La littérature économique révèle un manque de consensus parmi les économistes et les décideurs politiques concernant les impacts du changement climatique et les politiques appropriées pour faire face à ce risque. Ce manque de consensus explique en partie l'absence de politiques ambitieuses coordonnées. Comme le souligne Nordhaus (2019), "les humains ont clairement réussi à exploiter les nouvelles technologies. Mais il est clair que l'homme n'a pas réussi, jusqu'à présent, à faire face au changement climatique". C'est pourquoi un travail empirique est important pour mieux comprendre les différents mécanismes qui sous-tendent le changement climatique et l’impact de la taxation du carbone, ainsi que les principaux points de désaccord entre les experts.
Notre contribution consiste à proposer un modèle totalement transparent et libre d'accès, l’Advanced Climate Change Long-term model (ACCL), avec une modélisation riche et endogène de la dynamique de croissance du PIB. Il s'agit d'un outil de projection facile d’accès, conçu avec R-Shiny, qui permet à l'utilisateur d'effectuer une analyse de scénarios pour identifier et quantifier les conséquences des chocs des prix de l'énergie sur la PTF. L'utilisateur peut modifier à volonté toutes les hypothèses et paramètres. Ainsi, une analyse de sensibilité peut être effectuée, afin de tester, sur un horizon à long terme, la dépendance des résultats à chaque paramètre et pour différentes spécifications. En outre, elle permet également de comprendre les principaux mécanismes économiques et environnementaux du changement climatique et de la taxation du carbone, ainsi que les raisons de l'absence actuelle de consensus entre les économistes. Il peut également être utilisé dans le cadre d'exercices de stress test par les institutions financières.
Dans ce modèle, nous évaluons les effets à long terme de la taxation du carbone sur la croissance économique par deux voies opposées. Premièrement, les conséquences négatives de la taxe carbone, ou de toute autre réglementation augmentant les prix des énergies émettrices de CO2, sur la croissance via l'impact de la hausse des prix de l'énergie sur la productivité totale des facteurs (PTF). Ensuite, l'impact économique positif de la réduction des conséquences du changement climatique, par la réduction des émissions de dioxyde de carbone (CO2), car l'augmentation des prix des énergies émettrices de CO2 a un effet dissuasif sur leur consommation. Comme l'impact net est très probablement dépendant du contexte, il est également intéressant d'étudier les conditions structurelles dans lesquelles un effet domine l'autre.
Pour répondre à cette question, nous construisons une base de données originale et étendue qui nous permet d'estimer ou de calibrer la plupart des relations du modèle. Elle rassemble des données de panel pour 19 pays développés et six pays émergents parmi les plus grands pollueurs du monde, plus six régions pour couvrir le reste du monde sur de nombreuses variables économiques, énergétiques et environnementales (telles que le taux d'emploi, le nombre moyen d'années d'études, les réglementations du marché, le prix relatif de l'énergie ou les émissions de CO2...). Nous utilisons ensuite ces résultats empiriques pour mettre en œuvre des projections globales et locales pour le monde entier, décomposées entre 30 pays et régions aux horizons 2060 et 2100, permettant ainsi de concevoir des scénarios de changement climatique et de taxation du carbone.
Cet outil est basé sur une approche par l'offre. Sa principale valeur ajoutée réside notamment dans la modélisation endogène de la PTF, du capital et du produit intérieur brut (PIB), ainsi que dans l'estimation et le calibrage de la plupart des relations sur un large panel de données. La PTF, qui est une source majeure d'incertitude sur la croissance future, est déterminée par les prix relatifs de l'énergie, les prix d'investissement, l'éducation, les réformes structurelles et les rendements décroissants du taux d'emploi. La comparaison de deux horizons temporels distincts et larges (2060 et 2100), ainsi que l'échelle mondiale de l'analyse nous permet d'examiner le rôle joué à la fois par l'horizon temporel et la coordination internationale dans le résultat de la politique climatique. La politique climatique évaluée dans ce document correspond à une taxe pigouvienne sur les émissions de CO2.
Nous nous concentrons ici principalement sur les dommages causés au PIB, mais les dommages non marchands (santé, conflits, perte de biodiversité...) doivent également être pris en compte, car la plupart d'entre eux ne relèvent pas de notre approche du PIB à long terme du côté de l'offre, bien qu'ils constituent certaines des conséquences les plus importantes du réchauffement climatique.
Nous mettons en œuvre quatre scénarios. Dans le scénario BAU (pour Business As Usual), nous supposons une absence de taxation du carbone et nous fixons donc l'évolution annuelle du prix relatif de chaque type d'énergie à zéro pour le monde entier de 2017 à 2100. Le scénario DREP (pour Decrease of Renewable Energy relative Price) est identique pour toutes les sources d'énergie émettant du CO2, mais il affiche une diminution annuelle moyenne de -2% pour le prix relatif de l'électricité non émettrice de CO2 dans le monde entier et sur toute la période. Cette baisse du prix relatif des énergies renouvelables peut correspondre à l'effet d'une subvention ou d'un progrès technologique, qui réduit leurs coûts de production. Avec les scénarios LCT (pour Low Carbon Tax) ou HCT (pour High Carbon Tax), nous introduisons une politique climatique qui augmente annuellement le prix relatif du charbon, du pétrole, du gaz naturel et de l'électricité émettrice de CO2 de 1% pour le LCT et de 3% pour le HCT, dans chaque pays / région, sur l'ensemble de la période. Au contraire, le prix relatif de l'électricité "propre" ne change pas dans ces deux scénarios.
Le résultat de ces scénarios est présenté dans le graphique ci-dessous. Nos résultats illustrent cette "tragédie de l'horizon" avec des pertes nettes de PIB induites par les politiques climatiques à moyen terme, mais un impact net favorable à long terme, grâce à l'évitement de dommages climatiques plus importants. De même, nous pouvons supposer que la coordination internationale est d'une importance significative puisque la pollution et le changement climatique qui en résulte sont des problèmes mondiaux. Une réduction collective des émissions de gaz à effet de serre (GES) profiterait en fait à une grande majorité de pays. Pourtant, ces avantages sociaux peuvent être négligés par les gouvernements nationaux qui doivent faire face à des coûts individuels élevés pour mettre en œuvre une telle politique et qui craignent l'inaction des autres pays émetteurs. Nos simulations montrent que pour chaque pays, la meilleure stratégie individuelle est celle du "Business As Usual" (BAU) et des politiques climatiques strictes pour les autres.
La meilleure stratégie collective au niveau mondial serait la mise en œuvre de politiques climatiques strictes simultanément dans tous les pays. Ce problème de coordination vient du fait qu'une politique climatique a un impact négatif sur le PIB par la diminution de la PTF dans le pays qui la met en œuvre, mais un impact favorable sur le PIB par la diminution des dommages environnementaux pour tous les pays. Cela signifie que l'intérêt collectif est la mise en œuvre d'une politique rigoureuse coordonnée, mais que chaque pays a intérêt à resquiller.