Les conséquences macroéconomiques des politiques de transition vers la neutralité carbone ne font pas encore l’objet d’un consensus. Elles dépendront de l’ampleur et de la temporalité des décisions politiques, et des réactions des agents économiques. D’une part, il est difficile de prévoir les mesures qui seront mises en œuvre : l’évolution de la tarification du carbone reste incertaine, les estimations de montants d’investissements nécessaires à la transition sont variables et leur mode de financement peu consensuel. D’autre part, le changement de comportement des agents (consommateurs, acteurs financiers) reste difficile à anticiper. Face à ces incertitudes, nous développons huit scénarios de court terme (voir Allen et al., 2023 pour la méthodologie et pour les données détaillées) pour étudier la manière dont les différentes perturbations liées à la transition peuvent affecter la croissance, l'inflation ou la stabilité financière sur un horizon de cinq ans. Ces perturbations, qui prennent la forme de politiques énergétiques, de booms d’investissement, de turbulences financières ou d’innovation, ne sont pas mutuellement exclusives. Néanmoins, les distinguer permet de mieux comprendre les mécanismes économiques à l’œuvre : chaque scénario peut constituer un aspect simplifié d’une trajectoire de transition plus complexe.
Les conséquences économiques de ces scénarios sont estimées avec une suite de modèles (voir Allen et al., 2020, 2023) qui comprend des modèles macroéconomiques néokeynésiens – NiGEM pour la partie internationale, FR-BDF pour la France (voir Lemoine et al., 2020) – et un modèle sectoriel multi-pays (voir Devulder et Lisack, 2020). La calibration de chaque scénario nécessite des hypothèses sur l’évolution des variables clés des modèles (taxe sur les énergies fossiles, coût du capital, spreads de crédit, productivité…) inspirées en partie des scénarios du NGFS. Les simulations montrent des impacts significatifs sur un horizon de 5 ans après le début du scénario considéré, entre -1,1 % et +1,2 % sur le PIB de la France selon le scénario, et entre -0,8 p.p. et +0,6 p.p. sur l’inflation. L’écart entre ces projections illustre la volatilité et la part d’incertitude que peut induire la transition sur le cycle de court terme.
Zoom sur trois types de perturbations économiques liés à la transition
Nous présentons ici les résultats sur la France des simulations de trois types de scénarios : i) introduction abrupte d’une règlementation environnementale, ii) turbulences financières liées au changement brutal de valorisation des actifs carbonés (actifs « échoués »), et iii) politiques d’investissements en faveur de la transition.
Un scénario d’imposition soudaine et non-anticipée de limites strictes sur les quantités consommées d’énergie fossile (scénario 2, inspiré du plan européen « Fit-for-55 », mais avec des cibles avancées cinq ans plus tôt), accompagnées de subventions sur les énergies renouvelables, susciterait une déformation sectorielle importante. L’effet agrégé à court terme est négatif car les restrictions soudaines freinent brutalement l’activité, tandis que les subventions aux secteurs renouvelables mettent du temps à modifier les processus de production. Le PIB reculerait de -1 % au bout de deux ans par rapport à un scénario sans politique de transition, notamment sous l’effet supplémentaire de la chute de la demande extérieure. Les subventions ne compensent que partiellement ces effets récessifs, et plutôt en fin d’horizon. L’inflation serait plus élevée à court terme (+1,5 p.p. au bout d’1 an après le début du scénario considéré) mais se réduirait ensuite.
La transition pourrait également impliquer une dévalorisation des actifs en fonction de leur exposition aux changements de législation environnementale ou de technologies (scénario 4). Ce scénario provoquerait une chute brutale des indices boursiers (-23 % dès le début du scénario). De plus, le PIB reculerait de -1 % au bout de 5 trimestres après le début du scénario mais la France serait moins affectée que des pays comme les États-Unis ou le Canada qui possèdent une part plus importante d’actifs échoués.
Un troisième scénario pourrait impliquer une hausse rapide des investissements des entreprises, générée ici par des subventions au secteur privé financées par une hausse des impôts des ménages (scénario 7). Ce scénario s’appuie en partie sur des projections de l’Agence internationale de l’énergie des besoins d’investissements supplémentaires annuels pour atteindre la neutralité carbone en 2050 (1,2 point de PIB pour la France), inférieurs aux montants estimés par J. Pisani-Ferry et S. Mahfouz dans leur récent rapport (2,3 points de PIB). Cette trajectoire entraine des gains de productivité et une hausse de la production, sans effet d’éviction notable entre investissements. L’impact sur le PIB est cependant faible en début d’horizon du fait de la baisse de consommation des ménages. En fin d’horizon, en revanche, les gains de productivité conduisent à une hausse du PIB de 0,8 % et des effets désinflationnistes.
Les cinq autres scénarios proposent des variantes qui diffèrent selon les hypothèses de politiques de transition ou de comportement des agents. Présentés en détail dans Allen et al. (2023), ils fournissent une fourchette d’effets plausibles sur la croissance et l’inflation.