Les chaînes d’approvisionnement mondiales permettent une plus grande spécialisation et donc des gains en termes de coûts de production, mais ce sont des structures complexes et risquées. Ainsi, l'organisation de la chaîne d'approvisionnement résulte de l'arbitrage entre la rentabilité et l'incertitude sur les coûts de production. Lorsque les conditions économiques changent, les termes de cet arbitrage changent et les entreprises peuvent décider de réorganiser leur chaîne d'approvisionnement. Cette réorganisation peut prendre plusieurs formes. Elle peut concerner différentes fonctions (quoi), des pays différents (où), et être mise en œuvre à l'intérieur, ou à l'extérieur, du périmètre de l'entreprise (comment). Le fait qu'une entreprise prenne ou non l'une de ces décisions (Qui) dépend de son degré d'exposition aux chocs et du coût de sa réorganisation. Cet article étudie, sur la base de ces quatre marges d’ajustement, comment les entreprises adaptent leur chaîne d'approvisionnement internationale. Nous nous appuyons sur une enquête menée auprès d'entreprises localisées en France (Chaînes d'activité mondiales, CAM) qui répond à ces exigences. Pour chaque entreprise interrogée, nous observons si elle a délocalisé ou relocalisé une partie de sa chaîne de valeur internationale entre janvier 2018 et décembre 2020. Nous observons également quelles fonctions de l'entreprise ont ainsi été réorganisées, et si cela a eu lieu à l'intérieur du périmètre de l'entreprise (internalisation) ou non (externalisation), en contrôlant les déterminants de la localisation en termes de destination. Un point important est que les unités étudiées sont des « entreprises » au sens statistique du terme, c’est-à-dire un ensemble d'unités légales partageant un centre de décision commun. Nous nous appuyons sur l'hypothèse de travail suivante : la chaîne d’approvisionnement initialement optimale des entreprises ayant subi des chocs inobservés, notamment en raison d'un environnement plus incertain, celles-ci ont pris la décision, ou non, de se réorganiser ; cette décision est observable et rapportée dans l'enquête.
Les ajustements sont peu fréquents : moins de 3 % des entreprises ont délocalisé ou relocalisé au moins une fonction au cours des trois années étudiées, et seules quelques entreprises ont combiné des deux types de réorganisation. Ces ajustements ont été effectués par des entreprises employant une plus grande proportion de travailleurs qualifiés, dans les industries manufacturières plutôt que dans les services, enfin plutôt par des entreprises multinationales étrangères. Les entreprises renseignent dans l’enquête leurs décisions de délocalisation et de relocalisation séparément pour chaque fonction et l’on observe qu’en général seule une fraction de leur chaîne d'approvisionnement est réorganisée : moins d'un pour cent des combinaisons entreprise-fonction ont été réorganisées au cours de la période et il s'agit de fonctions considérées comme leur activité principale. Lorsqu’il s’agit d’une délocalisation, la probabilité de choisir le mode de l’internalisation décroît avec la productivité de l'entreprise, ce qui suggère que le coût de coordination des fonctions avec des partenaires extérieurs à l’entreprise est plus élevé qu’en interne. Enfin, la probabilité de réorganiser sur le mode de l’internalisation augmente avec l’intensité en capital incorporel des activités délocalisées, ce qui ne s’observe pas dans le cas de relocalisations en France. Nous interprétons ceci en termes de difficulté à faire respecter les droits de propriété intellectuelle dans les relations contractuelles, et ceci plus dans les pays étrangers qu'en France. Enfin, nous constatons que la probabilité de choisir un pays de destination pour une délocalisation est plus faible pour les pays plus lointains. L’Inde constitue une exception, et ceci pour les activités hautement qualifiées et à forte intensité de R&D.
Mots-clés : chaines de valeur, relocalisation, délocalisation
JEL classification: F14, F23, L10, L23