Notes : Scénarios : BAU=absence de politique climatique, DREP=baisse mondiale de 2% par an du prix des énergies non émettrices de CO2, LCT et HCT=hausse mondiale des prix des énergies émettrices de CO2 de respectivement 1% et 3% par an. Source : Alestra, Cette, Chouard et Lecat (2020)
La politique de lutte contre le réchauffement climatique a eu jusqu’ici des effets limités. Si en raison du "Grand Confinement" les émissions de gaz à effet de serre (GES) devraient baisser en 2020, celles-ci ont poursuivi leur progression à un rythme annuel de 2% par an depuis la première COP (Conference of the Parties) en 1995. La politique climatique se heurte en effet aux divergences entre pays avancés et aux besoins de développement des pays émergents. Pour convaincre de sa pertinence, cette politique doit pouvoir reposer sur des études scientifiques et des analyses diversifiées de ses conséquences économiques. Ce billet présente un outil de construction de scénarios de politiques climatiques qui permet de mettre en évidence à la fois les gains et les difficultés qui accompagnent de telles politiques. Ainsi, les bénéfices nets apparaissent significatifs mais éloignés dans le temps et inégalement répartis entre pays.
Comment déterminer le bilan coûts-avantages de la politique climatique ?
La politique climatique repose ici principalement sur un renchérissement du prix des énergies émettrices de GES, soit par le biais d’une taxe carbone ou de droits à émettre, soit par le biais de réglementations augmentant le coût de leur usage. Ce renchérissement conduit à modifier le processus de production, soit pour utiliser des énergies plus propres, soit pour économiser la consommation d’énergie. Ceci affecte la rentabilité et la productivité de l’entreprise et donc la croissance de long terme. La politique climatique a donc un coût économique qui se matérialise rapidement.
Ses bénéfices apparaissent à plus long terme, sous la forme de dommages évités. Nous nous concentrons ici sur les dommages ayant un impact direct sur le PIB, mais ceux-ci vont bien au-delà, avec des impacts sur la santé, les conflits internationaux, ou la perte de biodiversité. La consommation d’énergies émettrices de GES entraîne une augmentation de la température mondiale, qui se traduit en perte de terres émergées, de rendements agricoles, de dommages causés à l’appareil de production par les catastrophes naturelles, etc. L’exposition à ces dommages varie selon les pays et leur dépendance à l’agriculture et aux phénomènes climatiques localisés comme la mousson. Dans les scénarios présentés ici, ces dommages croissent plus vite que la concentration de GES dans l’atmosphère, ce qui correspond à la relation tirée de la revue de littérature par Nordhaus et Moffat (2017). Néanmoins, il n’y a pas de point de basculement au-delà duquel le réchauffement s’emballe, par exemple avec la fonte du permafrost.
Le défi du temps long et de l’inégale répartition des bénéfices de la politique climatique
Quatre scénarios, appliqués de façon uniforme à tous les pays, sont considérés :
- Business as usual (BAU) : absence de politique climatique ;
- Decrease of Renewable Energy relative Price (DREP) : baisse de 2% par an du prix des énergies non émettrices de CO2 ;
- Low carbon tax (LCT) : hausse de 1% par an du prix des énergies émettrices de CO2 ;
- High carbon tax (HCT) : hausse de 3% par an du prix des énergies émettrices de CO2 .
En termes d’émission de CO2, seul le scénario HCT permet d’atteindre la neutralité carbone, et ce uniquement en 2100. L’augmentation des températures est supérieure à 5°c dans les scénarios BAU et DREP, proche de 4°c dans le scénario LCT et proche de 2°c dans le HCT en 2100. Seul le scénario HCT permettrait de se rapprocher des objectifs de l’accord de Paris qui visent à contenir le réchauffement "nettement en dessous de 2°c par rapport aux niveaux préindustriels". Le scénario DREP a un impact limité : malgré des élasticités de substitution assez élevées entre les énergies émettrices et non émettrices de CO2 (entre 1 et 2), la faible part des énergies propres aujourd’hui limite les gains d’un tel scénario. Néanmoins, ce dernier pourrait émerger naturellement grâce au progrès technique entraînant une baisse rapide de leur coût de production, ou encore par le biais d’une mobilisation de la taxe carbone.
Mesurés à l’aune du PIB mondial (cf. figure 1), ces résultats illustrent le défi du temps long ou « tragédie de l’horizon » : les stratégies qui comportent les dommages économiques les plus faibles en 2060 sont l’absence de politique climatique et le scénario DREP, tandis qu’en 2100, le scénario le plus favorable en termes de PIB est le HCT, avec des gains significatifs par rapport au BAU.
Un autre fait marquant de cet exercice est l’inégale répartition des dommages, ce qui donne lieu à la « tragédie des communs ». La répartition des dommages liés au réchauffement climatique (cf. figure 2), et donc des bénéfices d’une politique climatique permettant de les éviter, est très inégale. Certains pays subiront des pertes supérieures à 15% du PIB à l’horizon 2100 (comme la Chine), voire 20% (comme l’Inde, certains pays d’Afrique ou du Moyen Orient). D’autres zones subiront des dommages limités (comme en Europe) voire tireront du réchauffement un bénéfice exceptionnel par l’extension des terres arables ou par l’augmentation de la productivité agricole (comme le Canada ou la Russie).