La plupart des modèles macroéconomiques se fondent sur l’hypothèse d’anticipations rationnelles en information complète. Or, les faits empiriques tendent à réfuter cette hypothèse et à montrer la force des frictions informationnelles. Documenter ces frictions est crucial pour les banques centrales car elles peuvent fortement influencer les effets de la politique monétaire sur l’économie.
La dynamique macroéconomique dépendant de processus d’anticipation, la politique monétaire consiste en grande partie à piloter les anticipations d’inflation des différents agents (ménages, entreprises, prévisionnistes professionnels). Il est par conséquent extrêmement important pour les banquiers centraux de mesurer les anticipations d’inflation (cf. Bouche et al., 2022) et de déterminer la force des frictions informationnelles qui influent sur ces anticipations.
Ces frictions informationnelles peuvent être caractérisées par la fréquence de révision des prévisions (plus la fréquence est basse, plus la friction est importante) et par le désaccord transversal au sujet des anticipations d’inflation (plus la dispersion est grande, plus la friction est importante). Andrade et Le Bihan, 2013, Coibion et Gorodnichenko, 2015, et Savignac et al., 2021 analysent ces dimensions pour certains agents économiques.
Par exemple, le désaccord sur les anticipations d’inflation apparaît faible parmi les prévisionnistes professionnels américains (la plupart des prévisions d’inflation sont comprises entre 1 % et 3 %, cf. figure 1). Pour être correctement évaluée, cette mesure doit toutefois être comparée à celle concernant d’autres agents économiques. Comme le coût de collecte et de traitement de l’information peut varier selon les agents, la force des frictions d’information peut varier considérablement au sein et entre les diverses catégories.
Des travaux récents de Cornand et Hubert, 2022 étudient plus particulièrement deux dimensions de ces frictions : la fréquence de révision des prévisions et le désaccord transversal dans les enquêtes sur les anticipations d’inflation entre et au sein de quatre catégories d’agents économiques américains : les ménages (Michigan Survey), les entreprises (Livingston Survey), les prévisionnistes professionnels (Survey of Professional Forecasters of the Philadelphia Fed) et les décideurs politiques (membres du FOMC). En harmonisant les caractéristiques des différentes enquêtes afin de les rendre aussi comparables que possible, on peut comparer la fréquence à laquelle les individus révisent leurs prévisions d’inflation et le désaccord transversal au sujet de ces prévisions d’inflation pour les ménages, les entreprises, les prévisionnistes professionnels et les décideurs politiques aux États-Unis.
Les agents économiques rencontrent des frictions informationnelles mais d’une force relative différente
Tous les agents économiques rencontrent des frictions d’information. On peut cependant documenter une forte hétérogénéité dans la vigueur relative de ces frictions. La figure 2 retrace la fréquence de révision des prévisions pour quatre catégories d’agents. Les décideurs politiques révisent leurs prévisions plus fréquemment (presque 60 % d’entre eux révisent toujours leurs prévisions, c’est-à-dire à chaque période) que les entreprises et les prévisionnistes professionnels (dont 30 % les révisent toujours), qui eux-mêmes les révisent plus fréquemment que les ménages. À noter que cela est dû en partie – mais pas uniquement – à la manière dont l’enquête est menée : les ménages sont interrogés à deux ou trois reprises seulement avant d’être éliminés de l’enquête. Nous constatons également que la fréquence de révision des prévisions évolue avec le temps et qu’elle est affectée par la volatilité de l’inflation.