Bloc-notes Éco

Scénarios de transition climatique : effets économiques à court terme

Mise en ligne le 8 Décembre 2023
Auteurs : Thomas Allen, Mathieu Boullot, Stéphane Dees, Annabelle De Gaye, Noëmie Lisack, Camille Thubin, Oriane Wegner

Billet n°332. L’ampleur et la durée des effets macroéconomiques de la transition vers la neutralité carbone dépendront de la stratégie choisie. Une transition désordonnée, provoquée par des politiques publiques abruptes ou mal ciblées ainsi que par la réaction du secteur privé, pourrait induire une forte volatilité sur le cycle économique et sur l’inflation.

Image Impacts des huit scénarios sur le PIB de la France à horizon 5 ans après le début du scénario considéré Thématique Finance verte, développement durable, transition climatique Catégorie Bloc-notes Éco
Source: Calcul des auteurs.

Note: Déviation du PIB en niveau, en % du scénario de référence sans politique de transition. Par exemple, dans le scenario d’investissement public, le PIB serait plus élevé de 1,2 % au bout de 20 trimestres par rapport au scénario de référence.

Les conséquences macroéconomiques des politiques de transition vers la neutralité carbone ne font pas encore l’objet d’un consensus. Elles dépendront de l’ampleur et de la temporalité des décisions politiques, et des réactions des agents économiques. D’une part, il est difficile de prévoir les mesures qui seront mises en œuvre : l’évolution de la tarification du carbone reste incertaine, les estimations de montants d’investissements nécessaires à la transition sont variables et leur mode de financement peu consensuel. D’autre part, le changement de comportement des agents (consommateurs, acteurs financiers) reste difficile à anticiper. Face à ces incertitudes, nous développons huit scénarios de court terme (voir Allen et al., 2023 pour la méthodologie et pour les données détaillées) pour étudier la manière dont les différentes perturbations liées à la transition peuvent affecter la croissance, l'inflation ou la stabilité financière sur un horizon de cinq ans.  Ces perturbations, qui prennent la forme de politiques énergétiques, de booms d’investissement, de turbulences financières ou d’innovation, ne sont pas mutuellement exclusives. Néanmoins, les distinguer permet de mieux comprendre les mécanismes économiques à l’œuvre : chaque scénario peut constituer un aspect simplifié d’une trajectoire de transition plus complexe.

Les conséquences économiques de ces scénarios sont estimées avec une suite de modèles (voir Allen et al., 2020, 2023) qui comprend des modèles macroéconomiques néokeynésiens – NiGEM pour la partie internationale, FR-BDF pour la France (voir Lemoine et al., 2020) – et un modèle sectoriel multi-pays (voir Devulder et Lisack, 2020). La calibration de chaque scénario nécessite des hypothèses sur l’évolution des variables clés des modèles (taxe sur les énergies fossiles, coût du capital, spreads de crédit, productivité…) inspirées en partie des scénarios du NGFS. Les simulations montrent des impacts significatifs sur un horizon de 5 ans après le début du scénario considéré, entre -1,1 % et +1,2 % sur le PIB de la France selon le scénario, et entre -0,8 p.p. et +0,6 p.p. sur l’inflation. L’écart entre ces projections illustre la volatilité et la part d’incertitude que peut induire la transition sur le cycle de court terme.

Zoom sur trois types de perturbations économiques liés à la transition

Nous présentons ici les résultats sur la France des simulations de trois types de scénarios : i) introduction abrupte d’une règlementation environnementale, ii) turbulences financières liées au changement brutal de valorisation des actifs carbonés (actifs « échoués »), et iii) politiques d’investissements en faveur de la transition.
 
Un scénario d’imposition soudaine et non-anticipée de limites strictes sur les quantités consommées d’énergie fossile (scénario 2, inspiré du plan européen « Fit-for-55 », mais avec des cibles avancées cinq ans plus tôt), accompagnées de subventions sur les énergies renouvelables, susciterait une déformation sectorielle importante. L’effet agrégé à court terme est négatif car les restrictions soudaines freinent brutalement l’activité, tandis que les subventions aux secteurs renouvelables mettent du temps à modifier les processus de production. Le PIB reculerait de -1 % au bout de deux ans par rapport à un scénario sans politique de transition, notamment sous l’effet supplémentaire de la chute de la demande extérieure. Les subventions ne compensent que partiellement ces effets récessifs, et plutôt en fin d’horizon. L’inflation serait plus élevée à court terme (+1,5 p.p. au bout d’1 an après le début du scénario considéré) mais se réduirait ensuite.

La transition pourrait également impliquer une dévalorisation des actifs en fonction de leur exposition aux changements de législation environnementale ou de technologies (scénario 4). Ce scénario provoquerait une chute brutale des indices boursiers (-23 % dès le début du scénario).  De plus, le PIB reculerait de -1 % au bout de 5 trimestres après le début du scénario mais la France serait moins affectée que des pays comme les États-Unis ou le Canada qui possèdent une part plus importante d’actifs échoués. 

Un troisième scénario pourrait impliquer une hausse rapide des investissements des entreprises, générée ici par des subventions au secteur privé financées par une hausse des impôts des ménages (scénario 7). Ce scénario s’appuie en partie sur des projections de l’Agence internationale de l’énergie des besoins d’investissements supplémentaires annuels pour atteindre la neutralité carbone en 2050 (1,2 point de PIB pour la France), inférieurs aux montants estimés par J. Pisani-Ferry et S. Mahfouz dans leur récent rapport (2,3 points de PIB). Cette trajectoire entraine des gains de productivité et une hausse de la production, sans effet d’éviction notable entre investissements. L’impact sur le PIB est cependant faible en début d’horizon du fait de la baisse de consommation des ménages. En fin d’horizon, en revanche, les gains de productivité conduisent à une hausse du PIB de 0,8 % et des effets désinflationnistes.

Les cinq autres scénarios proposent des variantes qui diffèrent selon les hypothèses de politiques de transition ou de comportement des agents. Présentés en détail dans Allen et al. (2023), ils fournissent une fourchette d’effets plausibles sur la croissance et l’inflation.

Image Impacts des huit scénarios sur l'inflation en France à horizon 5 ans après le début du scénario considéré Thématique Finance verte, développement durable, transition climatique Catégorie Bloc-notes Éco
Source: Calcul des auteurs.

Note: Impacts sur l’indice des prix à la consommation harmonisé en glissement annuel, en écart en point de pourcentage par rapport au scénario de référence sans politique de transition. Par exemple, dans le scenario de taxe carbone, l’inflation en France serait plus élevée de 1,7 p.p. au bout de six trimestres.

Volatilité du cycle et incertitude

Si chaque scénario produit des impacts sur le PIB d’ampleur modérée en comparaison des crises récentes (crise de 2008 ou Covid-19), ces perturbations sont susceptibles de se cumuler ou se succéder, compliquant la conduite des politiques de transition. Les décideurs économiques ont donc un rôle à jouer pour prévenir ces perturbations ou d’en minimiser les conséquences.

D’abord, des incitations de marché appropriées sont nécessaires. Les banques centrales ont un rôle important à jouer via le verdissement de leurs opérations en envoyant de bons signaux aux marchés (Villeroy de Galhau, 2023). Cela permettra de limiter les scénarios de bulle verte ou de stress financier qui résulteraient d’une mauvaise estimation par le marché du risque climatique.

Par ailleurs, si elle met en place les bonnes incitations, l'Europe a la capacité de financer son ambitieuse transition climatique. Les scénarios d’investissements publics et privés montrent des ordres de grandeur atteignables sans dommage majeur sur l’inflation et le PIB, qui se stabilisent rapidement. 

Enfin, les scénarios de transition désordonnée et non anticipée pourraient conduire à des chocs successifs et à une plus grande volatilité des prix. Ce contexte appellerait à une vigilance accrue de la politique monétaire vis à vis des risques inflationnistes ou déflationnistes, ou de désancrage des anticipations d’inflation.
 

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