales à tous les ménages.

Le modèle reproduit explicitement le réseau international de production au niveau sectoriel, c’est-à-dire l’ensemble des flux de consommations intermédiaires et finaux entre secteurs productifs et ménages à travers le monde. Ceci permet de prendre en compte l’interdépendance entre secteurs et entre pays provenant des chaînes de valeur intégrées dans le processus de production : les fournisseurs comme les clients des entreprises des secteurs taxés sont ainsi affectés par ce canal. De plus, les producteurs peuvent modifier leurs choix d’intrants intermédiaires afin de minimiser leurs coûts de production en réponse à la taxe, par exemple en diminuant leur utilisation d’énergie fossile en faveur de l’énergie électrique.

Le graphique 2 représente schématiquement la structure sectorielle de la France. Il illustre le fait que certains secteurs comme l’industrie manufacturière, le commerce ou les services administratifs échangent beaucoup avec d’autres secteurs. Très interconnectés, ils constituent des nœuds dans la propagation des effets de la taxe.

Image Schéma des réseaux de production de l’économie française
Graphique 2 : Schéma des réseaux de production de l’économie française Source : Calcul des auteurs

Note : La taille des points rouges reflète le poids des secteurs dans la VA et la largeur des traits bleus les montants des principaux échanges bilatéraux. Les flux avec l’étranger n’apparaissent pas ici pour faciliter la lecture mais sont pris en compte dans le modèle. APU : Administration publique. TIC : Technologies de l’information et de la communication.

L’impact de la taxe dépend fortement de la structure sectorielle de production

Par construction, dans notre simulation, les taux de taxe appliqués à chaque secteur dépendent de leurs émissions de GES. Un secteur sera d’autant moins affecté qu’il utilise des technologies moins intensives en carbone. Par exemple, le secteur de production d’électricité français fait face à un niveau de taxation inférieur de moitié à celui de son homologue du reste de l’UE grâce à la technologie nucléaire. Sa VA baisse ainsi seulement de 0,6%, contre 0,8% dans le reste de l’UE. On voit toutefois sur le graphique 1a, qui présente une décomposition sectorielle des impacts en France et dans le reste de l’UE, que sa contribution à l’impact agrégé est faible.

En revanche, par un effet de composition, des secteurs faiblement polluants mais dont la part dans la VA agrégée est importante figurent parmi les plus gros contributeurs dans les deux régions : les services financiers, légaux et immobiliers, le commerce, la santé et les administrations publiques, expliquent 40% de la baisse aussi bien en France que dans le reste de l’Europe. Sans surprise, le secteur manufacturier, plus polluant et dont le poids économique est important, en particulier dans le reste de l’UE, est le 2e contributeur à la baisse de la VA.

Au-delà de l’intensité carbone ou du poids des secteurs dans l’économie, l’impact de la taxe est déterminé de façon complexe par la manière dont elle se propage dans les réseaux de production nationaux et internationaux (cf. le graphique 2 pour un aperçu simplifié pour la France) : elle provoque d’un côté une hausse de prix qui se répercute en aval des chaînes de valeur, et de l’autre une baisse de la demande d’intrants intermédiaires qui se répercute en amont. L’ampleur de cette propagation dépend donc de la taille des secteurs, de leurs positions relatives et du volume des échanges bilatéraux intersectoriels. La structure sectorielle de l’économie affecte tout particulièrement les secteurs situés très en amont, qui font face à une baisse « en cascade » de la demande qui leur est adressée. L’extraction minière et le raffinage d’hydrocarbures – ce dernier étant de surcroît directement affecté par la taxe sur les achats de combustibles fossiles – figurent ainsi parmi les secteurs les plus touchés.

Un impact moins fort en France que dans le reste de l’Union européenne

La hausse du prix de carbone examinée réduirait la VA réelle française de 0,8%, contre 1.0% pour le reste de l’UE, soit un impact agrégé 20% moins fort pour la France.

En dépit des différences entre les deux régions en termes d’intensité carbone (plus élevée pour les ménages, mais plus faible en moyenne pour les entreprises en France que dans le reste de l’UE), cet écart traduit principalement des différences de structure sectorielle : même si les niveaux de taxation appliqués étaient les mêmes dans les deux pays, une différence de 0,2 point de pourcentage perdurerait entre l’impact agrégé en France et celui dans le reste de l’UE.

Par effet de composition, les secteurs « pétrole, charbon, extraction » et « manufacture » expliquent ainsi à eux seuls plus de la moitié de la différence d’impact entre les deux régions (voir graphique 1b). En effet, ils sont parmi les secteurs les plus affectés par la taxe et leur poids est plus important dans l’économie du reste de l’UE qu’en France. À l’inverse, certains secteurs contribuent davantage à la baisse de la VA en France que dans le reste de l’UE de par leur taille : agriculture, santé, APU et services administratifs. Il s’agit toutefois, en dehors de l’agriculture, de secteurs plutôt épargnés par la taxe.

Conclusion

L’analyse présentée dans ce billet illustre l’intérêt de recourir à une modélisation sectorielle pour étudier les effets d’une hausse du prix du carbone. Elle montre que, compte tenu de la structure de son économie, la France se situe dans une position légèrement plus favorable que le reste de l’UE pour entamer la transition climatique via cet instrument. En revanche, cette étude n’aborde notamment pas la question de l’hétérogénéité des impacts d’une taxe carbone selon les ménages et ne se prononce donc pas sur la nécessité d’un mécanisme de redistribution progressive de ses recettes.

Mise à jour le 25 Juillet 2024