Bloc-notes Éco

Qu’est-ce qui fait varier l’empreinte carbone des fonds d’actions français ?

Mise en ligne le 31 Janvier 2025
Auteurs : Dilyara Salakhova, Vincent Guégan

Billet de blog 385. Les auteurs remercient Kirill Usachov pour son travail d’assistant de recherche sur la première version de cette étude.
Le secteur financier français doit accompagner la transition vers l’économie bas carbone en gérant les risques associés et en la soutenant financièrement. Entre 2017 et 2022, les fonds OPC d'actions français ont divisé par deux leur empreinte carbone, privilégiant principalement les entreprises moins émettrices. En revanche, la baisse des émissions absolues des entreprises détenues a eu un impact limité. 

Graphique 1: Émissions de GES (Scope 1&2) des portefeuilles des fonds d’actions, 2017–2022

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Sources : ISS-ESG, OPC Banque de France, calculs Banque de France.
Notes : Graphique droite : Intensité d’émissions en tonnes de CO2e d’émissions par millions d’euros de chiffre d’affaires nominal. GES – gaz à effet de serre. CO2e – émissions de CO2 équivalent.

Les fonds d’investissement, comme les autres institutions financières, doivent gérer les risques financiers liés au changement climatique et contribuer au financement de la transition vers une économie bas carbone. Pour atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050 tel que fixé par l’Union européenne, les sociétés non financières et financières doivent entreprendre des actions pour réduire leurs émissions. Dans ce billet de blog, nous nous concentrons sur les fonds OPC d’actions domiciliés en France et dont au moins 80% du portefeuille est investi en actions des entreprises françaises et étrangères. En 2022, le montant sous gestion des fonds dans notre échantillon s’élevait à 240 milliards d’euro, soit environ 63% des actifs totaux des fonds OPC d’actions domiciliés en France. Cette étude analyse l’évolution des émissions de carbone des portefeuilles de ces fonds sur une période de six ans, de 2017 à 2022, et identifie les facteurs qui expliquent cette évolution.

Les émissions financées par l’ensemble des fonds de l’échantillon, soit la somme des émissions des entreprises pondérées par la part de participation dans la valeur totale des entreprises du portefeuille, ont diminué de près de 50% entre 2017 et 2022, la réduction principale ayant lieu entre 2017 et 2020 avant une stabilisation (cf. graphique 1, à gauche). La réduction des émissions financées n’est pas liée à la baisse de taille des actifs sous gestion. En effet, entre 2018 et 2021 les actifs augmentent tandis que les émissions diminuent. 

En ce qui concerne l’intensité des émissions des portefeuilles, soit la moyenne pondérée des intensités d’émissions (émissions absolues divisées par le chiffre d’affaire) des entreprises dans le portefeuille, la baisse est survenue principalement après 2020 (cf. graphique 1, à droite).

Graphique 2: Décomposition des variations annuelles d’intensité d’émissions par facteurs, 2017-2022 (en tonnes/millions d’’euros)

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Sources : ISS-ESG, OPC, calculs Banque de France.
Notes : tonnes de CO2e d’émissions par millions d’euros de revenu pour tout l’échantillon (gauche) et seulement pour les fonds qui réduisent leur intensité d’émissions (droite).

L’évolution de l’intensité des émissions de portefeuille est principalement due à des variations de chiffre d’affaires des entreprises et aux stratégies d’investissement (achat de nouveaux titres) ou de désinvestissement (vente des actifs détenus) (cf. graphique 2, à gauche). Afin d’atteindre l'objectif de neutralité carbone de l’économie, la baisse des émissions de portefeuille devrait être menée par la réduction des émissions des entreprises (en bleu foncé dans les graphiques ci-dessus). Ce facteur reste cependant faible sur l’ensemble de la période, à l’exception de 2020 à cause de l’effet du Covid-19 et de la diminution de l’activité économique mondiale. La même année, la diminution des revenus des entreprises a entrainé une augmentation de leur intensité carbone, ainsi que de celle des fonds, et compense presque entièrement la réduction des émissions. En 2021, la hausse des revenus nominaux, en partie liée au contexte d’inflation, explique 38% de la baisse de l’intensité des émissions des fonds, soit presque 12 sur les 31 tonnes de CO2e par millions d’euros de la baisse. En parallèle, le désinvestissement, c’est-à-dire la vente de la totalité des actions d’une entreprise détenue par un fonds, a représenté 42% de la baisse, soit 13 tonnes de CO2e par millions d’euros, et se révèle être un facteur important de la baisse des émissions à partir de 2021.

La diminution de l'intensité des émissions dans les fonds s’explique principalement par deux facteurs : le changement dans la composition des fonds dans l’échantillon (en jaune dans les graphiques ci-dessus) et celui des entreprises dans les portefeuilles de ces fonds (en orange) (cf. graphique 2, à droite). Chaque année, de 2017 à 2022, la création / fermeture nette des fonds et l’investissement net dans les entreprises ont contribué respectivement pour 43% et 28% en moyenne à la réduction de l’intensité des émissions de l’ensemble de notre échantillon, soit 29 et 19 tonnes de CO2e par millions d’euros respectivement. 

Graphique 3 : Désinvestissement net des entreprises polluantes comme facteur principal de réduction d’empreinte carbone et Intensité d’émissions des entreprises détenues, 2017-2022
 

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Sources : ISS-ESG, OPC, calculs Banque de France.
Notes : gauche : Intensité d’émissions des portefeuilles décomposée pour les fonds qui réduisent leur intensité d’émissions en changeant la composition de portefeuille au détriment des entreprises polluantes (P) et en faveur des non-polluantes (NP). Droite : Intensité d’émissions pour une entreprise médiane détenue par les fonds sur la période considérée.

L’investissement net et la création / fermeture nette des fonds qui réduisent l’intensité de leurs émissions – près de 50% de l’échantillon – sont ensuite décomposés entre entreprises polluantes et non-polluantes, définies par rapport à la médiane des émissions de GES en valeur absolue dans leurs secteurs respectifs (cf. graphique 3, à gauche). Ces fonds réduisent principalement leurs émissions, et en particulier avant 2021, en réduisant leur exposition aux entreprises plus polluantes (24% de réduction d’intensité d’émission en moyenne). Par ailleurs, les fonds fermés avant 2021 détenaient une part plus importante d’entreprises polluantes et leur fermeture a ainsi contribué à la réduction de l’intensité des émissions de l’échantillon. 

Les entreprises détenues par les fonds qui ont réduit leur intensité d’émission se distinguent de celles que les fonds ont vendues (cf. graphique 3, à droite). En effet, les entreprises détenues par les fonds en 2022, qu'elles aient été ou non détenues en 2017, montrent à la fois une intensité des émissions plus faible et une tendance baissière par rapport aux entreprises détenues en 2017 et vendues avant 2022. Les dynamiques des émissions absolues des entreprises détenues par les fonds entre 2017 et 2022 sont similaires.

Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, le secteur financier doit se concentrer sur la réduction des émissions absolues dans l’économie. Si la vente d'actifs carbonés peut réduire le risque climatique des portefeuilles individuels, elle ne garantit pas une transition vers une économie bas-carbone (Bolton et al., 2022). En effet, les entreprises ont besoin de financements pour cette transition (Carradori et al., 2023), et le désinvestissement ne suffit pas à augmenter le coût du capital et à inciter au changement, même pour les entreprises fossiles (Hansen et Pollin, 2020; Platinga et Scholtens, 2020; Zori et al., 2022). Les institutions financières doivent donc s'engager auprès des entreprises dans lesquelles elles investissent pour garantir une réduction réelle d’émissions, une stratégie reconnue comme plus efficace (Kölbel et al., 2023). Les gestionnaires d'actifs doivent également mettre en place des plans de transition rigoureux, investir dans des activités alignées ou en train de s’aligner sur la transition et définir une stratégie de désinvestissement claire pour inciter les entreprises à agir.

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Mise à jour le 31 Janvier 2025