Une attention récente portée aux stratégies d’investissement indicielles dans les pays émergents
Les stratégies d’investissement indicielles correspondent à des investissements qui sont directement liés à un indice de marché spécifique ou à toute autre référence. Les fonds adoptant ces stratégies peuvent être intégralement passifs (l’allocation d’actifs reproduit totalement un indice existant) ou partiellement passifs s’il existe une latitude dans le suivi de l’indice. Les fonds négociés en bourse ont en particulier gagné en importance au cours de la dernière décennie, du fait notamment de leur négociabilité et de leurs structures de frais réduites qui les ont rendus attractifs pour les investisseurs (BCE, 2018). Par ailleurs, les fonds adoptant des stratégies de gestion actives peuvent également réaliser leur allocation d’actifs en fonction d’indices de référence. Jusqu’à 70 % du total des investissements des fonds communs de placement serait ainsi lié d’une façon ou d’une autre à un indice de référence (Raddatz et al., 2017) tandis que MSCI revendique un total de 1 800 milliards de dollars d’actifs sous gestion liés à ses indices portant sur les actions des marchés émergents.
Du point de vue des économies émergentes, l’intégration dans de tels indices permet un élargissement de la base d’investisseurs. Cela les rend cependant plus sensibles aux facteurs externes, ce qui peut provoquer des sorties de capitaux si de nombreux investisseurs se retirent simultanément (FMI, 2015). Les économies émergentes sont particulièrement vulnérables à de tels sudden stops de flux de capitaux car elles dépendent des investisseurs étrangers pour financer leurs déficits extérieurs et leurs besoins en devises. En outre, la modification de la pondération attribuée à un pays peut y entraîner d’importants revirements de flux de capitaux.
Au vu de l’impact provoqué, les fournisseurs d’indices en rééquilibrent la composition de manière graduelle et après consultations auprès d’investisseurs du monde entier. L’intégration de nouveaux pays est généralement liée à l’amélioration de la qualité de l’accès au marché pour les investisseurs étrangers, ce qui permet une certaine prévisibilité du processus de recomposition.
Depuis 2018, les principaux indices ont commencé à augmenter le poids attribué aux titres chinois
Les marchés de capitaux chinois sont encore d’une nature globalement duale, avec des restrictions limitant fortement les investissements étrangers sur les marchés dits onshore, en opposition aux marchés offshore établis principalement à Hong-Kong. Alors que le marché onshore représente la deuxième capitalisation boursière mondiale, les investisseurs étrangers y détiennent moins de 4 % des titres. Depuis 2014, les autorités chinoises ont pris des mesures importantes pour améliorer l’accès au marché des investisseurs étrangers, rapprochant le pays des principaux critères d’inclusion dans les indices. Les programmes Stock Connect et Bond Connect ont par exemple rendu possibles les transactions entre marchés onshore et offshore.
En réponse à cette amélioration de l’accès au marché, MSCI a annoncé en juin 2017 l’intégration progressive des actions chinoises onshore libellées en renminbi (actions A) dans son très prisé Emerging Market Index (MSCI EM). Entre juin 2017 et novembre 2019, le poids total de la Chine sera ainsi passé de 28 % à 32 %. Alors que les actions A représentent environ 70 % de la capitalisation de l’ensemble des actions cotées chinoises, seuls les titres offshore étaient auparavant inclus dans l’indice (graphique 1). De même, FTSE Russell a initié l’inclusion progressive des actions A chinoises dans certains de ses indices en juin 2019 et des évolutions similaires sont observées pour les principaux indices de référence obligataires mondiaux. L’indice Bloomberg Barclays Global Aggregate Bond augmentera par exemple de 6 % le poids de la Chine d’ici novembre 2020. De fait, le rééquilibrage vers la Chine s’appliquera également aux nombreux sous-indices mondiaux, régionaux et nationaux.
Comment ce rééquilibrage va-t-il affecter les mouvements de capitaux entre marchés émergents ?
Le rééquilibrage des indices entraînera mécaniquement des investissements de portefeuille supplémentaires en Chine. En considérant les indices MSCI EM et Bloomberg Barclays Global Aggregate Bond, nous estimons que l’augmentation du poids de la Chine aura généré un total de 220 milliards de dollars d’investissements de portefeuille supplémentaires entre juin 2017 et novembre 2020 (20 % du total du stock d’investissements de portefeuille à fin 2018). Cette projection se base sur le montant estimé des actifs suivant ces indices rapporté au nouveau poids de la Chine. En tenant compte du rééquilibrage annoncé dans les autres principaux indices, le FMI (GFSR, 2019) estime que le total atteindrait près de 450 milliards de dollars (plus de 3 % du PIB chinois).
Compte tenu de la diminution du solde courant de la Chine au cours des dernières années, les entrées de capitaux liées aux indices de référence devraient couvrir une partie des besoins de financement externes du pays. Inversement, suite à la diminution de leurs poids, d’autres pays pourraient pâtir de ce rééquilibrage. Nous estimons que la repondération de l’indice MSCI EM entraînera à elle seule une baisse de 75 milliards de dollars pour les autres pays de l’indice, dont une grande partie sera absorbée par des constituants majeurs (Corée du Sud, Taïwan, Inde et Afrique du Sud).
Cet effet d’éviction pourrait toutefois être atténué. Premièrement, le montant total des investissements sur des stratégies indicielles est en augmentation constante, en raison notamment de la popularité grandissante des fonds négociés en bourse. L’accès au marché chinois onshore pourrait de plus rendre les fonds à stratégie indicielle encore plus attractifs, car la plus faible corrélation des actions A avec les actifs mondiaux (graphique 2) implique des gains de diversification à court terme. Deuxièmement, le rééquilibrage pourrait être atténué par les gestionnaires de fonds. Tout en étant tenus par les indices de référence, ils disposent généralement d’une marge discrétionnaire leur permettant d’anticiper et de lisser dans le temps les variations d’allocation de portefeuille.