Deux phénomènes remarquables se produisent dans la plupart des économies avancées. D’une part, l’inflation demeure très faible. D’autre part, et à l’exception des États-Unis, la participation au marché du travail des plus de 55 ans a considérablement augmenté. Nous montrons dans Mojon and Ragot (2018) que cette évolution du marché du travail a pesé sur l’inflation.
Coté inflation, la reprise post 2013 n’a toujours pas ramené l’inflation à sa moyenne pré-crise. L’inflation demeure faible dans la zone euro, au Japon, aux États-Unis et dans presque tous les pays de l’OCDE, le Royaume-Uni faisant exception. Les taux inflation "core", du déflateur du PIB ou des coûts unitaires du travail, c’est à dire la différence entre les hausses de salaire et la croissance de la productivité du travail, sont tous plus proche de 1% que de 2%, leur point d’ancrage avant la crise.
Dans le cas de la zone euro, c’est d’autant plus surprenant que plus de 7 millions d’emplois ont été créés depuis la sortie de récession en 2013. Aussi, certains observateurs, dont The Economist, dans son édition du 1 novembre 2017, concluent que la Courbe de Phillips "est devenue obsolète". Cela alors même que les estimations économétriques rejettent tout aplatissement significatif de la courbe de Phillips depuis les années 1980 (Rue de la Banque No. 56, février 2018).
Coté démographie, les baby-boomers approchent de l’âge de la retraite et leur participation au marché du travail a considérablement augmenté (Cahuc, Hairault and Prost, 2016). Ainsi, 6 des 7 millions d‘emplois créés dans la zone euro depuis 2013 le sont pour des travailleurs de plus de 50 ans. Le taux de participation des travailleurs âgés de 55 à 64 ans a augmenté de 33% à 55% en moyenne dans l’OCDE depuis vingt ans. En Allemagne, ce taux est passé de 40% jusqu’en 2003 à 72% en 2016. Ce phénomène frappe quasiment tous les pays de l’OCDE a l’exception des États-Unis où la participation des plus de 55 ans au marché du travail a cessé de croitre depuis 5 ans.
Cette transformation majeure de la force de travail coïncide, et pourrait en fait être le résultat des réformes des régimes de retraite ou de l’évolution des normes sociétales sur le travail des femmes. Ces évolutions favorisent le financement des retraites. Cependant, elles sont aussi susceptibles d’influencer la dynamique des salaires et l’inflation.
Davantage de travailleurs âgés désireux de rester actifs représentent un choc d’offre de travail, qui peut peser sur les salaires et les coûts unitaires. Mojon and Ragot (2018) montrent que l’inflation salariale demeure très sensible à ces déterminants traditionnels dont le taux de chômage. Dans une estimation en panel sur les pays du G7, une baisse du taux de chômage de 1% augmente l’inflation salariale de 0,5%. Cependant, l’augmentation du taux de participation des 55-64 ans au marché du travail pèse significativement sur les salaires. Comme l’illustre la Figure 1 pour les pays du G7, les pays où ce taux de participation a le plus augmenté depuis 2013, comme l’Italie, la France et le Japon, sont aussi ceux où les coûts unitaires du travail ont le moins augmenté.
Nos estimations économétriques, reportées dans Mojon and Ragot (2018), montrent qu’une hausse de 10% du taux de participation des 55-64 ans, par exemple de 40 à 50%, induit, dans un panel de pays du G7, une baisse de l’inflation salariale de 0,3%.
D’une certaine façon, il est surprenant que les tensions sur le marché du travail ne soient pas résumées par le taux de chômage. Nos estimations indiquent que l’offre de travail des plus de 55 ans serait différente de celle des autres travailleurs. Cette différence pourrait venir du fait que, dans les années qui précèdent leur retraite, ces travailleurs donnent plus d’importance à rester dans leur emploi, sans doute pour améliorer leur retraite, qu’à augmenter leur salaire.