Suite à la crise financière mondiale, le concept d'écart de production financièrement neutre a suscité un intérêt généralisé parmi les décideurs publics. Borio et al. (2013) ont présenté ce concept comme une alternative au concept classique d'écart de production neutre au regard de l'inflation, en raison de l’éventualité que l'économie soit en situation de surchauffe, en dépit d’une inflation des prix faible, si des déséquilibres financiers ou externes apparaissent. Introduire des variables financières dans les estimations des écarts de production peut conduire à des outils complémentaires pour les décideurs afin d'éviter des erreurs de diagnostic macroéconomique associées aux phases d’expansion financière.
Le concept de croissance potentielle et celui d'écart de production reposent le plus souvent sur l'absence de pressions inflationnistes ou déflationnistes. Cependant, plusieurs facteurs peuvent entraîner un écart entre l'inflation des prix et les prix des actifs financiers. Fréquemment, les périodes de booms financiers coïncident avec des chocs positifs du côté de l'offre, entraînant une baisse des prix à la consommation. Parallèlement, les hausses sur les marchés financiers conduisent à une augmentation des valorisations des actifs réels, ce qui réduit les contraintes de financement et les contraintes d'offre (effet de collatéral). De plus, des marchés financiers dynamiques peuvent parfois entraîner une appréciation de la monnaie nationale, entraînant une baisse des prix à la consommation par le canal des prix à l'importation. Enfin, des conditions de financement accommodantes peuvent non seulement stimuler la demande à court terme, mais également avoir des effets persistants du côté de l'offre à travers le facteur travail, la productivité ou l'accumulation de capital (effet d'hystérèse inversée), affaiblissant davantage les contraintes pesant sur l'offre et les prix.
L'idée de ce papier est d’estimer des écarts de production et des mesures de la production potentielle pour la zone euro fondées à la fois sur des relations macroéconomiques et des variables financières. Pour ce faire, nous suivons deux approches. D'une part, nous incluons des informations financières dans de simples modèles à composantes inobservables (MCI) couramment utilisés pour évaluer l’écart de production financièrement neutre (Graphique A, vignette de gauche). D'autre part, et c'est une innovation présentée dans cet article, nous élaborons un modèle à composantes inobservables plus riche intégrant une fonction de production, comme dans Tóth (2021), dans lequel nous incluons des facteurs financiers (Graphique A, vignette de droite).
Cet exercice est ardu pour au moins quatre raisons. Premièrement, les écarts de production qui en résultent doivent suivre l’évolution des cycles et des tendances macroéconomiques, en particulier celles relatives au marché du travail telles qu'elles sont établies dans le modèle à composantes inobservables de Tóth (2021). Deuxièmement, nous cherchons à améliorer (ou du moins ne pas dégrader) la performance en temps réel des estimations. Troisièmement, pour une banque centrale, nous souhaitons estimer des écarts de production ayant une bonne capacité de prévision de l’inflation. Enfin, nous devons sélectionner des variables financières appropriées parmi un ensemble important de variables, provenant de sources multiples (comptes nationaux, fournisseurs privés, etc.).
Les résultats de la littérature montrent généralement que les écarts de production financièrement neutres diffèrent considérablement des écarts traditionnels, en particulier autour des périodes de crises financières. C'est également ce que notre travail met en évidence, et à cet égard, le choix des variables financières joue un rôle certain (Graphique A, vignette de gauche). Dans un MCI intégrant une fonction de production, l’écart de production financièrement neutre indique une plus grande tension sur les marchés des biens et services au cours de la décennie suivant la crise financière mondiale (Graphique B, vignette de droite). Ceci suggère à son tour que la croissance potentielle dans la zone euro a probablement davantage souffert des effets de la crise financière mondiale lorsque l'on prend en compte les facteurs financiers dans l'estimation de la production potentielle, par rapport à une modélisation qui ne tient pas compte de ces facteurs.