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Suivi de l’effet de la Covid-19 avec des données à haute fréquence
Billet n°174. La crise de la COVID-19 a demandé un suivi de l’activité en temps réel, que ne permettaient pas les statistiques usuelles. Des données à haute fréquence, comme la consommation d’électricité et les transactions par carte bancaire, ont en revanche permis d’estimer de façon précoce l’ampleur du choc et le moment du rebond, pour la production des entreprises et pour la consommation des ménages.
Note : Écart à un niveau normal (ménages) ou à la moyenne historique (entreprises). La consommation des ménages est estimée par les transactions par cartes bancaires. La consommation d’électricité est corrigée des températures et des jours ouvrés.
La crise sanitaire et les mesures de confinement ont engendré une chute sans précédent de l’activité en France. Ce nouveau contexte a rendu nécessaire de suivre en temps réel l’activité économique. Les données conjoncturelles utilisées traditionnellement pour l’analyse et la prévision de court-terme (enquêtes, production industrielle, consommation de biens) se sont révélées insuffisantes, du fait de leur fréquence de production mensuelle et de délais de publication allant de la fin du mois en cours jusqu’à 40 jours plus tard. Des données à haute fréquence, comme la consommation d’électricité des entreprises et les transactions par carte bancaire, ont apporté une information complémentaire disponible plus rapidement permettant d’affiner le diagnostic conjoncturel. Elles ont notamment permis d’estimer très tôt l’ampleur du choc et d’identifier de manière précoce un découplage entre offre et demande : alors que l’activité productive amorçait dès début avril un retour progressif vers son niveau normal, la consommation des ménages restait durablement déprimée jusqu’à la fin du confinement (cf. graphique 1).
La consommation d’électricité des entreprises comme mesure de leur production
L’électricité fait l’objet d’un usage intensif par les entreprises dans le cadre de leur processus de production, dont elle représente une consommation intermédiaire indispensable.
Les séries de consommation électrique, disponibles avec un délai de 1 jour à 2 semaines selon le fournisseur, permettent donc un suivi en quasi-temps réel de l’activité des entreprises, mais nécessitent plusieurs traitements. Nous les corrigeons des effets de calendrier (week-end, jours fériés et ponts) ainsi que des variations de température qui affectent l’utilisation du chauffage et de la climatisation indépendamment de l’activité productive (cf. graphique 2a). La méthode utilisée est celle du degré-jour, dans une version simple dite "météo" avec un seuil fixé à 17°C. La méthode consiste à modéliser l’utilisation du chauffage comme une fonction (que nous supposons quadratique) des degrés-jours de chauffe, soit le nombre de degrés en-dessous du seuil pour la température moyenne de la journée. Symétriquement, la climatisation est fonction des degrés-jours de froid (nombre de degrés au-dessus du seuil). Nous lissons sur 7 jours les séries obtenues pour éliminer les effets de calendrier résiduels et nous les comparons à leur moyenne des jours correspondants sur les années d’historique disponibles.
Le graphique 2b montre l’évolution de la consommation totale fournie par RTE (entreprises et ménages, trait noir), ainsi que les différentes séries de consommation des entreprises : consommation à haute tension des clients directement raccordés à RTE (courbe rose pointillée), consommation à moyenne tension des entreprises via le distributeur Enedis (courbe bleu pointillée). La somme des deux (courbe rouge) donne une mesure de la consommation totale des entreprises, en écart à la moyenne historique.
Sources : RTE et Enedis (consommation électrique), Météo France (températures) ; corrections des températures et des jours ouvrés par les auteurs.
Sources : RTE et Enedis (consommation électrique), Météo France (températures) : correction des températures et des jours ouvrés par les auteurs
Note : Au 31 mars, la consommation totale d’électricité s’élevait à -27% de sa moyenne historique.
Au début du mois de mars, les séries obtenues étaient proches de leur moyenne historique. Avec la mise en œuvre des mesures de confinement, la consommation d’électricité chute très fortement sur les deux dernières semaines de mars, atteignant un creux autour de -27% fin mars. Passé ce creux, la consommation d’électricité a suivi un profil en "aile d’oiseau". Elle s’est progressivement redressée, et ce dès le début du mois d’avril, signe que les entreprises ont su adapter leur processus productif aux contraintes sanitaires avant même la fin du confinement. Mais le rebond n’a été que très graduel et partiel : la consommation reste depuis début juin sur un plateau inférieur d’environ 8-10% à la moyenne historique.
Les transactions par cartes bancaires comme mesure de la consommation des ménages
Les mesures de confinement de la population depuis le 17 mars, assorties de fermetures de commerces, ont contraint la consommation des ménages et modifié sa composition. Pour estimer en temps réel l’impact du confinement sur la consommation des ménages, nous avons utilisé des données journalières de transactions et de retraits par carte bancaire, fournies avec un délai d’environ 10 jours par le Groupement des Cartes Bancaires CB sur la base d’un échantillon significatif du total des transactions réalisées. La ventilation par type d’activité nous a permis d’étudier la déformation de la consommation et suivre l’activité de certains secteurs, notamment les services. Pour ce faire, nous avons apparié ces activités avec la nomenclature de la consommation finale des ménages selon la comptabilité nationale. Pour chaque poste, nous avons estimé l’évolution de la consommation à partir des transactions correspondantes. Pour certains postes de consommation, comme les achats d’automobiles, les paiements par carte sont marginaux ou peu représentatifs, et nous avons eu recours à des sources alternatives ou à du jugement d’expert.
Les barres bleues du graphique 1 représentent l’évolution de la consommation totale obtenue en écart à une situation normale (qui correspond à la tendance observée avant le confinement). La crise sanitaire a eu un impact très significatif sur les habitudes de consommation. Si l’on observe pendant la deuxième semaine de mars une hausse des achats, en particulier dans les enseignes alimentaires (probablement du fait d’un report de consommation des restaurants et cantines et de la constitution de stocks domestiques de nourriture), le confinement a provoqué une forte chute de la consommation, d’environ 30%, pendant les deux dernières semaines de mars. Celle-ci a ensuite légèrement progressé jusqu’à un niveau d’environ 20% inférieur à la normale, mais ce n’est qu’à la levée du confinement, la semaine du 11 au 17 mai, qu’elle s’est vraiment redressée. Selon les dernières données, début juillet, elle se situerait encore à environ -3% de son niveau normal.
Le graphique 3 compare le glissement annuel des dépenses par cartes bancaires dans différentes branches pour plusieurs périodes. Au début du confinement, les dépenses de consommation ont chuté dans la plupart des branches. Seules les enseignes liées à l’alimentation (y compris boissons et alcools) ont connu une nette hausse pendant cette période, amortissant la chute de la branche commerce. Après le déconfinement, la consommation adressée aux branches productrices de biens a retrouvé son niveau d’avant crise et même progressé au-delà. Certaines activités de services, comme les transports et l’hébergement/restauration, sont toujours en berne, du fait d’un calendrier de réouverture plus tardif, et peut-être de changements d’habitudes de consommation.
L’utilisation d’indicateurs à haute fréquence en temps de crise
L’utilisation de ces données à haute fréquence a fourni aux conjoncturistes de la Banque de France une séquence animée de la crise en cours, qui a permis de donner rapidement un ordre de grandeur de l’ampleur du choc. Elle a corroboré et alimenté la photographie mensuelle plus large du panorama économique français, publié chaque mois dans notre Point de Conjoncture qui s’appuie sur l’enquête de conjoncture de la Banque de France. Bien que prometteur, l’apport de ces indicateurs à haute-fréquence pour l’analyse et la prévision en période normale n’est pas encore établi. Il est néanmoins un sujet d’investigation qui mobilise aujourd’hui plusieurs institutions nationales (Banque de France, INSEE, OFCE) et internationales (OCDE).
Mise à jour le 25 Juillet 2024